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Face au SNU : des initiatives non-violentes et émancipatrices

Guillaume Gamblin

Quel discours faire valoir face aux tenants et tenantes des bienfaits du SNU ? Faut-il promouvoir un SNU alternatif ? Des alternatives au SNU ? Comment des associations font-elles vivre dès aujourd’hui des pratiques qui apportent à des jeunes de lycées des ressources pour un projet de société émancipateur, fait d’apprentissage de la non-violence et de la coopération ?

Le collectif Jeunesse citoyenneté émancipation regroupe un certain nombre d’organisations (1) qui proposent une action de substitution au SNU. Dans une lettre ouverte au président de la République, début 2023, elles proposaient la mise en place d’un parcours non obligatoire, sur le long terme (pour les jeunes âgé·es de 11 à 30 ans), pour partie dans l’école et sur temps scolaire. Fondé sur des partenariats avec des associations, il aurait une visée émancipatrice et d’action collective, démocratique, écologique, solidaire, artistique, sportive, anti-discriminations. Il insisterait sur la citoyenneté européenne et internationale, développerait l’esprit critique, les expériences de démocratie, des coopérations internationales, etc. (2).

Soutenir les initiatives existantes

Faut-il chercher des alternatives au SNU ? Pour Christian Mahieux, cheminot retraité dans le Val-de-Marne, co-fondateur de SUD-Rail, membre de Solidaires, et l’un des animateurs du collectif Non au SNU, « pour nous, le projet du SNU est un formatage de la jeunesse. Il n’y a donc pas d’alternative à faire valoir pour aller dans ce sens ».
Plutôt que de réinventer la poudre (à canons), il suffirait déjà de soutenir les initiatives existantes. Dès 2018, un large collectif d’organisations proposait, dans une tribune dans Le Monde, de valoriser et soutenir plutôt les associations culturelles, sportives, de jeunesse, classes vertes, etc., de développer les espaces permettant aux jeunes d’accéder à leurs droits, de construire une école permettant les mixités et l’accueil universel de chaque enfant, de procéder à une refonte de la carte scolaire, de mettre en place des pédagogies inclusives, ouvertes et participatives (3). Le syndicat enseignant UNSA estime, quant à lui, que les dispositifs existants tels que les délégué·es de classe, les conseils de la vie collégienne ou lycéenne, les foyers socio-éducatifs, mériteraient d’être renforcés (4).
Sans compter que les pédagogies alternatives, l’enseignement à domicile ou encore des expérimentations comme le Lycée autogéré de Paris (LAP) montrent qu’il est possible d’aller plus loin dans les pratiques émancipatrices et non-violentes que le cadre des établissements scolaires classiques, eux-mêmes sources de nombreuses oppressions. Au LAP, par exemple, les élèves apprennent la responsabilité en actes dans la pratique de l’autogestion de leur établissement au quotidien. Ils et elles mûrissent en se confrontant à de vraies responsabilités. L’inverse de l’apprentissage de l’obéissance qu’on veut imposer aux jeunes avec le SNU pour leur apprendre les « vraies valeurs »…

Développer l’apprentissage de la non-violence à l’école

Dès 2019, le MAN préconisait le transfert de l’argent budgétisé pour le SNU vers des actions consacrées, au sein de l’école, au développement d’une culture de paix et de non-violence. Si le SNU militarise la jeunesse et absorbe des moyens exceptionnels pour faire de l’Éducation nationale une école de la guerre, quelles sont les pratiques existantes pour construire la paix, la non-violence, la coopération à l’école aujourd’hui ?
L’association Amely intervient dans des établissements scolaires de la région Auvergne–Rhône–Alpes et au-delà, par des ateliers de médiation par les pairs, de gestion des conflits, etc. De la maternelle au lycée, en passant par les instituts médicoéducatifs, elle aide les jeunes à mieux connaître leurs droits, pour se faire respecter mais aussi mieux respecter les autres. « On est utiles en prévention, pas pour éteindre le feu », explique Bénédicte Debise, responsable de la formation en milieu scolaire à Amely. Concernant la médiation par les pairs, les salarié·es de l’association interviennent en classes de CE2 et CM1 ou de 5e, en début d’année, pour former des élèves motivé·es par la démarche, ainsi que les quelques adultes qui vont l’encadrer. Les élèves formé·es à la médiation sont amené·es à accompagner de nombreux conflits du quotidien en rétablissant le dialogue entre les parties adverses. L’association les accompagne pendant deux ans, par des analyses de pratique.
Au lycée, Amely intervient davantage autour d’ateliers juridiques et sur la gestion des conflits. Elle forme l’ensemble d’une cohorte (2de, première année de CAP, etc.). Les ateliers servent à apprendre aux jeunes à décrypter l’escalade de la violence, à les outiller sur les émotions, l’empathie, la gestion des conflits. Dans les lycées professionnels, elle organise des ateliers mixtes qui abordent la gestion des conflits au travail, leurs droits dans l’entreprise, explique Bénédicte Debise.

« On pose comme cadre la libre participation »

En 2022-2023, le Mouvement pour une alternative non-violente d’Île-de-France a donné trois formations pour cinq classes en lycée professionnel à Vanves (Hauts-de-Seine). Les animat·rices aident les jeunes à avoir des outils pour se positionner par rapport au conflit. Le conflit est une réalité inévitable, mais la violence pour y faire face est évitable, explique Mathieu Paté, formateur bénévole. Les lycéen·nes prennent du recul sur les différents points de vue qui disent qu’un acte est violent (l’aut·rice de l’acte, la victime, le ou la garant·e du cadre) ou encore sur les différentes manières de réagir face au conflit : opposition, accommodement, évitement, ou coopération et négociation. « On pose comme cadre la libre participation, explique Mathieu. Souvent, cela les étonne, car ils n’en ont pas l’habitude. Certain·es décident de rester hors du groupe mais, très vite, ils se prennent au jeu et ont envie d’intervenir aussi ! » Faute de moyens financiers, les établissements optent souvent pour des interventions très limitées : des ateliers de deux heures par classe, parfois renouvelés six mois plus tard.

‘’Faire évoluer la posture de l’ensemble des adultes encadrants est aussi urgent que des former les jeunes’’

Le peu de moyens des établissements scolaires pour accueillir des formations à la non-violence, déploré par l’ensemble des associations rencontrées, amène certaines d’entre elles à employer des stratégies différentes. C’est le cas de Génération médiateurs, qui a décidé de centrer sa formation sur les adultes pour que les effets en soient plus durables. En effet, les élèves quittent l’établissement deux ou trois ans plus tard, tout étant alors à recommencer. Les adultes, eux, restent souvent dans l’établissement plus longtemps. « L’association transmet donc aux adultes les outils pour former les jeunes à la régulation non-violente des conflits et à la médiation par les pairs, c’est ce que nous appelons une formation ‘en cascade », explique Anne Férot-Vercoutère, qui en est une formatrice. Les jeunes possèdent alors les compétences pour accompagner leurs camarades à résoudre leurs conflits, qu’ils et elles soient en fin d’école primaire, en collège ou en lycée. Le parcours aborde les compétences psychosociales, l’expression des émotions et des besoins, le renforcement de l’estime de soi, l’écoute et ses obstacles, le processus de médiation par les pairs, la prise en charge des situations de harcèlement.
Il est vain, selon elle, de former des jeunes si les adultes de l’établissement ne sont pas sensibilisés eux-mêmes à des pratiques d’empathie, de non-jugement, d’apprentissage de la reformulation, etc. Pour Anne Férot-Vercoutère, « L’institution Éducation nationale se doit d’être empathique pour faire reculer efficacement la violence. Former les jeunes à la communication non-violente perd toute sa puissance s’il n’y a pas d’évolution du côté adultes. Oui, l’institution peut être vécue comme malmenante par les adultes. » Selon elle, lorsqu’il y a dans l’établissement des conflits mal gérés ou non gérés entre adultes, il n’est pas réaliste d’instaurer des pratiques de médiation entre jeunes. « Cela implique de travailler en amont sur les conflits internes au sein du groupe d’adultes. Les adultes du milieu scolaire sont des références fortes pour les jeunes. »

Apprendre à faire face aux violences sexistes et sexuelles

On l’a vu, le SNU est un cadre propice au développement des violences sexistes et sexuelles. Si l’on mélange un cadre très hiérarchique, un apprentissage de la soumission et de l’obéissance, des encadrant·es souvent peu formé·es et la loi du silence, on obtient un projet éminemment patriarcal et dangereux pour les mineur·es.
C’est dans un esprit opposé que certaines associations interviennent dans ou hors des lycées pour un public d’adolescent·es, afin de les aider à prévenir les violences sexistes et sexuelles et à lutter contre elles. C’est le cas d’Impact, dans le Rhône. Chaque année, cette association organise des cours d’autodéfense féministe auprès de mineures, avec des groupes d’enfants de 8 à 10 ans ou de 12 à 16 ans. Quand c’est possible, les sessions durent une journée. Parfois, trois heures seulement, faute de moyens. « On intervient dans le cadre d’une médiathèque, d’un lycée, ou encore d’une association », explique Mélanie Richter, formatrice. Impact reçoit régulièrement des demandes de centres sociaux, de MJC, de parents, mais souvent, elle ne peut pas y répondre faute de financement. Les formations permettent d’apprendre à mieux reconnaître les situations d’agressions verbales, physiques ou sexuelles, les abus de pouvoir, de renforcer la confiance en soi, ou encore de repérer les personnes ressources ou alliées. « On coconstruit le cadre avec elles, explique Mélanie Richter. On part de leurs vécus, on parle de leurs limites, d’abus, des aspects juridiques liés à leur statut de mineures, on repère les différents types d’agressions auxquelles elles sont confrontées. Elles ont besoin de se raconter. » On est ici à l’opposé du cadre vertical, autoritaire et patriarcal du SNU.


Des chantiers de jeunes bénévoles pour construire la paix

Le Service civile international (SCI) organise depuis plus d’un siècle, dans le monde entier, des chantiers de jeunes volontaires, dans une visée diamétralement opposée à celle du SNU : construire la paix. C’est en 1920, au lendemain de la Première Guerre mondiale, que Pierre Cérésole fonde ce mouvement à visée pacifiste et humanitaire. Cette année-là, le premier chantier international a pour but de reconstruire le village d’Esnes-en-Argonne, sur l’ancien champ de bataille de Verdun. Il inclut trois Allemands, symbole fort de réconciliation. Le deuxième chantier, en 1924 aux Ormonts, en Suisse, pour déblayer une avalanche, est présenté comme un projet modèle pour les objecteurs de conscience, afin de soutenir une campagne politique visant à introduire un service alternatif au service militaire. Les chantiers se multiplient par la suite, par exemple auprès d’enfants réfugiés pendant la guerre civile espagnole.
En 2019, le mouvement a organisé 270 chantiers dans 94 pays. « Le SCI France accueille surtout des plus de 18 ans, car la réglementation est plus complexe pour les mineurs, explique Émilie Karponiez, déléguée nationale. Le profil type du ou de la volontaire est une personne de 23 ans. » La branche française, fragilisée par la pandémie de Covid, organise des chantiers (cinq en 2024, regroupant de nombreuses nationalités), et envoie près de 150 volontaires de France vers l’étranger. « Les volontaires peuvent s’engager sur des chantiers courts, de quinze jours, ou longs, de six mois. Les principales thématiques sont l’environnement, la rénovation du patrimoine, le travail social avec des enfants, des personnes âgées », poursuit-elle.
Les chantiers sont vus comme des outils de promotion de la paix via la rencontre interculturelle entre les participant·es, des ateliers sur la paix et la non-violence organisés durant leur déroulement, et leur pédagogie, évidemment non coercitive.
Dans les chantiers organisés au Kosovo, les jeunes agissent sur la permaculture, l’écoconstruction, mais aussi la construction de la paix. Des chantiers comme ceux qu’organisent le SCI sont également réalisés par d’autres associations. Au sein de la fédération Cotravaux, certains projets ont réuni des Russes et des Ukrainien·nes, et d’autres, des Israélien·nes et Palestinien·nes. Un travail de fourmi, pour la paix, qui montre que des initiatives peuvent être organisées dans un esprit opposé au nationalisme et au militarisme, pour peu que l’on en ait la volonté.

Service civil international France, 75 rue du Chevalier-français, 59800 Lille, tél. : 03 20 55 22 58, sci@sci-france.org, https://sci-france.org.
• L’association Concordia, créée dans le but de promouvoir la tolérance et la paix après la Seconde Guerre mondiale, organise chaque année plus de 100 chantiers en France et 2 000 à l’étranger pour favoriser les échanges interculturels et intergénérationnels. Concordia, 64 rue Pouchet, 75017 Paris, tél. : 01 45 23 00 23, info@concordia.fr, www.concordia.fr.
Cotravaux, 11 rue de Clichy, 75009 Paris, tél. : 01 48 74 79 20, https://cotravaux.org.

(1) Fédération nationale de la libre pensée, Ligue des droits de l’Homme, Mouvement rural de jeunesse chrétienne, Forum français de la jeunesse, UNEF, etc.
(2) « Pour une alternative au service national universel », 1er février 2023, https://cemea.asso.fr.
(3) « Service national universel : qu’a fait la jeunesse pour mériter une telle punition ? », Le Monde, 5 novembre 2018.
(4) La FCPE suggère qu’en lieu et place du SNU, chaque enfant puisse bénéficier gratuitement d’une classe de découverte ou d’une colonie de vacances.

Contacts :
Amely, 45 rue Smith, 69002 Lyon, tél. : 04 78 37 90 71, www.amely.org.
MAN Île-de-France, Maison des associations, 60 rue Franklin, 93100 Montreuil, man.idf@nonviolence.fr, www.nonviolence.fr.
Génération Médiateurs, 80 rue de l’Abbé-Carton, 75014 Paris, 01 56 24 16 78, https://gemediat.org.
Impact, asso.impact@poivron.org, https://asso-impact.org.
Lycée autogéré de Paris, tél. : 01 42 50 39 46, www.l-a-p.org.

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