Dossier Alternatives

Le Champ commun, les semeurs de bonnes graines

Anna Quéré

Autrefois, en Bretagne, on appelait « communs » des espaces de landes collectives dans lesquelles chacun·e pouvait faire paître ses bêtes. Les communs ont disparu mais un autre espace partagé est né il y a douze ans à la lisière de la forêt de Brocéliande, à Augan : le bien nommé Champ commun, un commerce aux multiples facettes.

Fiche d’identité :
Lancé en janvier 2010 — Augan : 1 500 habitant·es — CA en 2018 : 758 000 euros (dont 547 000 pour l’épicerie) — SCIC de 205 associé·es — 60 product·rices loc·ales — 3 associations partenaires –—13 équivalents temps plein — Horaires : Le Garde-manger : lundi, mardi, mercredi et vendredi 8 h-20 h, samedi 9 h-20 h, dimanche 9 h-13 h ; L’Estaminet : mardi, mercredi, jeudi 10 h-14 h et 17 -21 h, vendredi 10 h-14 h et 17 h-01 h, samedi : 17 h-01 h, dimanche 10 h-13 h ; La Cantine : du mardi au vendredi 12 h-14 h, vendredi et samedi soir 19 h-21h30

Le Champ commun a aujourd’hui pignon sur rue dans cette commune de 1 500 habitant·es. Un lieu au nom évocateur, inspiré de l’expérience de la Commune de Paris et ancré dans l’histoire rurale d’Augan. Ici, un bâtiment de 450 mètres carrés abrite une vaste épicerie — qui n’a rien d’un commerce de dépannage —, un bar et une cuisine. À l’étage, une auberge accueille les voyageu·ses dans des chambres individuelles ou collectives. Au sous-sol, une microbrasserie fabrique six bières différentes à partir de malts et de houblons biologiques.
Dehors, une grande terrasse donne sur un paisible verger. Depuis février 2019, le commerce a ajouté une corde à son arc en ouvrant un restaurant, La Cantine, du mardi au samedi. Derrière le comptoir de l’épicerie, au bar ou aux fourneaux, ce sont treize salarié·es qui s’activent toute l’année pour offrir des créneaux horaires adaptés aux besoins des habitant·es du territoire.
« Nous sommes devenus les premiers employeurs de la commune ! » sourit Henry-George Madelaine, l’un des fondateurs du Champ commun. Ici, pas d’échelle de salaires, tout le monde est payé au smic. « On veut limiter le poids d’amplitudes horaires importantes en ayant plus de personnel, explique Henry-George. Mais attention, c’est un vrai métier. Ici, on ne joue pas à la marchande. »

« Un commerce normal »

Le Champ commun a été fondé en juillet 2010 par deux chercheurs en sociologie arrivés par les hasards de la vie dans cette petite commune rurale de l’est du Morbihan. « Nous ne sommes pas les sauveurs du village, comme on veut parfois nous présenter. Au contraire, nous ne voulions pas concurrencer les autres commerces de la commune. Le Champ commun a une vocation toute simple : être un commerce normal », raconte Henry-George Madelaine. À l’épicerie, les produits conventionnels et bio se trouvent sur les mêmes étagères. Le Champ commun a d’ailleurs décidé de faire une marge plus réduite sur les produits bio et locaux. Et pour cause : le revenu par habitant·e est ici inférieur à la moyenne nationale. « Un lieu autour de l’alimentation exclusivement bio aurait raté sa cible, explique Henry-George Madelaine. Ici, il y a une logique d’ouverture large avec une proposition à mi-chemin entre une alimentation de campagne et un magasin style Biocoop. » Pour s’y retrouver, un système d’étiquettes guide l·a client·e : blanche pour les produits de l’agro-industrie, verte pour les produits bio et bleue pour les produits locaux. Les transitions sont également à l’œuvre, au gré des nouvelles habitudes : à la lessive classique s’est ajoutée de la lessive bio et en vrac, par exemple.
La programmation culturelle est l’un des maillons de la chaîne. Du débat au concert rock, du théâtre à la musique de chambre, du concours de belote au bistrot mémoire, il y en a pour tous les goûts. « Maintenir le bar au quotidien, ce n’est pas suffisamment rentable, explique Henry-George. Avec les concerts, c’est un cercle vertueux. Les concerts attirent du monde. Même si c’est gratuit, ça permet de compenser les moments creux. » L’auberge de 25 couchages fait également venir un nouveau public.

Taille critique...

Rapidement, des associé·es de tout poil ont rejoint Le Champ commun, comme Benoît Colléaux, producteur de lait bio à Guer. « Quand je me suis installé sur la ferme avec mon associé, j’étais en recherche de débouchés. On ne voulait pas travailler avec les grandes surfaces. Le fait de pouvoir travailler avec une épicerie locale m’a intéressé : on souhaitait soutenir l’activité dans les bourgs ruraux », raconte-t-il. Armelle Lameul, habitante d’Augan et associée depuis dix ans, s’est elle aussi investie dans de nombreuses instances : « C’était un projet innovant mais c’était pas gagné d’avance ! Un véritable pari sur l’avenir. » Monté d’abord dans le cadre d’une SARL classique, puis transformé en société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), Le Champ commun a rapidement trouvé sa vitesse de croisière. La structure, qui ne fonctionne que sur ses recettes propres, a été bénéficiaire ou à l’équilibre dès sa troisième année d’existence et n’a jamais bénéficié de soutien public. Chacun s’investit à la mesure de ses moyens.
Benoît Colléaux, le paysan laitier, siège à la commission épicerie : « On arrive à s’impliquer même si ce n’est pas toujours simple : moi, j’ai la traite matin et soir, par exemple. Mais c’est stimulant intellectuellement, on comprend en profondeur comment fonctionne la structure. On doit par exemple savoir ce qu’est une marge pour parvenir à maintenir une activité comme celle-là. C’est différent d’un magasin de producteurs : ça permet de partager davantage les points de vue, de prendre en compte les intérêts de tous. Les épiciers comme les consommateurs ont leur mot à dire », explique-t-il. Des habitant·es sont aussi impliqué·es au quotidien, pour épauler les salarié·es. « Je me suis investie dans beaucoup d’instances et, là, je tiens le bar bénévolement le dimanche matin pour soulager les salariés, m’impliquer, voir du monde. J’ai un important passé associatif, ça fait partie de mes choix », précise Armelle Lameul. Avec 205 sociétaires et un chiffre d’affaires conséquent, Le Champ commun envisage l’avenir avec sérénité.
« La question de la taille critique se pose. L’idée, ce n’est pas de créer des franchises du Champ commun ! insiste Henry-George Madelaine. On veut surtout partager notre expérience et que ce travail soit reconnu par un travail d’essaimage. » En quête de bons conseils, les porteu·ses de projets sont en effet nombreu·ses à pousser la porte du Champ commun, qui leur propose une réunion d’information une fois par mois. Le lieu est aussi devenu un centre de formation reconnu, notamment pour former des entrepren·euses de l’économie solidaire et du développement durable. Pour Armelle Lameulle, « aujourd’hui, le souhait de beaucoup d’associés est de se stabiliser et de garder une vitesse de croisière. Tout le monde a envie de se poser après l’ouverture de l’auberge l’an dernier. La partie essaimage fait son petit bonhomme de chemin également. Il faut s’accrocher ! ».

Anna Quéré

Contact :
Le Champ commun
1 rue du Clos Bily
56800 Augan
tél. : 02 97 93 48 51
www.lechampcommun.fr


Article initialement paru dans le recueil : Un café s’il vous plaît ! Cafés et commerces collectifs d’Ille-et-Vilaine en milieu rural.

Pour aller plus loin…

  • Chantier ouvert au public — le Viel Audon, village coopératif, Béatrice Barras, Repas, 2008
  • Faire ensemble, outils participatifs pour le collectif, Robina McCurdy, Jean-Luc Girard (tr.), Passerelle éco, 2015
  • Micropolitiques des groupes — pour une écologie des pratiques collectives, David Vercauteren, Amsterdam, 2018 (2007)
  • Petit manuel de discussions politiques, Cédric Leterme, Gaëlle Jeanmart et Thierry Müller, Éditions du commun, 2018
  • Comment s’organiser ? Manuel pour l’action collective, Starhawk, Géraldine Chognard (tr.), Cambourakis, 2021

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