Pour produire de l’électricité, l’alternateur d’une centrale nucléaire ou d’une centrale thermique a besoin d’une source chaude et d’une source froide. Cette dernière provient de l’eau pompée en grande quantité soit dans la mer, soit dans les cours d’eau.
L’ensemble du parc nucléaire français, 56 réacteurs, a besoin d’environ 800 millions de m³/an pour fonctionner. Cela représente 20 % de notre consommation d’eau, 50 % de la consommation des eaux de surface.
30 réacteurs fonctionnent en circuit fermé (c’est-à-dire avec des tours de refroidissement qui permettent une économie de 60 % des quantités d’eau), les 26 autres en circuit ouvert : 14 en bord de mer et 12 sur les fleuves.
Les réacteurs nucléaires ont besoin des rivières
Ces centrales nucléaires se heurtent à deux obstacles :
– Les centrales nucléaires rejettent de l’eau réchauffée par le processus de refroidissement des réacteurs, ce qui contribue au réchauffement des cours d’eau. Au-delà d’une certaine température, la faune et la flore meurent.
– Le débit nécessaire. Pour limiter le problème des sécheresses, de nombreux barrages ont été construits en amont des réacteurs.
Les étés étant de plus en plus chauds et de plus en plus secs, ces deux problèmes prennent de l’importance.
Lorsque la moitié des réacteurs nucléaires sont en panne comme cet été 2022, il devient difficile, pour couvrir nos consommations en électricité, d’arrêter des réacteurs supplémentaires. Or, en parallèle, la consommation électrique est en hausse du fait du recours de plus en plus important à la climatisation à chaque canicule.
Lors de la canicule de 2003, le gouvernement n’a pas hésité à accorder à EDF des dérogations pour maintenir la centrale de Golfech (Tarn-et-Garonne) en fonctionnement. C’était la première d’une longue série. Sur le Rhône, la Compagnie nationale du Rhône qui assure la circulation des navires et la gestion des barrages hydroélectriques a l’obligation de donner la priorité au maintien du débit pour les réacteurs de Bugey (Ain), Saint-Maurice-l’Exil (Isère) et Tricastin (Drôme).
Des rivières transformées en cimetière
La centrale de Cattenom (Moselle, près de la frontière avec le Luxembourg) pompe de l’eau dans la Moselle. Le débit de l’eau n’étant plus suffisant, en juillet 2019, en août 2020, puis à partir du 22 juillet 2022, la centrale doit pomper de l’eau dans le lac de Mirgenbach, une réserve d’eau normalement prévue pour l’industrie locale. Alors que seul un réacteur est en marche, le débit de la Moselle (18,5 m³/s le 22 juillet) est insuffisant. Il y a normalement quatre réacteurs. Il n’y a pas d’eau pour éventuellement démarrer les trois autres.
Cette décision n’est pas la seule : le 17 juillet 2022, la centrale de Bugey bénéficie d’une dérogation pour continuer à rejeter de l’eau bien que la température du Rhône soit trop élevée. Même dérogation à Golfech (qui chauffe la Garonne bien que l’eau du fleuve soit déjà à 29 °C), au Blayais (encore la Garonne) et à Saint-Maurice l’Exil (dans le Rhône). Ces dérogations permettent de dépasser le seuil légal de 28 °C. Accordées jusqu’au 24 juillet initialement, elles sont prolongées jusqu’au 7 août puis jusqu’au 11 septembre (1).
Les baigneurs et les baigneuses qui apprécient en aval ces eaux chaudes ne doivent pas ignorer qu’elles se baignent dans un cimetière : la faune et la flore déjà affaiblies à 28 °C disparaissent encore plus vite quand la température est plus élevée.
Les dérogations portent sur un dépassement possible de 3 °C.
Il est prévisible que dans les années qui viennent la situation soit encore pire. Le BRGM, Bureau français de recherche géologique et minière, a publié en juillet 2022 une étude qui estime que le débit des cours d’eau devrait en moyenne baisser de 10 à 40 % d’ici 2050… et de 60 % en été (2). C’est pourquoi l’ASN, Autorité de sûreté nucléaire, a trouvé une solution : remonter le seuil des normes (3). La déclaration de l’ASN est cynique : le maintien de la fourniture de l’électricité passe avant les préoccupations environnementales. Autant dire qu’on préfère refroidir les centrales nucléaires qu’assurer la survie des poissons, et, à terme, l’ensemble du vivant.
La mer comme solution ?
À titre de comparaison, les centrales au gaz fonctionnent de la même manière, avec une source froide provenant de l’eau extérieure. Le 21 juillet 2022, la centrale thermique au gaz de Martigues (Bouches-du-Rhône) s’est vue dans l’obligation de baisser sa puissance de 50 % : l’eau de la Méditerranée étant à température trop élevée (jusqu’à 27 °C) (4).
Il y a une énorme différence entre les centrales au gaz et les centrales nucléaires : dans les premières, on peut très facilement moduler la quantité de gaz brûlé et donc faire varier la puissance. Pour le nucléaire, un réacteur est prévu pour être stable à une certaine puissance et ne peut pratiquement pas suivre la demande. C’est d’ailleurs pour cela que l’on utilise le nucléaire en base, c’est-à-dire pour assurer les besoins en électricité minimum et le gaz (et l’hydraulique) en complément.
Si le gouvernement veut installer les nouveaux réacteurs EPR en bord de Manche, notamment à Flamanville (Manche) et à Penly (Seine-Maritime), c’est parce l’eau de l’océan est encore pour le moment très fraîche en été : rarement plus de 20 °C. Mais cela change et les records tombent.
Selon les rapports du GIEC, il est prévu que la température de la Méditerranée augmente de 2,2 °C à 3,8 °C d’ici 2100. À chaque nouveau rapport de ce groupe scientifique, ces chiffres sont revus à la hausse. Et pour cause : durant l’été 2022, la température de la Méditerranée était déjà à 4 °C au-dessus des normales (5), soit plus que ce qui était prévu pour 2100. Et c’est loin d’être le seul problème pour les centrales au bord de mer : le risque accru de montée des eaux et d’ouragans rend ces installations chaque jour plus dangereuses.
(1) France Bleu, 6 août 2022.
(2) France 24, 2 août 2022.
(3) La Tribune, 21 juillet 2022.
(4) Révolution énergétique, 21 juillet 2022.
(5) L’Indépendant, 6 août 2022.
Un rapport de l’IRSN, Institut de recherche sur la sûreté nucléaire, paru en mars 2022, indique que de nouvelles simulations sur les possibles inondations de réacteurs placés en bord de mer indiquent un risque plus grand que prévu lors de la construction de ces réacteurs… et ceci même sans élévation du niveau des mers.