Entre déni et attentisme, nous optons trop souvent pour une politique des petits pas, faute de mieux. Conscient·es du risque que représenterait le fait de bousculer cette cohorte de « petrooliques anonymes », nous préférons opter pour une pensée magique, faite d’incantations, de vœux pieux et d’injonctions sans lendemain. Nous vivons ainsi dans un monde où la théorie suppléante la pratique, les mots gommant subjectivement les maux.
COP après COP, chacun mesure la césure existante entre ce que nous devrions entreprendre pour limiter les effets du destructivisme triomphant et la réalité toute lilliputienne (1) des politiques engagées. Nous buttons toutes et tous sur la nature profonde de notre démocratie qui peine à s’extraire du quotidien, valorisant à l’extrême le court terme, inapte à renoncer aux délices d’une immédiateté électorale. Celles et ceux qui oseraient défier cette règle non-écrite prennent le risque d’une marginalisation politique.
L’immédiateté n’est pas compatible avec l’écologie
À qui la faute ? Par facilité, il serait simple d’accuser la classe politique dans son ensemble. Mais comme le veut la formule, n’aurions-nous pas les politiques que nous méritons ? Dit autrement, les Macron, Zemmour, Bertrand et autre Le Pen ne sont-ils pas des symptômes et non des causes ? Notre système politique, économique et médiatique réduit toute analyse à un instant fugace. Par habitude, nous avons progressivement intériorisé le fait que le « tout, tout de suite » était une valeur non négociable, faisant de chaque citoyen·ne un·e enfant gâté·e, capricieu·se, n’acceptant plus la moindre frustration, la moindre règle, la moindre contrainte.
Or, une société ne peut se construire sur l’addition d’égos surdimensionnés, enfermés dans cette prison dorée qu’est l’immédiateté. D’autant que la lutte contre le dérèglement climatique ou l’effondrement des écosystèmes requièrent ténacité, perspicacité et volonté politique inscrite dans le temps et dans l’espace.
« Revisiter nos fausses normalités faites de ‘toujours plus’ »
La raison pour laquelle nous simulons le changement depuis tant d’années est évidente : cette mutation écologique va profondément bouleverser notre façon d’être au monde. Infantilisé·es depuis des lustres, invité·es à renoncer à être pour avoir, nous allons devoir accepter individuellement et collectivement de renoncer à la toute-puissance mercantile.
En cette année électorale, rien ne changera radicalement si nous ne sommes pas capables de revisiter nos fausses normalités faites de « toujours plus ». Quel·le que soit l’heureu·se élu·e, il ou elle ne pourra rien entreprendre sur le long terme si les outils du capitalisme triomphant (aux premiers rangs desquels nous trouvons les réseaux sociaux, les sondages et la publicité) ne sont pas encadrés fermement. Tant que notre lecture du monde se résumera à un tweet, notre imaginaire ne pourra entrevoir un autre avenir que celui dessiné par les responsables du chaos actuel. L’enjeu de cette élection du siècle doit donc être appréhendé comme une libération, une émancipation à l’égard d’un système qui fait de nous les petits soldats d’une guerre conduite contre le vivant dans son ensemble.
Stéphen Kerckhove
(1) Inspiré des habitant·es du pays imaginaire de Lilliput, dans le roman de J. Swift Voyages de Gulliver, l’adjectif « lilliputien·ne » signifie « de très petite taille, minuscule ».