La numérisation des MLC (Monnaies locales complémentaires) permet un changement d’échelle, estime Yves Herzog. « Celles qui se limitent aux billets seuls peinent à dépasser le cercle restreint des premiers convaincus, rendant encore plus difficile leur autonomie financière. Plus rapidement nous arriverons à élargir la communauté d’usage, plus grande sera la communauté d’utilisateurs engageant un processus de remise en question de leur mode de consommation. Une des vertus des MLC est de permettre aux acteurs locaux de se réapproprier l’usage de la monnaie autour de valeurs choisies et partagées. Le choix du moyen de paiement est secondaire. »
« Pour tenter d’y associer une population plus large, renchérit Philip, récupérer une partie des outils des monnaies nations, comme le paiement électronique (1) est une solution. Les puristes, dont je suis, resteront réfractaires à son usage (comme je le suis à celui de la carte bancaire), et continueront à privilégier la version papier. »
À la caisse, une diversité d’approches
Affirmer que la numérisation demande au commerçant d’avoir un terminal de paiement est faux, poursuit Yves Herzog. « Seul le paiement par carte type EuskoKart nécessite un terminal. Ce mode de paiement a été déployé avant l’arrivée des paiements par mobile. Le paiement par mobile ne se fait que du côté client. Le professionnel peut vérifier le paiement via son compte en ligne. Il peut également payer depuis son compte les fournisseurs membres du réseau. Ce type de paiement est largement plébiscité par les professionnels car bien plus simple au regard de leur charge de travail quotidienne. »
Par ailleurs, à la caisse, il existe une diversité d’approches, complète Philip. « Au sujet de l’exclusion des encaissements en billets dès lors que la version électronique est mise en place, chaque monnaie a son approche. Il est possible d’exiger des adhérent·es professionnels d’une monnaie locale d’accepter les deux modes de paiement (billets et électronique) ou uniquement papier, sans laisser le choix du seul mode électronique. À notre niveau, nous avons opté pour rendre obligatoire l’acceptation des billets pour pouvoir prétendre à recevoir des paiements électroniques. »
Concernant les exemples d’e-commerce auxquels l’article faisait référence, qui pourraient utiliser des monnaies locales numériques et ainsi ne rien changer à des modes de consommation délétères, ils « sont marginaux et ne représentent pas une nouvelle tendance mais juste une possibilité supplémentaire pour des commerces qui sont déjà dans nos réseaux », précise Yves Herzog.
Un impact écologique très limité
Philip rectifie l’affirmation selon laquelle verser une partie du salaire en MLC avec une version papier serait impossible. « Bien sûr que cela est possible puisque nous le pratiquons, comme l’y autorise la loi. Sur le principe général, pour tout salaire inférieur à 1 500 euros, son paiement peut être réalisé en espèces (qui peuvent être aussi bien des euros que des unités de monnaie locale). Au-delà de ce montant, il faut passer par le versement d’un acompte sur salaire, là aussi réalisable en monnaie locale. »
Yves Herzog conteste l’argument de l’impact environnemental du numérique. « Pour la gestion des données courantes, les MLC disposent toutes au minimum d’un serveur de stockage distant. Un serveur de paiement numérique ne représente guère plus de consommation électrique. Pour les transactions, la quantité de données transmises par un mobile pour un utilisateur intensif ne représente pas plus de 10 Mo par mois. Le niveau de consommation de ce type de service est insignifiant (...). »
Et Silence dans tout ça ?
Le questionnement sur la pertinence de l’utilisation des outils numériques est « transposable à tout type d’activité, estime Philip. Est-il possible de réaliser une revue alternative, écologique, non-violente, sans avoir recours à l’ordinateur, au numérique ? Dès lors, la numérisation de l’édition vers une perte de sens ? Un ordinateur n’est pas écologique (même si la revue a fait les choix que l’on connait vis-à -vis d’internet), non-violent (extraction des terres rares par exploitation humaine inhumaine pour faire simple). Ces interrogations (perte de sens) sont systématiquement les mêmes dès lors qu’un projet cherche à dépasser le premier cercle. La bio dans son acceptation légale européenne est bien loin de celle des valeurs des précurseurs. Pour autant, vaut-il mieux plus de bio, fut-elle »européenne« ou que de la bio »des origines« ? »
Même questionnement chez Yves Herzog. « La revue Silence a opté pour un paiement de l’abonnement par mandat de prélèvement européen SEPA. N’est-ce pas également un bon moyen d’augmenter le nombre de lecteurs, alors qu’il aurait été plus riche de les rencontrer aux kiosques, un à un, pour les convaincre des valeurs portées par votre travail rédactionnel ? »
Semons la biodiversité monétaire
Alors, quelle conclusion en tirer ? « À titre personnel, estime Yves Herzog, je pense que nous devons trouver, avec nos moyens toujours trop limités, comment mobiliser rapidement le plus grand nombre, et défricher collectivement d’autres modes de coopération et de comportement. Et dans l’hypothèse de ruptures majeures de fonctionnement des réseaux numériques, nous aurons d’ici-là déployé une première collectivité apprenante et sachante, qui saura d’autant plus facilement déployer des alternatives plus résilientes. Dépassons les nécessaires premières réflexions idéologiques pour nous mettre en route avec les moyens du moment, et atteindre collectivement de premiers objectifs ! ».
« Semons de la biodiversité monétaire, propose Philip. Certaines pousses sembleront plus belles aux yeux de certaines personnes, des mauvaises herbes pour d’autres, alors que ce qui a le plus de sens c’est la pluralité, la complémentarité, la mixité et la richesse de pouvoir disposer du tout. »
(1) « Avec les défauts que vous pointez, et d’autres non évoqués comme le justificatif d’identité, l’éventuel changement du montant de l’adhésion par exemple ou l’encadrement et le contrôle réalisé par l’ACPR. »
• La Cigogne, https://lacigogne-alsace.fr.