Dossier Environnement Tourisme

Lutter et gagner contre le tourisme 

Gaëlle Ronsin, Hermine De Francqueville

Les années 1960 peuvent être considérées en France comme la décennie ayant donné une impulsion décisive dans le domaine des équipements de loisirs. Depuis lors, le tourisme est devenu un phénomène économique et social de masse qui fait peser sur les territoires des aménagements nombreux, aux lourdes conséquences environnementales et sociales.

Se mobiliser contre le tourisme industriel

C’est ce que nous explique l’Office de l’antitourisme de Grenoble, association informelle créée durant l’opposition au projet de Center Parcs à Roybon (1) : « Le tourisme est la première industrie mondiale et occasionne ainsi de fortes répercussions. Les dégâts qu’il provoque sont aussi politiques, économiques, environnementaux et sociaux. Le tourisme est le fruit du capitalisme. Il s’est développé avec la société industrielle en reproduisant ses méfaits. Avec un taux de croissance supérieur à celui du PIB mondial, ce secteur est considéré en France comme structurant et relevant de la priorité nationale, et il est fortement soutenu par les gouvernements successifs. »
C’est aussi l’une des premières sources de mobilisation et de conflits environnementaux locaux, donnant lieu à de nombreuses victoires contre ses aménagement délétères (37 occurrences, soit plus de 20 % du total recensé). Les mobilisations ont commencé dans les années 1960 et ont donné lieu parfois à 35 années de lutte (en moyenne neuf ans et demi) pour obtenir des victoires.

Se mobiliser contre les aménagements

Les logements ou les aménagements sportifs (stades, centres commerciaux, marinas, etc.) ont des effets souvent désastreux sur l’environnement, liés à la pollution, à la dégradation du paysage, au déclenchement de phénomènes d’érosion etc. Les complexes touristiques — dont les centres de loisirs ou même les golfs — sont souvent des projets d’ampleur en termes de taille et d’aménagement des espaces naturels, tout comme les stations de ski, qu’il s’agisse de construction ex nihilo ou d’extension de domaine.
L’affaire de la Vanoise éclate au printemps 1969 (2) et occupe une place à part dans des conflits liés à la protection de l’environnement. Le Parc national de la Vanoise (Savoie) existe depuis près de six ans lorsque est rendu public le projet d’un vaste ensemble de sports d’hiver et de ski d’été empiétant sur les limites occidentales de la zone protégée. Deux stations sont prévues (3), dont l’une dans le parc, avec la construction de plus de 100 remontées mécaniques dont un tiers sur les glaciers de Chavière et de Polset. La mobilisation contre cet aménagement, qui est considérable (108 associations, 350 000 pétitionnaires), a des retentissements nationaux voire internationaux (4). Elle est finalement victorieuse en 1971 après une décision de Georges Pompidou. Pour de nombreu·ses militant·es écologistes déjà acti·ves à cette époque, l’affaire de la Vanoise a joué et joue encore un rôle central dans la constitution et le maintien d’une culture naturaliste (5).
Peut-être plus inattendue, une autre catégorie surreprésentée est celle des courses automobiles, ainsi que de moto ou quad, ayant lieu au milieu d’espaces naturels, comme la Croisière blanche (dans l’Isère), ou impliquant la construction de circuits.
La répartition géographique de ces conflits liés aux aménagements touristiques se fait selon des tendances bien précises. Sont ainsi touchés au premier plan les départements avec une forte ouverture au tourisme, c’est-à-dire d’une part les zones de montagne — en particulier les Alpes et les Pyrénées — mais aussi les littoraux, avec une plus grande intensité sur les façades sud et atlantique que sur les côtes du Nord. Le poids de ces espaces en périphérie du territoire français ne doit pas pour autant occulter l’existence d’autres foyers conflictuels dans des régions de fréquentation estivale (vallée de la Loire, Alsace…), comme la lutte contre le centre de loisirs de Braunkopf (Haut-Rhin), projet abandonné en 1990.

Des autoroutes du soleil évitées !

En soixante ans, le tourisme a structuré le territoire et favorisé le développement des autoroutes (6).
En effet, comme l’explique l’office de l’antitourisme, « le tourisme est lié à la mobilité. Il encourage l’utilisation des moyens de transport et par conséquent la construction d’infrastructures routières, ferroviaires, aéroportuaires etc., imposant l’extension d’un maillage des territoires et du monde de plus en plus serré. Pour attirer le touriste et l’inciter à la dépense, les promoteurs modèlent l’existant ou organisent des événements festifs, sportifs, culturels ou professionnels (congrès, salons, expositions). L’attractivité touristique est aussi impulsée par des aménagements administratifs (obtention de visas en 48 h, calendrier scolaire divisé en zones, labellisation, réglementation spécifique, subventions…). Cette mise en tourisme a des effets environnementaux mais aussi sociétaux, avec des hausses de loyer et de coût du foncier, l’essor du surtourisme et de la monoculture touristique, une désertification hors saison, des privatisations de biens communs, un développement de la marchandisation, de nouveaux rapports sociaux, une folklorisation, etc. ».

Les routes servent aussi à accéder à des espaces naturels, comme le sommet du mont Mézenc (Massif central), où un immense parking a bien failli être construit pour augmenter « la capacité d’accueil au sommet ». Des travaux démarrent en 1989, et les opposant·es occupent les lieux pendant l’été. Des recours juridiques sont lancés et le Conseil d’État ordonne l’arrêt des travaux car la procédure n’a pas été respectée : le projet a été présenté par petits bouts pour éviter une enquête publique, alors qu’il doit faire l’objet d’un seul budget. La pression se maintient jusqu’au 29 septembre 2000, date à laquelle les 2 740 ha du sommet sont classés en réserve naturelle.

L’illégalité environnementale comme levier de victoire

Comme pour l’ensemble des luttes environnementales, la victoire peut être obtenue de différentes façons et selon divers mécanismes. Cependant, la lutte contre les projets de « loisirs » se distingue. Les espaces soumis à des aménagements touristiques coïncident souvent avec des territoires protégés, par exemple des réserves naturelles. Cela représente à la fois une menace accrue, d’un point de vue écologique, et un levier de pression supplémentaire pour les opposant·es aux projets ! Ce type d’argument, à la fois écologique et juridique, est régulièrement invoqué par les associations protectrices de l’environnement pour mettre fin aux projets.
L’exemple du circuit automobile de Saint-Frajou (Haute-Garonne) est représentatif de cet aspect des victoires, qui reposent sur des arguments juridiques plutôt qu’idéologiques. Il s’agit, dans ce cas, d’un chirurgien ayant fait construire sans autorisation une piste de course pour voitures, au beau milieu d’une zone classée agricole et zone naturelle. Cet aménagement, réalisé dans l’illégalité totale, a été dénoncé par diverses associations protectrices de la nature (France nature environnement, Nature Comminges et Paysages de France). Son auteur, attaqué en justice, a été condamné en 2016 par le tribunal de Saint-Gaudens à remettre le terrain en état.
Les luttes se poursuivent aujourd’hui, avec de nouveaux types d’équipement : avec des projets de Center Parcs encore en cours, un projet de serre tropicale géante dans le Pas-de-Calais, des « surf parks » ou des mobilisations contre des méga centres commerciaux et de loisirs, comme EuropaCity, dans le triangle de Gonesse (Val-d’Oise), visant 600 ha de terres agricoles, conçu en 2010 et abandonné fin 2019 (7).

Pour aller plus loin :
Henri Mora, Désastres touristiques — Effets politiques, sociaux et environnementaux d’une industrie dévorante, L’échappée, Paris, 2022

Nunatak, revue d’histoires, cultures et luttes des montagnes, diffusée en librairies, https://revuenunatak.noblogs.org

Notes (1970 signes) :

(1) Ce projet a été abandonné en 2020 après des recours en justice et l’occupation du chantier (voir article p.42).
(2) Sous réserve de compensations territoriales, le conseil d’administration du Parc donna son accord pour le déclassement d’une partie du parc en 1969.
(3) Depuis, la station de Val-Thorens a effectivement été créée, dans la vallée de Saint-Martin-de-Belleville (Savoie).
(4) L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), réunie à New Delhi en décembre 1969, a même voté une résolution demandant le maintien de l’intégrité de la zone protégée. Le futur président de la République (Georges Pompidou) avait, semble-t-il, pris l’engagement de sauver le parc lors de la campagne présidentielle de 1969.
(5) Elle précède un conflit de même nature et de même envergure dans les Pyrénées occidentales, dans le vallon du Soussouéou, déclenchée par un projet d’aménagement touristique de plus de 6 000 lits. La mobilisation connut son apogée dans les années 1973-1974, avec une campagne nationale symbolisée par la sortie du film Montagne à vendre.
(6) Heureusement, de nombreux projets ont été évités, comme l’aménagement d’une autoroute entre Grenoble et Sisteron, annoncé en 1988 et abandonné en 2002, après de nombreuses manifestations et actions de blocage des travaux
(7) En novembre 2010, le projet EuropaCity est annoncé par le groupe Auchan. Quelques mois plus tard, en mars 2011, naît le Collectif pour le triangle de Gonesse. La mobilisation s’organise, avec en septembre 2014 la tenue d’un village Alternatiba, des occupations et la mise en culture des terres (des semis réunissent plus de 2 000 manifestant·es le 21 mai 2017, puis une soupe collective est cuisinée à l’automne avec la récolte). L’enquête publique rend un avis négatif le 25 août 2017 et Nicolas Hulot, alors ministre de l’Écologie, annonce son opposition au projet. Un projet alternatif est conçu, avec une zone maraîchère et une ferme pédagogique. Le gouvernement se contredit : il annonce, en juillet 2018, un objectif « zéro artificialisation des terres agricoles ». Le projet est enfin abandonné le 7 novembre 2019.

S’opposer aussi au tourisme « écocompatible »

Le tourisme doux ou durable est souvent considéré comme une alternative au tourisme de masse. Néanmoins, il n’agit pas contre ce dernier mais participe à la « touristification ». Par sa labellisation, il permet qu’une nouvelle gamme de produits soit développée, en mobilisant toute la société préalablement formatée par l’idéologie du « produire et consommer en sauvant la planète ». Mais la consommation ponctuelle de marchandises écocompatibles n’est pas essentielle contre les méfaits du tourisme à long terme. En admettant que les jeux olympiques de Paris, en 2024, se réalisent avec un bilan carbone aussi modeste que les organisateurs le prétendent, les spectateurs pourront probablement se féliciter d’avoir consommé un événement écoresponsable. Cependant, le fait d’organiser ces J. O. aura une répercussion importante sur l’avenir du tourisme à Paris et sur son impact carbone, comme les autres capitales européennes ou internationales ont pu le constater.

Office de l’antitourisme de Grenoble

Contact : Office de l’antitourisme de Grenoble, blog d’archives et d’analyse critique du tourisme : https://antitourisme38.over-blog.com
Plus d’info : Collectif Saccages contre les JO 2024 à Paris. saccage2024@protonmail.com ; https://saccage2024.noblogs.org/

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