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Ardelaine, une coopérative qui sait tisser des liens

Michel Bernard

Fiche d’identité
Localisation : Saint-Pierreville, 550 habitant·es, Ardèche • Création : 1982 • 55 salarié·es • 20 000 visites par an • Statut : SCOP-SA • Chiffre d’affaires 2020 : 2,8 millions d’€ • 70 tonnes de laine par an dont 70 % pour la literie, 30 % pour les vêtements.

"Quand nous avons découvert que les éleveurs ardéchois jetaient leur laine parce qu’ils ne trouvaient plus d’acheteur et que la dernière filature du département tombait en ruines… on a eu envie de réagir et de prouver qu’une alternative était possible !". Ainsi commence l’histoire de cette coopérative ardéchoise.
Après la découverte d’une filature abandonnée à Saint-Pierreville, avec toutes ses machines, un groupe de jeunes se lance dans la reconstruction des bâtiments et la restauration des machines (1) avec comme projet de retrouver un équilibre économique en maîtrisant l’ensemble de la filière laine : de la tonte à la vente.
De 1972 à 1982, une communauté se met en place sur le lieu, faisant du maraîchage pour être le plus autonome possible. Gérard Barras, architecte, coordonne les travaux. Pierre Tissier, mécanicien apprend le fonctionnement des machines et leur entretien. Catherine Chambron assure la gestion, Pierre Cutzach, agriculteur, coordonne les travaux de la terre. Après dix ans, la coopérative de production voit le jour.
La première production porte sur les matelas, les couettes, les oreillers… À partir de 1986, s’ouvre à Valence un atelier de conception pour des vêtements. La vente directe est privilégiée : vente sur place, sur les foires et salons bio, vente par correspondance.

Comment grossir ?

En 1990, autour des 12 salarié·es, de nombreu·ses bénévoles se retrouvent dans l’association Les Bergerades, association de recherche-action pour le développement local. Jusqu’en 2000, cette association met en place les activités culturelles liées à l’ouverture d’un musée de la laine. Un bâtiment est rénové et un parcours permet de découvrir les différentes étapes : tonte, cardage, filage, tissage, tricotage, feutrage… Cette activité touristique connaît vite un grand succès (20 000 visites par an) et permet de renforcer la vente en direct. Le musée s’enrichit avec une partie qui présente les développements industriels. Ce succès permet à l’association d’être partenaire de la communauté de communes pour participer à d’autres projets de développement local.
Le 1er janvier 2000 entre en vigueur la loi qui fixe le temps de travail hebdomadaire à 35 h. À cette date, l’effectif est de 23 personnes. Cela nécessite une réorganisation des tâches, de nouvelles embauches… et le constat est que les charges augmentent à masse salariale égale. Il a fallu faire de la "croissance" non pas pour se développer plus, mais pour assurer la stabilité des emplois.

SCOP ou SCIC ?
De Scop SARL (société à responsabilité limitée) à l’origine, Ardelaine est devenue Scop SA (Société anonyme) après une réflexion collective : cela permet d’avoir un conseil d’administration au lieu d’un seul gérant. En 2001, apparaît un nouveau statut : les SCIC, Société coopérative d’intérêt collectif, qui permet de faire entrer dans le conseil d’administration et dans le capital des collectivités locales, des producteurs, des institutions, des associations. Ce statut, envisagé un temps, n’est finalement pas retenu.

À cette époque, Béatrice Barras, l’une des fondatrices, devenue l’historienne du lieu, explique : " Ardelaine a été portée par des personnes qui ont mutualisé leurs moyens et dont le projet était de créer cette coopérative sans compter leur temps. Maintenant, on est dans une autre configuration. Ardelaine est une entreprise qui a sa logique propre et donc on laisse le choix aux salariés d’être coopérateurs ou non ".
En 2005, le cap des 30 salarié·es est atteint, mais seul·es 18 ont pris des parts dans la coopérative. Pour éviter une coupure entre les deux statuts, les réunions sont ouvertes à tou·tes, y compris les assemblées générales. Comme il y a de nombreux postes qui travaillent par petites équipes, un travail important est également fait pour s’assurer que toute l’information circule bien. Les repas de midi, sur place, sont des lieux de mutualisation des informations et d’échanges pour éviter le développement de mécompréhensions et de crises. Après une assemblée générale extraordinaire en 2016, les salarié·es ayant plus de deux ans d’ancienneté, doivent maintenant prendre des parts de société.
L’échelle des salaires est simple : le SMIC pour tout le monde, + 20 % pour les membres du comité de direction.

La concurrence du commerce équitable

Les gains de productivité dont Ardelaine bénéficie en maîtrisant l’ensemble de la filière laine ne sont toutefois pas énormes et l’équilibre économique est toujours fragile. Cet équilibre est affaibli par le développement du "commerce équitable". Dans les points de vente, une concurrence apparaît dans les années 2000 avec l’arrivée de vêtements à bas prix, produits dans des pays à bas salaires (souvent l’Inde). Si dans les pays d’origine, les product·rices sont effectivement mieux payé·es avec le "commerce équitable", cela permet de vendre ici à un prix moindre car le prix du travail dans le pays d’origine ne représente qu’une faible part du prix final (2).

De nouvelles activités

Le succès du musée fait que de nombreuses personnes cherchent à manger sur place et que les restaurants locaux ne peuvent faire face à l’arrivée de cars entiers de scolaires ou aux pointes de fréquentation en été. Un immense bâtiment est alors mis en chantier, il va abriter des bureaux administratifs pour Ardelaine, un restaurant locavore, une librairie et également une conserverie. Le chantier dure de 2008 à 2010. Cela crée de nouveaux emplois et en 2012, il y a 37 salarié·es. L’ensemble de cette évolution bénéficie de l’aide de l’association Bergerades où se comptent plus de 200 personnes. Le restaurant a servi jusqu’à 9300 repas en 2011, mais de manière saisonnière : il ne fonctionne que de mai à octobre.
L’entreprise connaît une croissance lente mais régulière et compte aujourd’hui 55 salarié·es (pour 49 équivalents temps plein). Elle fonctionne en secteurs d’activités, chacun avec une équipe de 3 à 5 personnes (3). Il est essayé que chaque personne soit polyvalente dans plusieurs activités, notamment parce que certaines activités sont saisonnières. Nadia qui nous accueille donne cet exemple : "la tonte se fait de février à juin, et le tondeur vient renforcer l’équipe qui assure les visites en été, puis passe au cardage et à la réalisation de matelas à l’automne".

La crise sanitaire

Du fait des épisodes de confinement et des règlements sanitaires, l’année 2020 a vu l’effondrement des animations sur place et de la vente dans les salons et les magasins. La vente par correspondance s’est envolée. Ceci a nécessité une réorganisation pour réaliser de très nombreux colis ou, lorsque cela était possible, la livraison sur des parkings, en plein air.
La première période de confinement a été une période de remise en cause de la société de consommation pour beaucoup de personnes et en cherchant comment acheter localement, de nouvelles commandes, notamment pour la literie, sont arrivées par internet. "L’année 2020 a quand même été une période de montagnes russes", avec une forte baisse d’activité pendant le premier confinement de mars et avril, puis une forte hausse des visites pendant l’été, avec beaucoup de nouvelles personnes.
Finalement, les années 2020 et 2021 ont été satisfaisantes du côté des ventes.

La question de l’énergie

Les vieux bâtiments sont mal isolés et entraînent des consommations importantes de gaz et d’électricité. Depuis de nombreuses années, la question de l’isolation et de la production d’énergie est débattue. Alors que la réalisation d’un toit au-dessus de la zone de stockage était en projet, il a été décidé d’équiper la charpente de capteurs solaires thermiques pour le chauffage du sol de ce nouveau bâtiment, l’eau chaude sanitaire du restaurant et de l’atelier de transformation. À côté, des panneaux photovoltaïques ont été mis en place sur 144 m² pour une puissance de 30 kWcrêtes (4). Cette installation en autoconsommation couvre 18 % de la consommation électrique du site. L’ensemble a été terminé en mars 2020 et à été financée par une SAS, société par actions simplifiées, Aurance énergie créée en 2012. Le prix de l’électricité est fixe pendant 15 ans, un sérieux atout au moment où les prix du marché s’envolent.
On pourrait penser que la laine puisse servir à isoler les bâtiments. Mais ce n’est pas le cas. Cela demande des savoirs spécifiques et les traitements utilisés pour que la laine ne se dégrade pas dans le temps sont problématiques : soit on utilise le sel de Bore, peu dangereux, mais dont la durée d’efficacité est assez faible (il faudrait traiter la laine régulièrement) soit on doit utiliser des produits chimiques…
Toute les laines restent donc dans la filière textile, avec différents usages selon leurs qualités (laine de mérinos pour les vêtements), les chutes sont recyclées (feutrage ou repartent pour refaire du fil).

Échanger avec d’autres alternatives

Ardelaine est l’une des entreprises à l’origine du Réseau d’échanges et de pratiques alternatives et solidaires REPAS, qui regroupe une trentaine de structures pour qui l’entreprise n’a pas pour but le profit, mais la création d’une production utile, écologique et sociale. Ce réseau a mis en place depuis 2000, un "compagnonnage" pour les jeunes porteurs et porteuses de projet. Alternant semaine de formation théorique et immersion dans les différentes structures, ces jeunes vont ensuite créer leurs propres activités. REPAS a lancé une maison d’édition en 2014 pour publier des récits d’expériences alternatives. Le premier livre a été Moutons rebelles présentant l’histoire d’Ardelaine, par Béatrice Barras.

Une direction 100 % féminine

Béatrice et Gérard Barras, présent·es depuis les débuts, sont à la retraite depuis 2015, mais restent bénévoles au sein de l’association Les Bergerades. Les salarié·es se sont renouvelé·es et tous les âges sont présents sur le site.
Le nombre de salarié·es est à une taille charnière : à plus de 50 emplois équivalent temps plein, Ardelaine passe un seuil légal au-delà duquel doit être créé un comité d’entreprise, un Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail, une délégation du personnel avec la possibilité de créer des syndicats et d’avoir des délégué·es ayant des heures syndicales prises en charge par l’entreprise.
Dans une entreprise où les salaires sont égaux, où les décisions sont prises selon le principe "une personne = une voix", cette législation paraît décalée.
Actuellement, l’assemblée générale des associé·es élit un conseil d’administration de 15 personnes ayant des mandats de 6 ans, parmi lesquelles est élue une directrice générale (Claire) et une présidente (Cécile).
70 % sont des salariées et 100 % du comité de direction sont des femmes, le conseil d’administration comptant 5 hommes et 10 femmes. Cela ne va pas sans révéler la prégnance du patriarcat : des acheteurs masculins souhaitent négocier avec des hommes ! De même l’âge de la direction (35 ans) provoque quelques méfiances notamment dans le milieu financier.
Pour Nadia, "les gens viennent travailler à Ardelaine pour avoir un emploi qui a du sens". Mais il faut se faire à l’organisation très horizontale. "Il y a de l’intuitif et de la confiance… et finalement assez peu de bug !".

* Ardelaine, 363 A, route de Tauzuc, 07170 Saint-Pierreville, tél : 04 75 66 63 08, https://www.ardelaine.fr
* Restaurant d’Ardelaine, tél : 04 75 66 62 66
* Association Les Bergerades, 363 A, route de Tauzuc, 07170 Saint-Pierreville, tél : 06 83 62 77 00, http://bergerades.fr/
* Aurance énergies, chez Thierry Gilbert, 1, impasse des Genêtes, 07200 Saint-Privat, https://aurance-energies.fr/
* Moutons rebelles, Béatrice Barras, collection utopiques, éditions REPAS, 2014, 248 p.

Notes :
(1) Les machines anciennes - parfois près de 100 ans - n’ont pas d’électronique et sont donc réparables.
(2) Silence a publié de nombreux articles sur la question de l’ambiguïté du commerce équitable. Voir notamment le dossier « Débat autour du commerce équitable », n°303, novembre 2003.
(3) Ateliers : Tonte, tri des laines, cardage, matelas, couettes/oreillers, tricotage, confection, sommier, restaurant, musée (animation, loisirs créatifs, visites), librairie (débats, rencontres), vente à distance, commercial, boutique, comptabilité, relations humaines, communication, maintenance.
(4) kWcrète : puissance obtenue quand le soleil est à son maximum.

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