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Le Bateleur, au bonheur des bocaux locaux

Michel Bernard

Fiche d’identité
Localisation : Saint-Pierreville, 550 habitant·es, Ardèche • Création : 2012 • 6 salarié·es • Statut : association • Chiffre d’affaires 2021 : 180 000 € • 10 tonnes de légumes et fruits par an, un tiers en vente directe, un tiers par location des locaux, un tiers en sous-traitance pour d’autres structures.

En Ardèche, la coopérative Ardelaine promeut le développement local et depuis plus de 40 ans produit laine et matelas. Elle possède aujourd’hui une boutique de vente directe de vêtements/couettes/matelas réalisés dans ses ateliers, propose des stages, un café-librairie, un restaurant locavore...
Dans le cadre de l’association Les Bergerades (1), association qui participe aux actions de développement durable du département, un débat a lieu à partir de 2006 autour du projet de restauration de la coopérative d’Ardelaine (2), pour faire face à une capacité insuffisante des restaurants proches. Cela lance le débat sur les questions alimentaires, sur comment faire des circuits courts.
Une étude est faite, avec l’aide d’une subvention de l’État, pour étudier la possibilité de mettre en place un atelier de transformation des produits alimentaires, sous forme d’une utilisation collective comme dans le cas des CUMA (3).

Du restaurant à la conserverie

Le restaurant d’Ardelaine ouvre en 2010. Il fonctionne de manière saisonnière, de mai à octobre. Il est initialement envisagé qu’il soit possible d’utiliser les cuisines et les chambres froides le reste de l’année pour mettre en place une conserverie.
Celle-ci voit le jour dans les bâtiments d’Ardelaine, en 2012, sous forme associative. Dès le départ, il apparaît que les normes à respecter ne sont pas compatibles avec celles qui encadrent la restauration. De même les quantités de nourriture ne sont pas les mêmes : le restaurant utilise seulement quelques dizaines de kilos de nourriture par jour contre plusieurs centaines pour la conserverie. L’idée de la complémentarité est vite abandonnée, même si le voisinage est maintenu, les chambres froides étant dans la même pièce.
Le projet de conserverie est porté au départ par Marion, la fille de Gérard et Béatrice Barras, à l’origine d’Ardelaine, par Jean qui par la suite partira pour le Viel Audon où il occupe aujourd’hui le rôle de gérant de la ferme (4), et par Claire et Guillaume. Les deux premiers, bien que jeunes, ont déjà une bonne connaissance des méthodes de travail collectives. Ils se sont connus sur des chantiers internationaux. Marion a habité en colocation avec des personnes qui travaillent à l’atelier de confection d’Ardelaine à Valence (5). Elle a aussi travaillé dans un jardin de Cocagne (6).

Des ressources multiples

Le fait d’être porté par Ardelaine a aidé à crédibiliser le projet et a permis de collecter de l’argent pour payer les investissements nécessaires au démarrage. Pour Marion « les parents ont apporté le réseau, les enfants l’énergie ». Pour démarrer, Marion et Guillaume ont bénéficié d’un an d’indemnités chômage. Claire, sur l’animation, a bénéficié d’une subvention de la région durant trois ans. Les deux premières années, subvention et indemnités chômage ont été mises en commun, permettant d’avoir un salaire de 800 € pour chacun·e.
À l’origine, une partie des légumes provenaient du Vieil Audon, mais cela s’est avéré être beaucoup de route pour de petites quantités (1h30 de route) et trop contraignant. Il y a eu aussi un débat entre « local » et « bio ». Le projet se voulait d’abord local, mais il s’est vite avéré que la demande était plus sur le « bio » et l’association a alors adhéré à Nature & Progrès (7). Ce choix a rapidement permis une meilleure diffusion.
« L’un des problèmes a été celui des normes sanitaires pensées uniquement pour le monde industriel ». Celles-ci sont très contraignantes et cela limite la possibilité d’intervention de personnes extérieures qui peuvent utiliser la conserverie pour leur propre production. Les normes impliquent des compétences heureusement présentes dans l’équipe. Le choix associatif a permis de très vite ouvrir l’atelier et de maîtriser le plan sanitaire. Cela freine aussi l’horizontalité des tâches.
L’équilibre économique est toujours instable, et cela a entraîné des mouvements au niveau des salarié·es. « De nombreuses expérimentations ont été faites, année après année ». 

Un projet toujours en construction

L’idée de récupérer des surplus ou des produits abîmés a été abandonnée : « cela nécessite un gros travail de tri et de préparation et cela coûte cher en heures de travail… pour finalement arriver à un prix de revient plus important que si nous nous approvisionnons auprès des producteurs dans le cadre de nos tournées d’approvisionnement ». Ces achats sont parfois complétés par du demi-gros auprès de structures comme Agrobiodrôme (8) ou Agri-Court (9).
Progressivement, « Le Bateleur s’est mis à la disposition de ces producteurs qui nous font faire du travail à façon et étiquettent à leur nom. Ces bocaux sont ensuite vendus dans des boutiques de producteurs ». Cela représente un tiers de l’activité aujourd’hui.
Plus récemment, une activité de traiteur a été mise en place : « cela nécessite de faire plus de cuisine, mais c’est plus intéressant ». La gamme des produits évolue sans cesse. Pour cela de petites productions, avec une quinzaine de bocaux, sont testées par des proches qui donnent leur avis. « La question du goût et de l’odeur est très affective. Cela suscite beaucoup de débats sur l’équilibre à trouver entre des demandes de plus de gras, de plus de sel et la nécessité de se démarquer de la malbouffe ».

Une démarche solidaire

Aujourd’hui, Le Bateleur travaille avec une cinquantaine de fournisseurs, la plupart en Drôme et Ardèche, mais aussi à Lyon. Le Bateleur essaie de faire profiter de sa structure à différentes autres structures d’aide alimentaire. Grâce à un fonds solidaire de la Nef (10), l’atelier du Bateleur a pu accueillir des publics bénéficiaires, notamment des membres du réseau GESRA, Groupement des épiceries sociales et solidaires de Rhône-Alpes (11).
La structure accueille régulièrement des stagiaires, des personnes en reconversion, des futur·es entrepreneu·ses de la conserve qui viennent pour apprendre, se former, et construire. Le Bateleur fait parti du réseau REPAS (12).
Le Bateleur a choisi de travailler avec Fleuve de liens (13), qui en partenariat avec Les Canaliens et leur péniche Séraphine transporte les produits par voie fluviale le long du Rhône, avec parfois des trajets à la demande (jusqu’à Paris, Bruxelles). Une péniche émet 40 fois moins de pollution atmosphérique qu’un camion et consomme 4 fois moins de carburant en pouvant transporter 5 fois plus ! La livraison à l’arrivée est assurée par vélo. Notamment pour livrer des magasins du GESRA.
Être au Bateleur, c’est encore savoir jongler avec les relations humaines, la production alimentaire et les aléas économiques.

Contacts :
* Association le Bateleur, 363A route de Tazuc, 07190 Saint-Pierreville, tél : 06 81 36 88 59, www.le-bateleur.org
* Fleuve de Liens, 3100 route d’Intras,, 07400 Valvignères, https://fleuvedeliens.fr
* Les Canaliens, 28 rue des Acacias 93800 Epinay-sur-Seine, tél. : 06 23 80 67 43
* REPAS, 4 allée Séverine, 26000 Valence, tél. : 04 75 42 67 45, http://www.reseaurepas.free.fr

Notes :
(1) Association Les Bergerades, 363 A, route de Tauzuc, 07170 Saint-Pierreville, tél : 06 83 62 77 00, http://bergerades.fr/
(2) Ardelaine, 363 A, route de Tauzuc, 07170 Saint-Pierreville, tél : 04 75 66 63 08, https://www.ardelaine.fr
(3) Coopératives d’utilisation de matériel agricole.
(4) Association Le Mat, Le Viel Audon, 07120 Balazuc, tél : 04 75 37 73 80, https://levielaudon.org
(5) Edition REPAS, 4, allée Séverine, 26000 Valence, tél : 04 75 42 67 45, http://editionsrepas.free.fr/
(6) Les Jardins de Cocagne sont des structures d’insertion qui produisent des fruits et légumes bios. Voir Réseau Cocagne, 4, rue des Arpentis, 91430 Vauhallan, tél : 01 43 26 37 84, http://www.reseaucocagne.asso.fr/
(7) Nature & Progrès, 13, boulevard Louis-Blanc, 30100 Alès, tél : 04 66 91 21 94, https://www.natureetprogres.org
(8) Agribiodrôme, écosite du Val de Drôme, 150, avenue de Judée, 26400 Eurre, tél : 04 75 25 99 75, https://agribiodrome.fr/
(9) Agri-Court, écosite du Val de Drôme, 150, avenue de Judée, 26400 Eurre, tél : 09 53 25 33 73, https://agricourt.fr/
(10) La Nef, société financière alternative, permet de convertir les intérêts des placements en aides accordées sur projet, Immeuble Woopa, 8, avenue des Canuts, CS 60032, 59517 Vaulx-en-Velin cedex, tél : 04 81 65 00 00, www.lanef.com
(11) GESRA, 41, avenue de la République, 69200 Vénissieux, tél : 04 78 67 45 19, www.gesra.org
(12) Réseau d’échanges de pratiques alternatives et sociales, https://compagnonnage-repas.org
(13) Fleuve de liens, 3100, route d’Intras, 07400 Valvignères, tél : 06 61 77 86 96, https://fleuvedeliens.fr

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