Création : 1980
● Superficie : 1 380 m² de surface habitable sur une parcelle de 1650 m², 15 logements
● Nombre d’habitant·es : 15 familles, environ 50 personnes au départ, un peu moins aujourd’hui (moins d’enfants)
● Statut : co-propriété classique
● Montage financier : 6,6 millions de francs en 1993 soit 2 millions d’euros 2022
● Activités/engagements : Pratiquement chaque adulte est acti·ve dans une ou plusieurs associations, la plupart locales
Une rue de Belleville comme les autres et pourtant derrière la rangée d’immeubles haussmanniens, au 8 de la rue, se cache une initiative des plus originales. En 1975, deux couples font part de leur envie de « vivre autrement » dans un quartier populaire de Paris. Une dizaine d’autres ménages (familles et célibataires) les rejoignent. Le lieu est trouvé en 1978 : un ancien lavoir du 19e siècle avec une structure en bois sur plusieurs étages. La promesse de vente est signée en 1979, l’achat en 1980 sous forme d’une société civile particulière. Cette forme permet de mettre en commun épargne, emprunts individuels, plans épargne logements...
L’architecte est choisi en dehors du groupe, ce sera Bernard Kohn qui ensuite sera aidé de Dominique Tessier pour le suivi du chantier. Bernard Kohn a travaillé aux États-Unis et en Inde et est très convaincu de la démarche participative (1).
La construction des logements
Une centaine de réunions va avoir lieu pendant deux ans à raison d’une toutes les semaines.
Le groupe passe à 14 familles et discute de tout : passages, patio, matériaux, aspect des façades, revêtement du sol, menuiseries… puis répartition de l’espace et coûts.
Après réunification de deux parcelles sur lesquelles se trouve le lavoir, les travaux sont confiés à 13 entreprises après un appel d’offres. Ils débutent en octobre 1981 et s’achèvent en juin 1983. Deux familles abandonnent pendant ce processus, trois autres arrivent. Une partie des finitions sont faites par le groupe lors de « samedis socialistes » : nettoyage des murs du voisinage, plantation d’arbres… Ces journées collectives existent toujours aujourd’hui pour l’entretien des parties communes.
Une rue intérieure a été envisagée pour permettre le passage entre la rue du Buisson-Saint-Louis et la rue du Faubourg-du-Temple, mais les négociations avec la propriété voisine n’ont pas abouti. L’idée d’une rue intérieure, lieu de croisement entre toutes les personnes, a été conservée. Le long de cette voie, des parties couvertes ou non accueillent des tables et des chaises permettant de se réunir ou de manger ensemble.
Après quelques années, le statut collectif a changé pour passer en copropriété classique, mais avec le maintien de nombreuses parties communes.
La plupart des appartements sont en duplex (2). Malgré l’encadrement par des murs aveugles, tous ont de larges baies vitrées et un bon ensoleillement (au détriment des questions d’énergie qui n’ont pas été prises en compte à l’époque). La structure bois a été conservée. Des dalles en béton supportent le remplissage des murs en briques, les cloisons intérieures ont été disposées selon les désirs de chaque famille.
À l’arrivée, il y a 1 380 m² de surface habitable sur une parcelle de 1650 m² (3).
Outre les appartements répartis dans deux bâtiments, il y a trois espaces collectifs extérieurs (cours arborées), des terrasses, une laverie, et une salle commune polyvalente. Cette dernière a servi de garderie pour les enfants les plus petits au début, puis de salle de gymnastique, de salle des fêtes pour le groupe mais aussi pour les voisins, de salle d’exposition… Au moment de notre passage, un jeune danseur était en train de répéter. La salle comprend une cuisine qui permet de préparer les repas collectifs, une laverie, elle est équipée pour des projections de films.
L’immeuble fonctionne sans gardiennage et la gestion des espaces communs se fait toujours collectivement (nettoyage des parties communes, sortie des poubelles, plantations et entretien des espaces verts…). Le garage est partagé (4). Certains appartements ont été loués en totalité ou en partie. Les locataires participent aux espaces collectifs comme les autres. Il y a une entraide importante notamment en cas de maladie, de travaux…
Les difficultés relationnelles
Comme tout groupe humain, celui-ci a connu quelques conflits. Il y a eu des difficultés au départ pour la répartition des lieux d’habitation.
La laverie a été une source de tension, car certain·es plient le linge des autres ou ne le rangent pas comme il faut. Deux familles ont ainsi choisi d’avoir leur propre lave-linge.
Comme il y a des cheminées de confort dans les appartement, le bois est acheté collectivement. Un groupement d’achat a été mis en place. De même, un autre groupement permet de se faire livrer des produits alimentaires par un magasin proche. Une famille n’y participe pas, préférant acheter bio.
Le plus gros conflit a opposé deux familles, à la fin des années 1980, concernant l’isolation d’une terrasse située entre les deux appartements. Cela en entraîné le recours à un syndic professionnel qui a rappelé la loi.
D’autres débats ont été difficiles pour savoir ce qui était parties communes ou parties privatives. Ainsi en est-il des verrières présentes sur 4 appartements. En 1999, l’une d’entre elle a été brisée et finalement c’est l’ensemble des copropriétaires qui ont payé.
En 2010, par une nuit enneigée, la salle commune a servi à l’hébergement des réfugié·es afghan·es, ce qui a été une source de conflits avec une voisine (le bâtiment sur rue héberge déjà des personnes en difficulté : c’est une résidence sociale gérée par Emmaüs depuis 1998).
En 40 ans, seuls deux appartements ont changé de propriétaires. La clause de préférence initialement prévue n’a pas fonctionné, les appartements se sont vendus classiquement en agence immobilière. Deux autres appartements ont été divisés en deux et mis en location. Au total, il y a 6 locataires… qui font baisser la moyenne d’âge. Ces locataires partent le plus souvent quand ils et elles ont des enfants.
Quelques rencontres
Philippe est arrivé alors que les plans étaient déjà faits. Il a une activité de graphiste et de photographe qu’il exerce sur place. Il est chargé des relations avec les médias et assure la communication du Mouvement de l’habitat groupé autogéré (5). Philippe participe aussi à un jardin partagé.
Michel, ancien enseignant en urbanisme à Sciences-Po, est actuellement engagé dans des actions culturelles en particulier dans le domaine de la sculpture.
Jean-Pascal, actif au sein du mouvement chrétien Vie nouvelle, est très investi dans l’accueil des migrant·es : il a hébergé des Afghan·es pendant douze ans avec à un moment neuf personnes dans son appartement !
Françoise est actuellement présidente du conseil syndical et à ce titre, explique aux nouve·lles arrivant·es les contraintes collectives.
Stéphane s’est investi dans l’animation de la salle commune et a été à l’origine de soirées théâtre et d’expositions ouvertes au public.
Pratiquement tout le monde est actif dans le milieu associatif et ceci d’autant plus que beaucoup sont aujourd’hui à la retraite. Il y une certaine homogénéité dans le groupe : beaucoup d’intellectuel·les ayant un lien avec les arts. Les situations professionnelles les classent dans les revenus aisés (cadres supérieur·es, psychiatres, journalistes, universitaires). Au départ du projet, ils avaient entre 30 et 50 ans. Toutes les femmes ont un emploi à l’exception de deux. Tou·tes avaient « en commun du temps, une stabilité de l’emploi, un certain patrimoine familial (un capital de départ), une culture en rupture avec le béton, le désir d’habiter la ville autrement avec une vie de quartier et une mixité sociale ». De fait, involontairement, le groupe a participé à la gentrification du quartier.
Sylvie qui nous rejoint à son tour coupe un peu la parole aux hommes présents : elle dit que « dans le groupe il n’y a pas de leader, mais par contre des grandes gueules » « les mecs sont machos, au début ils le revendiquaient, maintenant, ils sont toujours machos, mais ils ne le revendiquent plus ». Sylvie est écrivaine publique et est active dans une association d’aide aux aveugles.
Catherine donne des cours de français dans un centre social voisin qui accueille plus de 50 nationalités. Maud, qui a grandi ici mais n’y habite plus, est la présidente de l’association des AMAP d’Île-de-France dont les réunions se tiennent dans la salle commune.
Après 40 ans, 7 des couples initiaux ont tenu. Après divorce, dans trois cas sur quatre, c’est la femme qui est restée.
Il y a eu jusqu’à 22 enfants. Ils et elles sont adultes aujourd’hui et ne vivent plus sur place. Mais la plupart y reviennent régulièrement, certain·es pour utiliser la salle commune, d’autres à l’occasion des repas collectifs, des fêtes… Ils et elles se retrouvent également entre eux, comme une grande fratrie. « Les relations entre enfants restent fortes, notamment parce qu’ils ont joué entre eux, mais aussi parce que les plus grands ont gardé les plus jeunes ».
Vieillissement
Françoise qui a été victime d’un accident de cheval ne peut plus monter les escaliers. Elle habite un appartement en duplex au rez-de-chaussée et au premier étage. Elle a pu installer un ascenseur.
Avec l’âge qui avance, d’autres, qui habitent en étage, vont avoir à se confronter aux escaliers. Évidemment, cette question n’a pas été pensée à l’origine ! La question est apparue déjà depuis longtemps : les parents de certaines familles ne viennent plus à cause des escaliers.
Il y a des problèmes aussi sur le bâtiment : l’isolation a été faite à l’époque avec de l’amiante et la question de l’enlever n’est pas résolue. Le toit qui est d’origine est à renouveler.
Le lieu est très chaleureux et très impliqué dans le milieu associatif. Après 40 ans de vie commune, l’envie de vivre ensemble est toujours présente.
Michel Bernard
Contact :
* 8 bis, rue du Buisson-Saint-Louis, 75010 Paris.
* Philippe Mollon-Deschamps, tél : 06 66 65 44 10, 60@wanadoo.fr
Sources
* https://www.20minutes.fr/paris/1357893-20140428-buisson-saint-louis-habitat-participatif-fete-30-ans
* Habitat en autopromotion, étude de six cas franciliens, Véronique Biau, Anne Orazio, Ioana Iosa, Héloïse Nez, PUCA, 2012, https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01716072/document
* Bernard Kohn, L’architecture participative, Le Buisson-Saint-Louis, école Decroly, août 2005.
(1) Il a déjà réalisé l’école alternative Decroly à Saint-Mandé (près de Paris). École qui a participé à notre enquête « genre et éducation alternative », Silence, n°450, novembre 2016.
(2) Du fait que l’on est en cour intérieure et de l’absence d’accès direct pour les pompiers, la réglementation impose que les entrées ne peuvent être à plus de 8 m de hauteur.
(3) Le prix est de 4 800 FHT (valeur 1983 soit l’équivalent de 1 500 € en 2020 selon le convertisseur de l’INSEE) : 15 % pour le foncier, 12 % pour la maîtrise d’œuvre, 70 % pour le chantier, 3 % divers. Il y a deux triplex (150 et 140 m²), 10 duplex (de 33 à 145 m²), 2 appartements de plain-pied (95 et 50 m²), un cabinet médical (30 m²), une salle commune (60 m²). Certains grands appartements ont deux portes pour une éventuelle subdivision ultérieure. Toutes les portes donnent sur le passage central.
(4) Les propriétaires de vélos paient 25 € par an, ceux de motos, 60 € par an.
(5) Réseau créé dans les années 1970 et qui depuis 2009 est devenu Eco-Habitat Groupé. Ce réseau organise des rencontres entre les lieux, des journées portes ouvertes…