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Lutte A69 : la résistance du vivant

Sylvine Bouffaron

Le 27 février denier, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l’autorisation de l’A69. Quelques semaines après cette victoire historique, nous revenons sur ces dernières années de lutte et l’incroyable force de vie de celles et ceux qui résistent. Plongée dans tout ce qui s’est créé ici et là au cœur de la lutte.

Course de bolides, le 22 avril 2023 pendant l’événement « Sortie de route »
crédit : Soulèvements de la terre

Cléo* a passé plusieurs semaines dans un noyer. Elle fait partie de ces grimpeuses, appelées écureuilles, qui ont occupé le Verger, un jardin situé à Verfeil, en Haute-Garonne, pour empêcher les abattages et retarder l’avancée des travaux de l’autoroute A69. Il fait partie des sites de la ZAD où les arbres sont occupés exclusivement par des femmes. Cléo s’est logée, avec quatre autres camarades, dans un arbre qu’elles baptisent symboliquement Noguerre (en référence à "Noguièr” qui signifie “noyer” en occitan). “Vivre dans ces conditions est éprouvant. Nous devons être vigilantes en permanence, ingénieuses, fortes et agiles. Loin des symboles capitalistes de féminité, nous faisons corps avec ces arbres qui sont le dernier rempart physique à l’autoroute” (1).

L’art, l’entraide et la puissance de vie pour résister

Le récit de ces femmes est saisissant de ce qu’il raconte de la violence du projet A69, de celle des forces de l’ordre, du concessionnaire, comme de la violence patriarcale. Le 16 septembre 2024, la police entre en masse dans le Verger. S’en suivent vingt-deux jours de résistance avec des réserves et des forces qui s’amenuisent. On tente de les affamer, de les empêcher de dormir, de les priver d’hygiène, on les dit sous influence, on les minore, on les insulte. Leur détermination n’en est que décuplée.

Pour résister, c’est toute une vie qui prend forme au sein de Noguerre et de la cabane qu’elles ont construite. Il y a le soutien qui arrive du sol, les mots, l’envoi de nourriture. Dans l’arbre, c’est leur ténacité, l’entraide, la musique, l’écriture, le dessin qui les fait tenir. Les forces de l’ordre décident finalement d’ensevelir les arbres pour parvenir à déloger les écureuilles, du jamais vu dans une occupation.

Cléo a dessiné cette histoire et l’évacuation de Noguerre. Elle a également participé à monter un spectacle collaboratif, intitulé Les conteureuses de la ZAD avec le Forest Theater Collective, une performance qui retrace la vie sur la ZAD de Verfeil, au travers de chants, de danse, et de témoignages de locaux et de militant·es. Elle raconte qu’un jour, au Verger, alors qu’on annonce l’évacuation d’un site proche, ielles ont continué à jouer et ce jusqu’au bout, pour se donner de la force et du courage.

“C’est une lutte qu’on ne devrait pas avoir à faire”

Grenades lacrymo, gardes à vue, militant·es interdit·es de territoire ou de revenir sur la lutte : la répression et les moyens mis en œuvre sont à la hauteur de l’absurdité du projet. Michel Forst, rapporteur spécial de l’ONU, rend un rapport très sévère en février 2024 sur le traitement des défenseur·euses de l’environnement dans cette lutte, notamment des écureuil·les, et demande enquête et sanctions. Fondateur du Groupe national de surveillance des arbres (GNSA) (2), Thomas Brail constate les moyens démesurés mis en œuvre. Le 1er septembre 2023, après la trêve estivale, 200 forces de l’ordre, drones, hélicoptères et brigade canine sont dépêchés pour l’abattage des platanes de la commune de Vendine, sur le tracé de l’autoroute. C’est un site symbolique, très médiatisé plusieurs semaines auparavant avec les occupations des écureuil·les et celle de Thomas Brail. Les scènes d’abattages sont ahurissantes avec mise en danger des forces de l’ordre elles-mêmes - le périmètre de sécurité n’étant pas respecté, comme s’il fallait se hâter de couper, coûte que coûte.
En réaction, Thomas Brail entame une grève de la faim le 1er septembre et occupe un platane face au ministère de la Transition écologique à partir du 14 septembre. Délogé au bout de 10 jours, il entame une grève de la soif. Quand je lui demande comme il s’est retrouvé à mener ces actes radicaux, il répond avec gravité : “agir en citoyen”. Natif du Tarn, papa d’un petit garçon de deux ans au démarrage de la lutte, il déplore les décisions et l’entêtement de nos responsables politiques : “Ils auront des comptes à rendre à leurs enfants.” Comment peut-on poursuivre un projet aussi absurde alors que tous les indicateurs sont au rouge et que personne n’en veut ? “C’est une lutte qu’on ne devrait pas avoir à faire”, estime Thomas Brail.

Un projet d’un autre temps
L’A69, c’est :
- un projet anachronique qui remonte aux années 90
- une autoroute privée en parallèle d’une nationale
- la deuxième autoroute la plus chère de France
- 53 km entre Toulouse et Castres
- 17 € de péage aller-retour et 40€ pour les camions
- un projet à 500 000 millions d’euros
- la destruction de 400 hectares de terres agricoles
- la coupe d’un millier d’arbres, la destruction de zones humides et de l’habitat de 162 espèces protégées
- tout ça pour 12 minutes gagnées
- plus de 40 recours juridiques, 40 associations requérantes.
Un projet alternatif pour ouvrir les perspectives

Karim Lahiani, paysagiste et urbaniste, a initié le projet alternatif “Une autre voie” face à l’A69. Il raconte son entrée dans la lutte le jour de ses 30 ans. Nous sommes en 2023, c’est le moment de la mobilisation violemment réprimée contre les mégabassines à Sainte-Soline et de la tentative de dissolution des Soulèvements de la Terre. Un déclic. Après une profonde remise en question professionnelle lorsqu’il fait le constat d’une “crise de sensibilité” dans son métier qui lui demande sans cesse de “planifier”, Karim décide de quitter Paris et de rentrer sur ses terres natales pour résister à ce projet écocide. Son engagement part aussi “d’un petit coup de pouce du vivant” quand il voit cette prairie surgir au moment des expropriations. “Ça a fait basculer mon imaginaire. D’un moment un peu dramatique, peut surgir quelque chose d’autre”.
Le 22 avril 2023, premier grand rassemblement co-organisé par La voie est libre et les Soulèvements de la Terre, Karim fait son entrée dans la lutte, bien décidé à dire avec d’autres qu’ “on peut vivre autrement”. Il co-anime la construction du projet alternatif “Une autre voie” qui sera rendu public au mois de septembre. Le projet alternatif est “essentiel pour ré-ouvrir les projections sur un territoire quand il y a controverse sur un projet”. Il s’agit de montrer qu’il n’est “pas inéluctable de construire ces infrastructures”. Cela passe selon Karim d’abord par “recomposer nos désirs” : qu’est ce qui a de l’importance, qu’est ce qui a de la valeur ? C’est toute la force du projet alternatif, ne pas être uniquement dans l’opposition et ouvrir de nouvelles perspectives désirables.

Une reprise de pouvoir

Ce qui est au cœur de cette lutte, c’est la coopération, à mille lieux du vieux monde qui déploie toute sa force pour se maintenir coûte que coûte. Partout rayonne le partage, la solidarité, la créativité et l’apprentissage de nouvelles compétences. Si la lutte est rude, s’il y a eu de la destruction, ce qui a germé ici dépasse le combat de l’A69 et nourrit déjà d’autres initiatives et échéances, qu’il s’agisse des élections municipales, d’alternatives concrètes, de zones à défendre, d’autres luttes à mener.
Les opposant·es ont réussi à faire de cette lutte locale un enjeu national, à gagner la bataille de l’opinion publique, à retarder considérablement les chantiers jusqu’à finalement obtenir l’annulation du projet ! Au-delà du projet, le combat contre le projet d’autoroute A69, dont on parle à l’international, est devenue aujourd’hui une lutte emblématique de la défense du vivant. Ce qui s’est joué là, c’est la défense de nos milieux de vie, comme un cri d’alerte immense et une reprise de pouvoir. S’organiser collectivement pour sauver nos territoires face au vieux monde qui n’a plus que la violence pour se maintenir. Et ensemble ne jamais céder.

crédit : Elio Engrainage média

Lutter dans la détermination et la joie
Le collectif d’habitant·es La voie est Libre (LVEL) créé en 2021 redonne un coup de fouet à la lutte. Il s’agit pour elles et eux de défendre leur terre, ce milieu qu’ielles connaissent bien et dont la destruction ne peut être compensée. C’est pour beaucoup leur première lutte locale et iels sont vite rejoint·es par Extinction Rebellion (XR), le GNSA, les Soulèvements de la Terre, des zadistes, le projet alternatif Une autre voie, etc. Les liens qui se sont noués ici sont indéfectibles et la force qui s’en dégage est immense. Ce qu’on projette, ce qu’on espère, ce pour quoi on se bat est déjà dans la manière de penser la lutte et de la façonner. Si les parcours sont différents, chacun·e sait à quel point ces terres sont irremplaçables et est bien déterminé·e à tout mettre en œuvre pour la défense du vivant.

Le panel de modes d’action déployées dans la lutte A69 par les opposant·es est considérable : pétitions, tribune signée par 2 000 scientifiques, projet alternatif, réunions publiques, marche, rassemblements, manif’actions, événements festifs, détournements, soirées de soutien, sabotage, action de désobéissance civile, occupations (arbre, machines, terrain), bataille juridique, grève de la faim, grève de la soif. Des vidéos humoristiques du collectif LVEL pour dénoncer l’absurdité du projet, à la grande course de caisses à savon en passant par le faux péage ou les expériences collectives de maraîchage pendant les grands temps de mobilisation, la lutte se fait dans la détermination et toujours dans la joie. Le combat a été éprouvant, mais ce qui apparaît partout c’est à quel point l’intelligence collective, l’art et la solidarité aident à résister.

crédit : Elio Engrainage média

Contact : La Voie est Libre, lvel.fr

Pour aller plus loin :
Projet Une autre voie, uneautrevoieorg.wordpress.com.
Alliances Terrestres, documentaire d’Isabelle Haëlvoet (2024), retrace la lutte A69.

Notes :
(1) Extrait de la brochure “Zone à défendre 22 jours perchées à lutter pour le vivant contre l’A69”, imprimée en 2024.
(2) Contact : 97 ter rue des Roux 94 240 L’Haÿ-Les-Roses, gnsafrance.org.

*Le prénom a été modifié par soucis d’anonymat face à la forte répression.

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