Le 7 juillet 2022, le gouvernement d’Élisabeth Borne a déclaré d’intérêt public le centre d’enfouissement des déchets nucléaires de Bure (Meuse) (Voir article page 12). Cette nouvelle étape administrative veut renforcer l’idée que l’on peut résoudre la question des déchets nucléaires en les enterrant. C’est évidemment faux. Ce n’est pas parce que l’on met un produit de longue durée de vie et très dangereux à 500 mètres de profondeur qu’il devient subitement inoffensif. Les expériences d’enfouissement en Allemagne (Asse) (1) et aux États-Unis (WIPP, Nouveau-Mexique) (2) ont montré que les problèmes de diffusion de la radioactivité reviennent vite en surface.
Cette étape administrative permet à l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), de lancer des procédures d’expulsion pour disposer d’une centaine d’hectares de plus. Selon l’Andra, l’enfouissement des déchets pourrait commencer en 2035. De très nombreuses associations regroupées autour du Réseau Sortir du nucléaire multiplient les recours juridiques et autres actions pour bloquer l’avancée d’un projet en route depuis les années 1980.
Des montagnes de déchets
Au même moment, les réunions publiques tenues dans le Cotentin (Manche) dans le cadre des procédures administratives pour la création d’une nouvelle piscine de stockage de déchets radioactifs ont été perturbées par des personnes pas forcément opposées au nucléaire. Cette nouvelle piscine doit permettre d’accueillir au cap de la Hague, 6 500 tonnes de déchets radioactifs supplémentaires. Les opposant·es ne veulent plus être la poubelle du nucléaire : il y a déjà 10 000 tonnes de combustibles irradiés stockées dans les piscines actuelles sur le site d’Orano (ex-Areva). Cela représente l’équivalent d’une centaine de cœurs de réacteurs nucléaires (3). Une concentration de matières radioactives parfaite pour un attentat de grande ampleur. La solution alternative est le stockage des déchets directement sur les sites des centrales comme cela se fait dans d’autres pays. Cela évite la concentration au même endroit et évite des trajets dangereux.
Évidemment le coût de la surveillance de ces déchets pendant des milliers d’années n’est que très partiellement intégré dans le prix de l’électricité nucléaire. Il devra être pris en charge en grande partie par des financements publics.
La renationalisation d’EDF : preuve d’un nucléaire non-compétitif
Aux déchets qu’il faut surveiller et qui ajoutent un prix non négligeable à l’énergie nucléaire, il faut aussi ajouter le budget nécessaire pour le démantèlement des réacteurs anciens. Actuellement, après plus de cinquante ans de production électrique nucléaire, aucun réacteur n’a été totalement démonté et les coûts se sont envolés…
EDF ne pourra pas financer ces coûts à venir pour la simple raison que l’entreprise est déjà au bord de la faillite, n’arrivant plus à rentabiliser les réacteurs existants, ni à financer de nouveaux réacteurs.
Le 9 juillet 2022, le gouvernement n’a donc rien trouvé de mieux que d’annoncer la renationalisation d’EDF, à contre-courant de ses idées libérales. Cela va nécessiter de la part de l’État de racheter les 14 % de parts encore placées en bourse soit 9,7 milliards. Mais ce ne sont pas les seuls frais pris en charge par l’État. Dans un article détaillé, le Canard Enchaîné du 20 juillet 2022, estime que l’ensemble des coûts pris en charge par l’État va dépasser les 150 milliards. Ces milliards sont payés par le contribuable et ne seront pas comptés dans le prix du kWh nucléaire.
L’arme nucléaire nécessite le maintien d’un parc nucléaire
Alors que les coûts du nucléaire s’envolent, les parcs solaires et éoliens fournissent déjà de l’électricité à un prix beaucoup plus faible. Alors pourquoi cette obstination ?
Quels sont les pays qui développent encore aujourd’hui des réacteurs nucléaires ? Ce sont la Russie, la Chine, la France et la Grande-Bretagne. Quatre pays qui possèdent la bombe nucléaire. Il manque les États-Unis dont le programme de centrales nucléaires électriques s’arrête progressivement. Les États-Unis ont fait le choix d’avoir spécifiquement des réacteurs nucléaires militaires pour produire la matière fissile nécessaire à ses armes nucléaires. Ces cinq pays sont aussi les cinq à avoir un droit de veto à l’ONU. C’est tout sauf un hasard.
En effet, pour maintenir en état de fonctionnement les armes nucléaires, qu’elles soient au plutonium ou à l’uranium, il faut remplacer régulièrement la matière fissile. Celle-ci en se désintégrant (source de la radioactivité), devient moins pure avec le temps et cela diminue l’efficacité supposée de la bombe. Pour maintenir en état ces armes, il faut donc renouveler le combustible, ce qui nécessite, pour un pays comme la France, de maintenir en fonctionnement entre deux et quatre réacteurs. Plutôt que de financer cela sur le budget déjà énorme de la Défense, il a été fait le choix d’avoir des réacteurs dits « civils » produisant à la fois de la matière fissile pour les armes nucléaires et de l’électricité.
Ces freins qui rendent le programme nucléaire encore plus irréaliste
Comme tous les réacteurs actuels, construits dans les années 1980, arrivent en fin de vie, Emmanuel Macron a annoncé, le 10 février 2022, vouloir construire entre 6 et 14 réacteurs EPR d’ici 2042. Cela coûterait au minimum 50 milliards d’euros, un budget qu’EDF n’a pas.
Dans le gouvernement mis en place autour d’Élisabeth Borne, on compte de très nombreu·ses partisan·es du nucléaire. Cela ne suffira probablement pas à débloquer les projets. Car outre une opposition maintenant plus virulente à l’Assemblée nationale (France insoumise, Europe écologie les Verts), il y a aussi d’autres facteurs qui freinent ce projet.
Le premier frein est la perte de compétence au niveau des ingénieurs. EDF n’arrive plus à recruter des spécialistes de haut niveau. Les écoles qui les forment ont supprimé les concours, offrent maintenant des salaires dès les études… et malgré cela n’arrivent plus à intéresser suffisamment d’étudiant·es qui préfèrent travailler dans les renouvelables. Cette perte de compétence s’illustre par le désastre du chantier de l’EPR de Flamanville dont les coûts se sont envolés et qui ne fonctionne toujours pas alors que le projet a été lancé dans les années 1990. Ce chantier est aujourd’hui encadré par des spécialistes dont certains ont largement dépassé l’âge de la retraite.
Un autre frein est d’ordre économique : aujourd’hui, pratiquement toutes les autres formes d’énergie permettent de produire à un coût moindre de l’électricité. Le monde de la finance l’a bien compris et s’est détourné du nucléaire. Les investissements dans l’éolien et le solaire assurent des retours financiers beaucoup plus sécurisés.
Un nouveau frein est en train de se mettre en place : la doctrine de la dissuasion nucléaire – qui justifie que nous dépensions plus de 4 milliards par an pour entretenir l’arme nucléaire – a de moins en moins de crédibilité. Depuis les deux premières bombes atomiques d’Hiroshima et Nagasaki en 1945, personne n’a osé se servir d’une arme nucléaire et le conflit déclenché par la Russie en Ukraine est en train de démontrer une nouvelle fois que l’arme nucléaire ne sert à rien. Si l’armée française renonçait, comme l’y engagent plusieurs traités internationaux, à disposer de la bombe atomique, plus rien ne justifierait la construction de nouveaux réacteurs.
Malgré toutes les gesticulations du lobby, il n’est pas du tout sûr que le nucléaire puisse survivre à la réalité : il est trop dangereux, trop cher, produit des déchets pour des millénaires… et dans le domaine de l’énergie, peut d’ores et déjà être remplacé par des énergies renouvelables.
(1) La Croix, 19 septembre 2021.
(2) Voir le Waste Isolation Pilot Plant (WIPP) sur Wikipédia.
(3) Le combustible étant renouvelé tous les deux ans, avec 56 réacteurs fonctionnant pendant 40 ans, il y aura donc environ 1 000 cœurs à stocker.
Le gouvernement a annoncé le 30 juillet 2022 n’avoir aucune candidature pour remplacer Jean-Bernard Lévy à la direction d’EDF. Est-ce parce qu’il s’agit d’une des entreprises les plus endettées au monde ? Une entreprise qui doit composer entre les injonctions de l’État pour rétrocéder son électricité à un prix trop bas, les pannes qui s’accumulent dans des réacteurs nucléaires vieillissants, un chantier de nouveau réacteur, l’EPR, qui semble sans fin du fait de la perte de compétence des spécialistes ? Une entreprise tellement désertée par les financiers que l’État est obligé de la renationaliser pour éviter la faillite ? Rien de tout cela. Du fait de la renationalisation, le nouveau PDG va devoir respecter les limites de salaire fixées dans la fonction publique : 450 000 € par an. Ce qui est jugé trop faible par les grands patrons. À peine 37 500 € par mois, c’est misérable !
Dans un entretien au Point du 30 juin 2022, le PDG de Total explique que la multinationale qui veut investir dans les énergies propres, ne se lancera pas dans le nucléaire : « Nous n’avons pas les compétences, c’est très capitalistique et le cocktail de risques est trop important pour une entreprise privée ». Il confirme donc les analyses des opposant·es : ce n’est pas maîtrisé, cela coûte trop cher et c’est trop dangereux.