En Guyane, un projet de mine d’or à ciel ouvert porté par un consortium international et soutenu par l’État français voit le jour en 2015. Un large mouvement d’opposition se forme à son encontre, réunissant populations amérindiennes, associations écologistes et autres organisations sociales. La lutte qui s’ensuit finit par porter ses fruits : le projet, à l’arrêt depuis 2018, est en passe d’être abandonné.
Au départ, une opposition inaudible
Dans les années 2010 se succèdent les campagnes de forage sur le site de Paul-Isnard, pris entre les deux parties de la réserve biologique intégrale de Lucifer Dékou Dékou dans la commune de Saint-Laurent-du-Maroni, à 180 kilomètres de Cayenne. Le projet de la « Montagne d’or » prend forme : il s’agit de construire une grande mine à ciel ouvert dont les infrastructures minières devraient couvrir une surface de 8 km², sans compter les centaines d’hectares nécessaires à la mise en place d’une centrale solaire pour alimenter le site.
Les graves impacts environnementaux d’un tel projet sont très vite signalés par plusieurs acteurs, notamment les associations de protection de la nature et de l’environnement. Car ils sont nombreux : du stockage des boues toxiques et des déchets miniers au risque de drainages miniers acides, en passant par la consommation d’électricité du projet (estimée à 20 mégawatts par jour, soit la consommation de la ville de Cayenne) et les problèmes de logistique, les objections que l’on peut opposer à la mine du point de vue strictement environnemental sont nombreuses. Et c’est sans compter sur l’impact positif réel de la mine sur la société et l’économie guyanaises. Le WWF Guyane calcule que les retombées fiscales possibles n’excéderaient pas 70 millions d’euros, pour un coût d’au moins 420 millions d’euros publics. Et la création d’emplois promise par les promoteurs fait l’objet de sérieux doutes.
Cet argumentaire contre la réalisation du projet Montagne d’or se construit à mesure que l’opposition se solidifie. Au départ, en 2015, alors qu’Emmanuel Macron — alors ministre de l’Économie et des Finances — fait le déplacement sur le site pour en louer les vertus et confirmer le soutien du gouvernement de l’époque, peu de voix s’élèvent pour protester. Le dossier du maître d’ouvrage promet des retombées économiques conséquentes et la classe politique guyanaise lui est acquise. Les protestations viennent de secteurs de la société peu audibles : associations environnementales ou opposées à l’orpaillage, communautés et organisations amérindiennes restant dans les marges où elles sont reléguées.
La convergence de plusieurs luttes
La résistance à la mine s’inscrit dans un réseau déjà constitué. « Il y avait déjà eu des projets miniers en Guyane, notamment le projet de IamGold, qui a lui aussi été abandonné face à la mobilisation des associations et des citoyens. Ce petit réseau, qui avait déjà lutté, s’est fédéré contre Montagne d’or », m’explique Marine Calmet, juriste et membre d’Or de question. Ce collectif réunit une centaine d’associations locales et nationales, dont Maïouri Nature Guyane, mais également Tròp violans, mouvement qui dénonce la collusion entre les élus et les multinationales, un « pillage du territoire dont nous n’aurons que des miettes », ainsi que le résume Marine Calmet. Car le projet Montagne d’or s’inscrit dans la plus pure tradition néocoloniale extractiviste, faisant peser toutes les externalités négatives sur le territoire dans lequel il s’inscrit sans y adjoindre aucun des bénéfices.
De son côté, le WWF Guyane joue un rôle de contre-expertise en recherchant et assemblant des informations autour du projet. Laurent Kelle, directeur de l’antenne guyanaise du WWF, explique qu’« on a voulu se positionner sur le champ socio-économique en tâchant de démontrer, avec un certain succès, que même sur ces aspects-là, ce projet n’avait pas grand-chose à apporter au territoire » (1).
Les organisations autochtones jouent également un rôle central. En position de force du fait des blocages et manifestations de mars et avril 2017, les organisations amérindiennes comme Jeunesse autochtone de Guyane (JAG), le Collectif Première nation, l’Organisation des Nations autochtones de Guyane (ONAG) ou encore la Fédération des organisations autochtones de Guyane (FOAG), s’opposent au projet dès qu’il est annoncé et prennent une place centrale dans les mobilisations. Parmi les promoteurs du projet, personne ne semble s’inquiéter du refus tranché des autorités coutumières. Au contraire, elles sont infantilisées par les médias et les politiques, qui « ont rapidement fait l’amalgame en disant ‘les populations premières, les peuples autochtones sont manipulés par les écologistes, et répètent ce que leur disent les écologistes’ », dit Marine Calmet. C’est pourquoi la JAG et les autres organisations font le choix conscient de se maintenir séparées d’Or de question, afin de montrer que ce sont d’abord leurs terres et leurs droits qu’elles protègent. C’est ce qui fait l’une des forces du mouvement de résistance : la convergence de plusieurs luttes, organisations et discours. « On avait un mouvement très puissant à ce moment-là, avec les associations, chez les Amérindiens et chez les créoles aussi, avec Tròp violans, et c’est ce qui a permis qu’on soit entendu·es en Guyane. »
Agir entre débat public et action juridique
Un réseau préexistant, un contexte général de mobilisation dû aux blocages de 2017, une convergence de mouvements : si ces éléments expliquent en partie la force de la résistance au projet Montagne d’or, ils n’y suffisent pas. L’opposition prend son envol à l’occasion du débat public organisé par la commission nationale du débat public (CNDP), de mars à juillet 2018, qui a un effet de catalyseur permettant d’organiser des réunions, des ateliers, des marches… La mobilisation dépasse alors les cercles déjà sensibilisés et touche un public plus large. Car, contrairement à ce qui se passe en métropole, où l’usage des réseaux sociaux permet une diffusion rapide des informations et facilite les mobilisations, l’accès à ces réseaux est limité en Guyane.
Le premier effet est médiatique. Alors que les médias locaux avaient commencé par dévaloriser la résistance au projet, l’information se diffuse de plus en plus à partir de début 2018 et parvient jusqu’en métropole. Le contexte joue en faveur de la mobilisation contre Montagne d’or : en 2019, l’Amazonie brûle, et Emmanuel Macron se positionne fermement contre la politique de déforestation de Jair Bolsonaro. La très forte médiatisation des incendies du Brésil rend difficilement tenable un discours visant à justifier l’ouverture d’une mine d’or en pleine Amazonie guyanaise.
Le succès de la lutte contre la Montagne d’or repose par ailleurs sur un processus juridique complexe auquel les associations environnementales ont pris part. Mais l’État lui-même y joue un rôle central, en s’abstenant de répondre aux demandes de prolongation des concessions minières de la Montagne d’or, puis finalement en annonçant l’abandon officiel du projet. Ce faisant, il s’expose aux attaques en justice menées par Orea Mining et Nordgold, les deux actionnaires de la compagnie Montagne d’Or, dans un long marathon juridique dont le dernier volet date de février 2022. Le Conseil constitutionnel déclare alors contraire à la Constitution une partie de l’ancien code minier français. Cette décision ouvre la porte à l’annulation définitive du projet. La balle est désormais dans le camp de l’exécutif (2).
Une victoire ?
En substance, la Montagne d’or n’est pas définitivement abandonnée. Aujourd’hui, grâce à la décision du Conseil constitutionnel, l’État dispose des leviers nécessaires pour en sceller le sort. Mais, comme le dit Marine Calmet, « on sait qu’il y a de l’or là-dessous. Tant qu’on n’aura pas une grande loi qui interdise, une bonne fois pour toutes, toute forme d’extraction minière dans le territoire amazonien, on n’aura pas de victoire pleine et entière ».
La victoire porte peut-être davantage sur un autre plan. Comme les autres départements et régions d’outre-mer, la Guyane fait rarement son apparition dans les débats en métropole, à moins que mobilisations et blocages ne la remettent à la une des journaux. « Combien de fois montre-t-on de la solidarité avec la Guyane française ? La plupart du temps, les Français ignorent tout simplement la présence de peuples autochtones sur leur territoire. Ils pensent que l’Amazonie, c’est le Brésil, mais pas la France. » Ainsi, quand je demande à Marine Calmet si elle pense qu’il s’agit d’une victoire, elle me répond : « On a montré que des citoyens pouvaient s’engager, gagner des luttes et être audibles dans les médias. La nôtre restera peut-être une lutte emblématique, qui montrera que des citoyens peuvent faire chuter même des gros projets, des projets avec, derrière, des choses comme de l’or, des intérêts financiers et des magnats russes. » Si la lutte n’est pas finie, elle peut du moins nous permettre de reprendre espoir.
(1) Le WWF effectue plusieurs analyses qui mettent en question la rentabilité économique du projet. La première, Montagne d’or, un mirage économique (2017), établit que les hypothèses économiques et financières retenues par le promoteur sont dans leur grande majorité irréalistes. Le WWF démontre également que l’« impact emploi » annoncé par les promoteurs a été surestimé de 100 %. À la fin du débat public, le WWF commande une enquête d’opinion qui montre que 69 % des 600 personnes sondées se déclarent opposées au projet. Enfin, l’organisation sollicite le bureau d’étude Deloitte, qui rend une analyse sur « Le potentiel de développement économique de la Guyane » en novembre 2018.
(2) Les associations environnementales France nature environnement et Maïouri nature Guyane sont, dès l’annonce du projet, en recherche de leviers à utiliser contre la compagnie Montagne d’Or (CMO). Mais l’État lui-même joue un rôle fondamental dans le processus. En décembre 2016, les concessions de la CMO prennent fin. Au lieu de les prolonger, le gouvernement s’abstient de répondre, ce qui constitue un acte administratif attaquable en justice. En mars 2019, la CMO dépose un recours auprès du tribunal administratif de Cayenne. En mai, le gouvernement français annonce l’abandon officiel du projet. En décembre 2020, le tribunal administratif enjoint le gouvernement de prolonger les concessions de l’entreprise. Il faut dire que l’exécutif ne se donne pas les moyens de défendre sa position. C’est donc au tour du gouvernement de déposer un recours. L’affaire s’enlise. En octobre 2021, dans la plus pure tradition des entreprises extractives multinationales, les actionnaires de Nordgold entament un contentieux arbitral international contre l’État français, afin d’obtenir quatre milliards d’euros de compensation.
Pour aller plus loin :
Collectif Or de question, ordequestion.org
« Guyane : mourir d’empoisonnement sur une montagne d’or ? », Silence no 463, janvier 2018