« L’histoire officielle a une fonction idéologique qui vise à orienter les esprits afin de mieux faire adouber les décisions du présent. L’État étant intrinsèquement lié à la violence et à la guerre, la mémoire qu’il véhicule est essentiellement une mémoire guerrière, une mémoire militarisée », explique Alain Refalo.
Face à cela, "à l’approche du 11 Novembre, je consacre plusieurs séances d’éducation civique et morale à l’étude des monuments aux morts dits ‘pacifistes’. C’est une façon d’aborder la réalité et l’horreur de cette guerre de façon sensible (…). Je projette l’image du monument aux morts de Crépy-en-Valois, où une stèle représente une femme pleurant un soldat mort à ses pieds. Cette femme est le symbole de toutes les femmes de France qui ont perdu un être cher entre 1914 et 1918. L’effet est saisissant et les élèves, d’abord silencieux, commencent à s’exprimer. Ils posent des questions, je leur demande de formuler des hypothèses. Pourquoi pleure-t-elle ? Pourquoi est-elle représentée sur ce monument ? Quel est le message que l’artiste a voulu nous transmettre ? (…)
Dans une autre séance, nous visualisons le monument aux morts de Gentioux-Pigerolles où un enfant orphelin, le visage triste, lève le poing en direction des 58 noms gravés comme s’il voulait dénoncer les responsables de la guerre. Au pied de la stèle est gravée la célèbre phrase de Péguy, « Maudite soit la guerre ». Que signifie ce geste de colère, de révolte ? Que signifie cette phrase ?
(…) Nous prolongeons avec la lecture d’extraits de lettres de poilus. Témoignages poignants qui montrent encore une fois l’horreur de la guerre, et rendent plus palpables l’enfer que ces hommes ont vécu. Dans une autre séance, nous écouterons la chanson de Craonne, où les soldats qui se considèrent comme des ‘condamnés’ et des ‘sacrifiés’ de cette ‘guerre infâme’ dénoncent les ‘planqués’ et les responsables de la boucherie. L’appel à la grève des soldats qui ponctue la chanson permet d’expliquer qu’il est des circonstances où l’obéissance peut être criminelle et que la désobéissance est parfois légitime.
(…) Les élèves sensibilisés comprennent davantage le sens du 11 Novembre, ‘jour férié’, jour où l’on se souvient de ceux qui sont partis, de ceux qui ont été victimes de décisions irresponsables et qui ont péri au nom de la raison d’État. La figure de Jean Jaurès, qui déclara ‘la guerre à la guerre’, est montrée en exemple. Nous découvrons son combat courageux pour la paix, toujours recommencé, jamais achevé (…). Des productions artistiques réalisées par les élèves achèvent, provisoirement, ce modeste travail d’éducation à la paix à l’occasion du 11 Novembre.
Quant aux sollicitations municipales demandant la participation de mes élèves à la commémoration officielle, impliquant de chanter, et donc d’apprendre à chanter, la Marseillaise, je n’y donne pas suite. C’est tout le paradoxe du devoir de mémoire auquel je participe en travaillant avec mes élèves sur la signification du 11 Novembre, mais qui implique encore, dans notre société, la participation à une cérémonie où le caractère militaire prédomine (…) et où l’on chante un hymne guerrier contraire aux valeurs de l’école."
Ce texte est extrait du livre Démilitariser la France, Alain Refalo, Chronique sociale, 2022, p. 29-30.