S’installer légalement en habitat léger, c’est un chemin de croix administratif et juridique. Les collectifs se sont multipliés en premier lieu pour s’armer juridiquement, et s’entraider.
Une réglementation dissuasive
Alors que ce type d’habitat était peu réglementé, la loi pour l’accès au logement et pour un urbanisme rénové de 2014 (loi Alur) consacre l’entrée dans le droit commun des résidences mobiles ou démontables comme résidence principale. L’article 59 rend obligatoire la prise en compte de l’ensemble des modes d’habitat installés de façon permanente dans les documents d’urbanisme. Elle autorise l’installation d’un habitat léger sur un terrain non constructible mais pour trois mois seulement. Au-delà, l’accord de la municipalité devient en théorie indispensable. Dans les plans locaux d’urbanisme (PLU), des espaces sont officiellement prévus, nommés « secteurs de taille et capacité d’accueil limitée » (Stecal).
La revue Silence a consacré son numéro 432 (mars 2015) à une analyse de la loi Alur, alors dite « loi Duflot », qui avait clairement pour ambition de favoriser le plafonnement des loyers et de donner un cadre légal aux expériences alternatives concernant l’habitat et le foncier. Nous montrions alors que la réglementation se faisait de plus en plus complexe, et que la loi Alur n’empêchait pas les remises à la rue et n’améliorait pas forcément la situation des personnes en habitat léger. En effet, obtenir un changement du PLU de la part d’une municipalité s’avère difficile, par peur du conflit avec la population locale, par méconnaissance de l’habitat léger, mais aussi à cause du coût d’une révision du plan. Les seuls maires qui l’ont accepté l’on fait par conviction. Du côté des « gens du voyage », une législation spécifique encadre les aires d’accueil, qui doivent être proposées par les départements.
Faute d’espaces dédiés, les habitats légers se développent souvent hors du cadre légal. Et, loin de remédier aux manquements de la loi Alur, l’évolution de la législation ces dernières années pousse plutôt à la répression. La loi relative à l’engagement dans la vie locale et la proximité de l’action publique (dite « Engagement et proximité »), adoptée le 27 décembre 2019, renforce le pouvoir local et les possibilités de sanctions en cas de constructions illégales. Les mairies auraient la possibilité de faire payer une astreinte de 500 euros par jour à toute personne installée pour vivre ou survivre sur un terrain privé, dans un abri ou un habitat non conforme aux règles d’urbanisme municipales. Une loi qui a mobilisé les principaux acteurs de l’habitat léger, qui l’ont dénoncée devant l’Assemblée nationale. Elle ne semble cependant pas être appliquée en pratique.
Pour Paul Lacoste, « c’est inapproprié de classer de l’habitat léger permanent dans le même mode déclaratif que de l’habitat en dur. C’est même une forme de discrimination de ne pas reconnaître les spécificités de l’habitat léger, notamment la réversibilité. Il serait opportun de mettre en œuvre des possibilités d’expérimentations. Il devrait y avoir une proposition pour permettre une expérimentation sur cinq ans pour recueillir des données, savoir où on en est dans le mode d’usages, ce qu’il faut créer en terme d’outils, de législation, qui soit en adéquation, plus simple, plus accessible. Surtout, cela permettrait de favoriser une meilleure appréhension de ces modes d’habitats, voire une popularisation, une culture commune plus que nécessaire. La loi du 21 avril 2021 sur la simplification des expérimentations est à disposition des collectivités pour cela ! ».
Changer la loi ou désobéir ?
Trois positions se dessinent face à la législation défavorable. Il y a d’un côté l’association Hameaux légers, qui défend le choix de rester dans la légalité. Elle se mobilise donc pour sensibiliser et accompagner les municipalités, mais aussi pour faire bouger la loi. Sa force est de miser sur une démarche et un projet collectifs, ce qui lui donne plus de poids qu’une démarche individuelle pour faire bouger les choses au niveau municipal.
Cette position légaliste n’est pas celle des autres collectifs que nous avons rencontrés. Pour Halem, « il est hors de question de laisser aux aménageurs et aux collectivités la possibilité de nous interdire les espaces dont nous avons besoin pour installer nos habitats ». C’est dans cette optique que l’association s’est dotée d’un fort arsenal juridique et qu’elle informe sur le droit en proposant un accompagnement en cas de poursuites. Elle prend appui sur l’inconditionnalité et l’opposabilité du droit au logement et à l’hébergement. Toute la défense des habitant·es est fondée sur du droit positif ou de l’interprétation juridique.
Position un peu différente, celle de Guillaume, d’Habitats libres en Poitou, qui prône l’installation par le fait : créer du lien avec les propriétaires, le voisinage, puis s’installer en bonne entente sans chercher à prévenir la municipalité ni à obtenir un changement de PLU. Là encore, il s’agit de jouer sur les contours d’une législation floue, de miser sur l’entente locale.
Enfin, le mouvement Désobéissance fertile, non seulement s’installe sans forcément demander un changement de PLU, mais le revendique. Le fait de désobéir frontalement devient une stratégie de visibilité pour, à terme, faire changer des lois jugées injustes.
Comme le dit Guillaume, on peut non pas défendre mais promouvoir l’habitat léger. « Je me suis rendu compte que dans une société capitaliste, l’intérêt économique prendra toujours le dessus sur l’intérêt écologique, complète Jonathan. Toutes les lois qu’on va vouloir faire passer, tant qu’il y aura de l’autre coté la croissance, l’emploi, elles ne passeront pas ».
Le mouvement Désobéissance fertile met en avant l’urgence de développer des droits pour la nature et s’appuie sur la Déclaration universelle des droits de la Terre Mère, adoptée en 2010 lors de la Conférence mondiale des peuples contre le changement climatique, à l’initiative des peuples amérindiens qui demandent leur adoption par l’Assemblée générale des Nations unies, pour justifier ses actions. « On incite les personnes à mettre en place ces droits de la terre, a travailler à ce que notre socle de valeur se calque sur cette déclaration pour faire pression sur la société. »
À la discrétion du maire...
Situation paradoxale, les maires ont aujourd’hui à la fois tout pouvoir pour interdire une installation en habitat léger, et aucun pouvoir pour la promouvoir. Un changement de municipalité peut faire capoter un projet. Selon les régions et la densification des habitats, les logements légers sont plus ou moins bien acceptés. « La lutte contre la cabanisation est plus forte dans les territoires tendus, explique Guillaume. Ça dépend des territoires, dans le Poitou, c’est tranquille. À Orléans, par exemple, c’est plus tendu. Dans le marais poitevin, il y a beaucoup de yourtes car c’est dans cette région que s’est créée en 2007 La Frenaie, association de fabrication de yourtes en autogestion. Il y a eu un avant, et un après. »
C’est l’association Hameaux légers qui prône le plus les liens avec les municipalités. L’association s’est d’ailleurs créée en 2017 après la rencontre de deux architectes navals, intéressés par l’habitat démontable, et du maire de la commune de Rocles (Ardèche), Alain Gibert. Celui-ci souhaitait accueillir un éco-hameau d’habitats légers sur un terrain communal pour permettre à de jeunes familles de rejoindre la commune. Il s’agissait aussi de répondre au déclin démographique des zones rurales et de permettre à des personnes à faibles revenus de s’y installer, ce qui a été possible grâce à la mise à disposition de terrains communaux sous bail emphytéotique. Malheureusement, pour Rocles comme pour Saillans, autre municipalité qui projetait un PLU inclusif de l’habitat léger, les dernières élections ont invalidé tous les efforts consacrés à l’émergence de propositions novatrices. Hameaux légers porte aujourd’hui un projet d’éco-hameau à Saint-André-des-Eaux, commune de 339 habitant·es des Côtes-d’Armor, et a réussi à obtenir un bail emphytéotique.
L’échange au cœur de l’habitat léger
Tous les collectifs insistent sur la nécessité de s’outiller, de comprendre les lois, de partager ses savoirs. Le travail de documentation juridique de Halem, complété par l’investissement de ses bénévoles à travers des permanences juridiques par téléphone, permettent un accompagnement des usagèr·es pour tenter d’éviter la judiciarisation de porteu·ses de projets ou d’habitant·es en habitat léger. L’association s’active aussi du côté des municipalités pour les rassurer et les encourager, quand les directions départementales du territoire (DDT) ont tendance à les dissuader. Plus généralement, ce sont des pratiques d’autodéfense juridique qui se développent au sein de l’habitat léger : on échange ses connaissances, ses expériences, ses conseils. Comment bénéficier d’une adresse postale en toute circonstance ? Quelle réglementation faut-il suivre pour vivre en camping à l’année ?
La nécessité de la mobilisation
« L’accompagnement du développement de l’habitat léger n’a pas eu lieu, explique Paul Lacoste. Le droit au logement est constitutionnel mais il y a une carence manifeste en France. Il y a énormément de logements inadaptés, du logement indigne. Alors qu’il y a une possibilité de production sociale de l’habitat par les usagers qui est incroyable ! Les projets d’habitats coopératifs en dur, vu le temps, vu l’investissement, vu le coût, ça prend des décennies. Ça avance mais, comparativement, la mise en œuvre d’un habitat léger est beaucoup plus facile, et ces démarches ont le mérite de poser la question de l’habitat coopératif en habitat léger. »
Au niveau législatif, « s’il n’y a pas un ministère qui fait des appels à projets, sollicite les collectivités, fait des études, il ne se passe rien, poursuit Paul. Il n’y a aucune formation des cabinets d’études sur le sujet. L’objectif pour faire changer la loi aujourd’hui est d’amener ce débat sur la place publique, pour faire connaître l’habitat léger, faire bouger les imaginaires et obliger à une évolution de la législation afin de permettre un véritable accompagnement ».