Les luttes écologistes qui ont été victorieuses, par l’abandon d’un projet contesté ou d’une loi, ou encore par le maintien d’un service public écologique ou l’adoption d’une loi, représentent une petite proportion de l’ensemble des luttes menées.
Freiner le système sans le changer
S’il est important de ne pas oublier de célébrer les victoires, il est nécessaire d’être lucides sur la faiblesse du rapport de forces global. Les nombreuses victoires recensées montrent qu’engager des luttes n’est pas inutile. Cependant, elles ne sont pas suffisantes actuellement pour enrayer, à l’échelle de notre territoire, la chute de la biodiversité, l’artificialisation des terres, les pollutions etc. Ces victoires restent faibles par rapport à l’avancée inexorable du capitalisme destructeur et n’ont pas pour le moment permis d’inverser la tendance. Elles nous permettent de freiner la marche vers la destruction mais pas de changer le cap.
Les zones grises des victoires
Les victoires de l’écologie comportent un certain nombre de zones grises :
Les arbres qui cachent la forêt. C’est ce qui arrive lorsque toutes les énergies et la médiatisation sont concentrées sur une lutte, pendant que d’autres projets destructeurs avancent à côté sans faire de bruit. La médiatisation d’une cause ne doit pas faire de l’ombre aux autres luttes menées. Pendant que les mobilisations se focalisaient sur la résistance à l’extension du camp militaire du Larzac, l’armée agrandissait le camp de Canjuers, dans le Var (1).
La question du déplacement géographique des projets. Pour ce qui est des grands projets inutiles et imposés ayant une dimension territoriale (centre d’enfouissement de déchets nucléaires, entrepôt d’Amazon etc.), leur refus par une solide résistance organisée sur un territoire donné constitue une victoire pour le territoire en question… mais ce n’en est pas une si le projet est « juste » déplacé sur un autre territoire moins peuplé, moins organisé, plus démuni pour y faire face.
L’après-victoire. L’exemple de Notre-Dame-des-Landes montre que sur le lieu d’une victoire de terrain, l’abandon du projet laisse de nombreux problèmes en suspens. C’est l’opposition à un projet qui resserre les rangs entre des acteurs parfois très variés. Une fois qu’il s’agit d’organiser la suite, cela devient plus compliqué. Le rapport à la légalité (accepter les cadres normatifs que l’État impose, ou les refuser pour rester dans l’illégalité et le rapport de forces), les intérêts divergents (entre riverain·es, habitant·es, paysan·nes, zadistes, environnementalistes, etc.) font que certains problèmes émergent après la victoire.
Enfin, certaines situations sont des semi-victoires (construction d’un entrepôt ou d’une route mais en artificialisant moins de terres que prévu, par exemple).
N’oublions pas, pour finir, qu’il y a une dose possible de victoire dans certains échecs. Même lorsque l’on n’arrive pas à bloquer un projet destructeur, il est rare qu’une lutte soit totalement perdue. Elle permet à des réseaux de se constituer, de faire progresser les consciences (la « transition intérieure »), de former de nouv·elles militant·es, etc. Autant d’avancées peu visibles mais précieuses pour écrire la suite.
(1) Pendant que l’attention générale se focalisait sur le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, combien d’aéroports ont été construits ou agrandis ?