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Agroécologie en Palestine : une histoire de résistance non-violente à Burin

Alessia Ricci

En Cisjordanie, le village de Burin subit les assauts et les destructions des colonies israéliennes illégales qui l’entourent. Cela n’empêche pas ses habitant·es de mettre en place des pratiques d’agroécologie inspirantes, dans un esprit de résistance.

Cet article était programmé par Silence avant que 1 500 civil·es israélien·nes aient été tué·es par le Hamas le 7 octobre, puis que plus de 5 000 civil·es palestinien·nes de Gaza aient été tué·es par l’armée israélienne dans les semaines qui ont suivi. Ce numéro est bouclé alors que de terribles combats s’annoncent encore. Dans ce contexte d’atrocités et de spirale de la violence, les notes d’espoir et les graines de résistance non-violente nous semblent d’autant plus précieuses à mettre en avant.

« La terre, c’est la dignité et nous nous battons pour notre dignité », affirme Ghassan, 33 ans, diplômé en philologie anglaise, agriculteur par choix à Burin, à 12 kilomètres au sud de Naplouse, la plus grande zone agricole de la région et l’un des points névralgiques de la Cisjordanie. Le village de Burin est entouré de trois colonies israéliennes, parmi les plus agressives des territoires occupés : Yitzhar, Bracha, Givat Ronen. Au total, 1 200 colons, des sionistes principalement d’origine étasunienne, perturbent la vie de 3 500 habitant·es, revendiquant la propriété des terres. Cela au mépris du droit international qui a sanctionné à plusieurs reprises l’illégalité des colonies israéliennes en Cisjordanie, et en dépit de la Convention de Genève de 1949, signée par Israël, qui interdit à un État occupant de transférer des civils dans les territoires occupés.
Pourtant, depuis 2002, les colons attaquent en moyenne 3 à 4 fois par semaine les terres et les maisons palestiniennes dans cette région. Au milieu de la nuit ou pendant la journée, ils arrivent en groupes de 30 à 40 personnes, lancent des pierres, souvent des cocktails Molotov, brûlent des voitures, incendient des terres et des oliviers, la principale culture de cette région et de la Palestine. Ils coupent les arbres, empoisonnent la terre et les quelques ressources en eau laissées aux Palestinien·nes.
Aujourd’hui, les attentats ont un facteur aggravant : Israël accueille des milliers de réfugié·es ukrainien·nes de religion juive. Une politique controversée annoncée dès 2022 par l’Organisation sioniste mondiale, Yishai Merling, qui a présenté au moins 1 000 colonies dans les Territoires occupés prêtes à accueillir des juifs ukrainiens et à les intégrer à la vie des colons. À Burin, 500 sont arrivés, portant le nombre de colons de 1 200 à 1 700. Ghassan nous dit qu’ils reçoivent une véritable formation pour leur permettre de participer activement aux agressions perpétrées par les autres colons.
Lorsque nous rencontrons Ghassan, dans la seule semaine précédant l’interview, la première semaine d’août 2023, 83 oliviers ont été brûlés. Depuis 2004, le nombre d’oliviers détruits s’élève à 16 000, selon le registre du district. Dans ce contexte, les gens vivent dans la peur. Mais la communauté agricole ne baisse pas les bras : « S’ils coupent un arbre, nous en replantons d’autres. Ils essaient de modifier la géographie de nos terres : nous ne pouvons pas le permettre. Nous devons nous lever tous les matins et nous battre pour notre dignité ».
L’engagement de Ghassan à cet égard se concrétise également par une coopérative agricole : la Land and farming cooperative association (Association coopérative terre et agriculture), à laquelle participent 13 femmes et 2 hommes, dont lui en tant que président.
Les 15 personnes sont toutes diplômées de l’université. En effet, la Palestine est le pays arabe qui a le plus fort taux de diplômés universitaires : elle dispose d’énormes compétences face à des opportunités réduites.
Les membres, jeunes, disposent d’un peu plus d’un hectare et demi, de trois serres, et cultivent principalement des légumes. Un essai de viticulture n’a pas été poursuivi car cela revenait trop cher.

Une coopérative agroécologique et sociale

La coopérative est innovante à plusieurs égards :
Ses membres travaillent avec du compost, ils et elles ont tourné le dos à l’industrie agrochimique, et ont créé un laboratoire pour étudier de nouvelles techniques, par exemple pour contrer le poison que les colons jettent sur la terre et les plantes. L’association a créé une école d’agroécologie, pour transmettre les compétences qu’elle a acquises.
Quinze pour cent des ventes sont reversés à la communauté de Burin. La coopérative soutient 15 familles en difficulté économique en leur donnant gratuitement les cultures nécessaires à leur subsistance.
Enfin, hommes et femmes travaillent ensemble, une synergie non envisagée par la culture locale.
Ghassan résume en disant que leur défi est triple :
- contre les assauts des colons,
- contre l’industrie agrochimique, israélienne, qui les menace parce qu’ils n’achètent pas leurs produits,
- et contre les agricult·rices loca·les, pour qui la valeur écologique est difficilement compréhensible, écrasée par des années de logique chimique ainsi que par des dynamiques culturelles peu intersectionnelles.
Mais les fruits de ce travail arrivent et comme le dit Ghassan, « jusqu’à présent nous n’avons pas gagné d’argent mais nous avons transmis une idée et maintenant les agriculteurs viennent nous voir pour des conseils, ils veulent rejoindre la coopérative ».

Face à ce sourire, à cette énergie extraordinaire pour la dignité de tou·tes les Palestinien·nes, les difficultés restent très grandes.
Burin se trouve dans la zone C pour 90 % du territoire, donc sous contrôle militaire et civil israélien selon les accords d’Oslo, ce qui rend l’accès aux terres occupées par Israël presque impossible. L’eau pour l’irrigation coûte ici cinq fois le prix payé par les agricult·rices israélien·ness. L’accès à l’eau est limité dans toute la Palestine. Les sources sont annexées arbitrairement par les colons. Sur les sept que compte Burin, par exemple, cinq sont contrôlées par les colons et inaccessibles à la population locale. Les marchés palestiniens de fruits et légumes sont inondés de produits israéliens, et le soutien du gouvernement israélien ne profite qu’aux agriculteurs et agricultrices israélien·nes. C’est un combat inégal sur tous les fronts, c’est pourquoi l’association coopérative agro-écologique Land and farming lance un appel au soutien international pour l’acquisition de compétences agro-écologiques, pour l’échange de bonnes pratiques, ou pour soutenir des projets visant à la réalisation de périmètre foncier, de système d’irrigation, de compost.

Land and farming cooperative association : exceptionnellement, nous indiquons la page facebook de l’association, car ce sont les seules coordonnées dont nous disposons : www.facebook.com/BurinFarm.
• Cet article est issu de Pressenza, agence de presse internationale alternative dédiée aux informations concernant la paix et la non-violence, partenaire de Silence, www.pressenza.com.

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