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Se soigner par les plantes sans piller la planète

Marion Henry

Docteure Aline Mercan, qu’est-ce qui vous a amené à écrire le livre Manuel de phytothérapeute écoresponsable, se soigner sans piller la planète ?
Aline Mercan : Je me suis formée à différentes techniques de soin et j’ai fait un master d’ethnopharmacologie puis une thèse en anthropologie de la santé. C’est dans ce cadre que j’ai été sensibilisée à la question de la fragilité de la ressource car je suis allée étudier la flore tibétaine sur le terrain et j’ai constaté que les plantes disparaissaient un peu plus à chaque séjour, jusqu’à disparition complète pour certaines.

Une pression énorme sur les plantes sauvages

J’ai pris conscience du fait que toutes les pharmacopées étaient concernées parce que les plantes sont en train de disparaître en général. Quand on achète une plante médicinale, elle est dans 80 % des cas d’origine sauvage, elle a été ramassée dans la nature parce que c’est moins cher que de cultiver les plantes. Il y a donc une pression énorme sur les plantes sauvages.

Quelles sont les autres raisons qui fragilisent la ressource ?
Il y a des facteurs qui sont communs à toutes les plantes comme les changements climatiques, la déforestation et globalement l’anthropisation, c’est-à-dire la perte des espaces naturels, qui génèrent une chute radicale de biodiversité. Concernant les médicinales, il y a aussi la pression de cueillette, car la demande augmente sans arrêt depuis des décennies, et ceci à l’échelle mondiale. 50 000 sortes de plantes à visée médicinale sont ramassées dans le monde entier et on a maintenant une sorte de grand supermarché mondialisé de la phytothérapie. Ces plantes sont devenues très accessibles par internet ou via des thérapeutes en médecines traditionnelles, et du coup ce ne sont plus du tout les mêmes proportions de cueillette que quand elles servaient à petite échelle pour une population donnée.

L’importance des conditions sociales

Les conditions de travail des personnes qui récoltent influent-t-elles aussi sur la qualité et la quantité des plantes cueillies ?
Oui, il faut aller voir qui est le cueilleur ou la cueilleuse et quelles sont ses conditions de vie et de travail. Si je ramasse, pour les vendre à un grossiste que je ne connais pas, des plantes qui vont être envoyées à l’autre bout du monde, et qu’en plus je suis très mal payé·e et considéré·e, eh bien je vais ramasser ce que je trouve et je vais faire du volume. On a donc affaire à de mauvaises pratiques de cueillette du fait des mauvaises conditions de travail et du peu de considération qu’il y a pour les cueilleu·ses. C’est très différent de ce que l’on appelle une « cueillette de confiance », où l’on va aller choisir les plus belles plantes, attendre si elles ne sont pas tout à fait au bon stade, et veiller à la ressource. On va faire une cueillette de qualité.

Dans votre livre, vous proposez un classement de certaines plantes médicinales avec des codes couleurs pour rendre visible l’état de la ressource. Pouvez-vous nous expliquer ce classement ?
Les plantes pour lesquelles on a clairement identifié une problématique de ressource sont écrites en rouge. La couleur orange permet d’apporter une nuance qui peut être utile. Le vert indique qu’il n’y a pas de menace identifiée. Sachant que ce classement peut être évolutif. Enfin, il y a beaucoup de plantes pour lesquelles on n’a que peu ou pas de données sur l’état de la ressource. Pour faire ce classement, je me suis systématiquement basée sur des publications scientifiques parce qu’il fallait que toutes les données soient documentées. Il y a beaucoup de publications en anglais, les anglo-saxon·nes sont beaucoup plus avancé·es que nous là-dessus.

Le classement de certaines plantes m’a vraiment étonnée, comme le marronnier d’Inde que l’on utilise fréquemment pour des problèmes circulatoires, qui est en rouge, ou encore l’arnica.
À cause du réchauffement climatique qui les fragilise, un certain nombre d’arbres tombent malades et sont en train de disparaître, comme le frêne. Concernant l’arnica, dans les dernières campagnes de cueillette, il y en avait très peu, 10 à 20 % de ce qu’on trouve d’habitude. Comme c’est une grosse production, ça a permis aux fabricants de se rendre compte que la ressource n’est pas éternelle. Il va falloir changer d’habitude, se passer de l’espèce Arnica montana et opter pour Arnica chamissonis, cultivée depuis longtemps, et qui est une vraie alternative. Il y a aussi d’autres possibilités : pour de petites ecchymoses, l’huile de pâquerette marche très bien et elle est facile à faire.

La meilleure plante est celle que l’on n’a pas besoin d’utiliser

Dans la deuxième partie de votre livre, vous proposez de nombreux conseils de santé concernant aussi bien le mode de vie que le choix des plantes. Comment envisagez-vous la notion de soin ?
Ce sont essentiellement notre mode de vie et notre alimentation qui font que l’on est en bonne santé ou non. Une bonne manière de ne pas utiliser trop de plantes et trop de médicaments en général, c’est de revenir à ce que j’appelle les basiques : état émotionnel, activité physique, qualité du sommeil, etc. Après ça, on peut apporter des plantes ou des médicaments si c’est nécessaire.

Globalement, vous questionnez beaucoup l’engouement pour l’aromathérapie.
En aromathérapie, on s’est mis à concentrer énormément avec cette vision très contemporaine que plus c’est concentré, mieux c’est, plus c’est puissant. Or c’est faux, en augmentant la dose on augmente l’activité et très rapidement, ça devient toxique, donc il faut trouver la juste dose. De plus, les huiles essentielles ont un rendement moyen de 1 pour 1000 : il faut une tonne de plantes pour obtenir 1 kg d’huile essentielle. Imaginez tout ce que vous pouvez faire en tisanes, poudres, nébulisats (tisanes déshydratées) ou teintures avec une tonne de plantes. La phytothérapie de base est très efficace, je propose que face à un problème de santé, on commence par la phytothérapie et si ce n’est pas suffisant, on passe à l’aromathérapie.

Utiliser les plantes sans les mettre en danger

Vous présentez cependant des huiles essentielles que l’on peut utiliser sans mettre en danger la ressource.
Oui, certaines plantes ont un meilleur rendement, comme le clou de girofle par exemple, et quand dont une goutte dans une grande préparation est déjà très efficace. Les huiles essentielles ne s’utilisent jamais pures et on peut les diluer beaucoup plus que ce que disent les fabricants. Il suffit de très petits volumes pour que ce soit efficace. Et on va éviter les plantes qui deviennent rares dans la nature. J’en donne des exemples dans mon livre.
Par exemple, pour le romarin, l’effet bénéfique au niveau hépatique est démontré pour la tisane, mais pas en huile essentielle. Personne ne pense que le romarin est en danger car c’est une plante très facile à cultiver et on a l’impression qu’il y en a partout. Pourtant, au Maroc, il y en avait des kilomètres carrés à perte de vue et ce romarin a été complètement englouti par la production d’huile essentielle.

Vous émettez des réserves aussi sur la gemmothérapie, les préparations à base de bourgeons de plantes.
En effet, car ce n’est pas anodin de retirer les bourgeons d’un arbre. Il faut vraiment observer la vie de l’arbre, le connaître. Si vous retirez les bourgeons sur le bas d’un bouleau, ça ne va peut-être pas énormément troubler sa croissance. Par contre si vous retirez tous les bourgeons d’un figuier, qui est un arbre avec peu de bourgeons, vous allez le perturber. Dans ce cas, il est capital d’avoir de bonnes pratiques. On peut le faire si on ne prend que quelques bourgeons sur chaque figuier. Est ce qu’un·e cueilleu·se mal payé·e va prendre la peine d’aller d’arbre en arbre pour prendre seulement quelques bourgeons à chaque fois ?

Où conseillez-vous de se fournir pour soutenir de bonnes pratiques de cueillette ?
Acheter directement à un·e product·rice ou auprès d’une filière courte et traçable, c’est ce qu’il y a de mieux. Certaines pharmacies s’organisent pour s’approvisionner chez des product·rices loca·les. Il y a aussi des product·rices qui ont un statut de paysan·ne herboriste, qui peuvent conseiller (1), le syndicat Simples (2) ou encore l’Association française des professionnels de la cueillette de plantes sauvages (AFC) (3). Enfin, il existe un certain nombre d’autres labels français ou internationaux.

Quel impact a votre livre ?

J’ai des retours concernant les formations, car j’enseigne, et on m’a demandé d’intervenir sur ce sujet. Et puis on va mettre ces données sur un site qui est en cours de construction avec les universités de Bruxelles et de Grenoble. Le site Wikiphyto va aussi intégrer une petite rubrique sur la ressource, afin que l’on compose avec cette donnée quand on choisit une plante. Donc ça bouge, après je ne sais pas si j’ai de l’impact au-delà de ça, mais il faut bien commencer quelque part !

Notes :
(1) Fédération des paysan·nes herboristes, 11 Mercin, 23420 Mérinchal, https://paysans-herboristes.org, fpaysansherboristes@gmail.com.
(2) Syndicat professionnel de productrices et de producteurs de plantes aromatiques et médicinales (Simples), À l’Usine Vivante, 24 avenue Adrien Fayolle, 26400 Crest, www.syndicat-simples.org.
(3) Association française des professionnels de la cueillette de plantes sauvages, au CNPMAI, Route de Nemours, 91490 Milly-la-Forêt, www.cueillettes-pro.org.

Aline Mercan, Manuel de phytothérapie écoresponsable, se soigner sans piller la planète, éd. Terre Vivante, 2021, 224 p., 21€.
Couverture du livre à mettre

On peut retrouver l’intégralité de cet entretien sur Radio Zinzine et sur https://enequilibre.org, sur la page de l’émission « En équilibre », « n°85, Phytothérapie écoresponsable, Aline Mercan ». Radio Zinzine est une radio associative non commerciale qui diffuse ses programmes dans les Alpes-de-Haute-Provence, les Hautes-Alpes, les Bouches-du-Rhône et le Vaucluse.

On peut contacter Marion Henry via le site https://enequilibre.org.

Voir aussi « Santé naturelle, de la contre-culture à la loi du marché », Silence n°465, et le dossier « Sur le sentier des herboristes », Silence n°490.

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