Un foyer d’éducation populaire
La résidence Habitat jeunes Kennedy est implantée depuis plus de 45 ans aux Couronneries, quartier de Poitiers (Vienne) à proximité du centre-ville. Elle loge et accompagne des jeunes de 16 à 30 ans. Portée par l’éducation populaire, elle initie des espaces d’échanges. Ainsi, un travail sur le sexisme est mené depuis plusieurs années, proposant des espaces de création (notamment celle d’une fresque murale) en mixité choisie pour les femmes, avec des temps d’échanges et de réflexions mais aussi des stages d’autodéfense verbale.« Ce sont des lieux de vie, ils ont leur propre bail, ils sont chez eux, nous explique Euryale Barthélémy, animatrice de la résidence. Ils peuvent passer une nuit, trois mois, deux ans. L’idée de base est de s’appuyer sur le collectif pour accéder à une émancipation individuelle. À la différence d’une résidence classique, on s’appuie sur une équipe socio-éducative. On s’appuie sur les envies des jeunes, certains ne viendront jamais participer aux animations, c’est pas grave. »
Un chantier participatif
En 2018, Habitats libres en Poitou lance un appel pour trouver un endroit assez grand pour coudre de la toile de yourte. Habitat jeunes Kennedy, qui possède de grands espaces, répond favorablement et l’association s’installe une semaine, en échange d’une animation autour de la construction et du montage d’une yourte. « Ça a été magique de voir une yourte dans un quartier prioritaire blindé de tours, de cubes, de barres, s’enthousiasme Euryale. C’était une animation ponctuelle mais depuis, on a gardé contact. » Quand elle a su que la résidence, vieillissante, allait être détruite puis reconstruite à côté, Euryale a décroché son téléphone. Le foyer Kennedy va perdre pendant un temps 700 m² de locaux collectifs, le temps de la rénovation. Quel espace offrir, dans ce laps de temps, aux locataires pour se réunir ? « On a proposé la construction d’une yourte et on a cherché des financements. On aurait pu juste l’acheter, mais on aurait perdu beaucoup de l’intérêt du projet. » Car le projet a été accepté et la yourte, qui abrite les activités des résident·es depuis juillet 2021, a été construite dans la résidence. « L’idée, c’était qu’elle soit construite dans les locaux et que le chantier soit ouvert tous les après-midi aux résidents, aux personnes du quartier, aux partenaires, etc. » Deux bénévoles d’Habitats libres en Poitou ont répondu présent et proposé chaque jour, à qui le souhaitait, pour une demi-heure ou plus, de mettre la main à la toile, ou de raboter du bois. « Ce ne sont pas juste des prestataires, précise Euryale, ils sont dans le partage, la transmission de choses. Les murs ont été envahis de dessins et de plans, ça vit. » Le chantier a duré deux mois et la mayonnaise a pris. On trouve des résident·es cousant la laine de mouton pour l’isolation à côté d’une partenaire rabotant la porte d’entrée. Enfin, fin juin 2021, la yourte de 50 m² et 8 m de diamètre a été montée devant Habitat jeunes Kennedy, lors d’une journée festive, accompagnée d’une crieuse publique autour de la question : « Habiter, pour moi, c’est quoi ? »
Depuis, le lieu est investi. Résident·es ou associations peuvent en demander l’usage. Dès l’ouverture, c’est l’AG de l’association Poitou habitat jeunes qui se tient dans la yourte, puis les ateliers se sont enchaînés, soirées jeux avec l’association Zéplindejeux, réunions de collectifs, ateliers bricolage, etc.
Ouvrir à l’habitat léger
Faire connaître l’habitat léger en quartier populaire n’a rien d’anodin. « Ici, on travaille la jeunesse et l’hébergement, explique Euryale. On a constaté que l’accès à la propriété est une envie forte chez les jeunes. Mais ici, plus de 50 % des résidents touchent moins de 900 euros (seuil de pauvreté). Faire miroiter des choses qui, dans la réalité, ne sont pas possibles, ce n’est pas ma façon de travailler. L’idée de l’habitat léger est aussi : est-ce que l’habitat léger peut être une réponse à la précarité des jeunes ? » Euryale, qui s’est elle-même installée en yourte en juin 2021, sait que l’habitat léger ne sera pas la réponse pour tout·es. « C’est pas inné, on ne peut pas dire, comme ça, ‘’ben toi tu peux te payer une yourte donc tu peux choisir ce type de logement’. Il y a beaucoup d’imaginaires à travailler. Ce soir, j’ai invité tous les salariés à l’apéro dans ma yourte, mes collègues sont curieux. Il y a une pédagogie à faire pour rassurer. »
Aujourd’hui, la yourte participe à faire vivre un quartier et des envies. « Il y a aussi que c’est beau, une yourte, j’ai l’impression de vivre dans un ventre », s’amuse Euryale. Espérons que cette yourte sera une des ressources du quartier pour longtemps.