Entre le 5 juin et le 15 septembre 2023, pour qui se piquerait de faire une lecture exhaustive de ce dossier, il lui faudrait absorber le contenu d’un page toutes les 4 minutes, et ce à raison de 8 heures par jour, samedi et dimanche compris !
Chacun sait qu’en matière nucléaire en général et pour l’EPR en particulier, nous avons depuis bien longtemps quitté les rives du rationnel. Un budget qui passe d’un peu plus de 3 à 19 milliards d’euros (entre 2 et 3 ans de déficit de notre système des retraites !), un retard considérable et désormais une consultation indigeste supposée se conclure en beauté par la mise en service de ce réacteur.
L’amnésie de l’Autorité de Sûreté Nucléaire
L’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), qui coordonne cette mise en consultation du public, semble frappée d’amnésie, estimant désormais que les malfaçons du couvercle et les défauts de l’acier de la cuve ne sont plus rédhibitoires. Parce que l’urgence n’est plus ici la sécurité de la population mais l’impérieuse nécessité d’annoncer, avec fanfares et trompettes, le lancement tant attendu de ce réacteur. Qu’il faille occulter les risques directs et la nécessité de changer les pièces essentielles du réacteur nucléaire quelques mois seulement après sa mise en service n’est qu’une énième péripétie qui ne mérite même pas d’être relevée.
Or, le choix que l’ASN, EDF et le gouvernement s’apprêtent à faire est une mise en danger de la vie d’autrui qui se double d’une irrationalité économique évidente. Une fois mis en service, la cuve et le couvercle lourdement irradiés nécessiteront des interventions complexes et augmenteront encore la quantité de déchets atomiques. Estimée (même si il faut se méfier des estimations du lobby nucléaire…) à plus de 100 millions d’euros, cette intervention mettra hors d’état de nuire l’EPR pour une durée de 4 à 8 mois (même si il faut se méfier des estimations du lobby nucléaire…).
Un réacteur à 20 milliards d’euros
En résumé, le grand public est appelé à participer à une consultation dont le dossier haut de près de 2 mètres équivaut à opter pour une censure par le plein. L’information importante est l’aiguille dans la botte de foin irradiée. Une fois ce passage obligé franchi, un réacteur dangereux sera mis en fonctionnement pour quelques mois avant d’être de nouveau arrêté. Par la magie des chiffres, le coût inhérent au changement du couvercle et du fond de la cuve n’alourdira plus la facture finale de l’EPR, mais celui de sa maintenance. EDF pourra ainsi prétendre que l’EPR, vitrine fissurée de la haute technologie française, n’a pas dépassé les modiques sommes symboliques de 20 milliards d’euros.
Depuis 2006, à chaque minute qui passe, nous avons dépensé 2 126 euros pour qu’une cocotte-minute atomique à l’acier pourri puisse produire de l’électricité. Ce projet de réacteur comme cette consultation estivale incarnent à merveille les errements de la secte atomique. La réalité des chiffres et des évaluations, les alertes multiples et les dangers évidents glissent sur cette poignée d’ingénieurs trop sûrs d’eux-mêmes.
Plus que jamais, nous avons besoin de nous appuyer sur une coordination antinucléaire active pour nous éviter d’être un jour toutes et tous radioactifs. Pour cela, il nous faut déconstruire les arguments prédigérés des petits soldats du jancovicisme, créer un rapport de force efficace afin d’empêcher la mise en service de l’EPR et la construction de nouveaux EPR2, et surtout présenter les vertus de la sobriété énergétique qui, en réduisant nos besoins, facilitera la nécessaire transition énergétique.
Pour aller plus loin :
Notre article « Jean-Marc Jancovici, une propagande pronucléaire à démasquer », n°490, juillet 2020 [en ligne en accès libre]
Notre dossier « Nucléaire, l’impasse programmée », novembre 2022, n°515 [en ligne en accès libre].