Le manque de reconnaissance et la complexité de la législation ont poussé des collectifs à se monter autour de l’habitat léger.
Des habitant·es qui s’organisent
Les gens du voyage ou travellers s’organisent ensemble depuis longtemps. La diversification des types d’habitat léger et la revendication de ce mode de vie dans une société sédentaire ont amené plus récemment à une structuration du mouvement. Une première rencontre nationale a été organisée à Saint-Jean-du-Gard, en 2005, afin de promouvoir les droits à l’installation à l’habitation hors norme, pour fédérer les initiatives. Puis, en 2010, a eu lieu la première rencontre française des usagè·res de yourtes. « À une époque, c’était un truc d’initiés, se souvient Guillaume, qui a participé à La Frênaie et à la création d’Habitats libres en Poitou. On avait fabriqué une yourte pour Bussière-Boffy, un village du Limousin qui a été la figure emblématique de la lutte pour l’habitat léger pendant quelques années. »
C’est dans ce climat que s’est constituée Halem. Née en 2005 dans le camping municipal d’une commune rurale de l’Essonne, l’Association pour les habitants de logements éphémères et mobiles est fondée par Joe Sacco avec un collectif d’habitant·es (campeu·ses à l’année) et de sympathisant·es afin de promouvoir ce mode d’habitat et de défendre les droits de ses habitant·es. Halem est sûrement la plus reconnue des associations de défense et de promotion de l’habitat léger (1).
Au-delà de l’habitat, un projet collectif
Habiter en yourte ou en cabane oblige à se mettre en lien avec des personnes compétentes en matière de construction, mais amène aussi à rencontrer un territoire. Si certain·es s’installent seul·es, beaucoup d’habitats légers se conjuguent à plusieurs. Dans les alentours de Poitiers, non loin de Jardinature, jardin participatif, yourtes, cabane et camion cohabitent sur un terrain prêté par les propriétaires, et leurs habitant·es s’entraident.
L’organisation collective est le centre du projet de l’association Hameaux légers. Si tous les écolieux ne sont pas constitués d’habitats légers, l’habitat léger se prête idéalement à la mise en place d’un écolieu. « Il s’agit de penser le projet à long terme et d’avoir la volonté de se lancer dans une démarche collective, précise Angéline, présidente de l’association Hameaux légers. Et cela motive tout type d’habitants ! Nous échangeons avec des foyers avec enfants, des jeunes ou encore des personnes plus âgées. Par ailleurs, nous défendons le fait que la propriété du sol soit dissociée de la propriété du bâti. Le collectif d’habitants s’organise en structure juridique (le plus souvent en association) et n’est pas propriétaire du sol. Il louera le terrain à plus ou moins long terme via un bail emphytéotique, le plus souvent à une collectivité, ce qui permet d’éviter toute spéculation foncière sur le terrain considéré. » En Suisse, l’association Habitat léger porte aussi un projet de hameau léger, Habo (2).
S’intégrer au territoire
Non conventionnel, l’habitat léger peut être rejeté par les autres habitant·es, soit par crainte que ces habitats altèrent le paysage, soit par crainte d’une déstabilisation de l’équilibre local lié à la sédentarité et des pratiques préexistantes. D’où l’importance de l’intégration harmonieuse de l’habitat léger sur un terrain, mais aussi à plus grande échelle. « On a à cœur de s’intégrer dans un territoire mais aussi de collaborer avec les élus locaux, explique Jonathan. On est en opposition, contre un système, pas contre des individus. Certaines communes ont des marges de manœuvre sur l’urbanisme, on a envie de travailler avec elles. Le gros problème, c’est que la loi en matière d’urbanisme est tellement mal faite que la meilleure chose que peut faire un maire face à un habitat léger est de fermer les yeux. C’est fou. »
Des stratégies multiples pour un objectif commun
Fournir des outils juridiques
L’habitat léger, un modèle généralisable ? Selon Paul Lacoste, « dans le proche futur, c’est une question qui va se poser. À l’heure actuelle, la métropolisation, l’urbanisation, le consumérisme, forment un énorme bulldozer. On est encore dans des logiques individuelles, à la marge. Mais de plus en plus de personnes y trouvent refuge, et cela peut changer ». Et pour que ça bouge, les collectifs fleurissent, avec des objectifs complémentaires. Halem, doyenne en la matière, est une mine d’or juridique qui fournit un travail de documentation colossal. L’association est à la fois portée par des militant·es de l’habitat léger, des chercheu·ses, et une histoire riche. Mais, faute de financements, le travail de l’association repose sur l’énergie de bénévoles et reste précaire.
Mettre en lien propriétaires de terrains et habitant·es
Les collectifs Désobéissance fertile et Habitat libre en Poitou, tous deux nés de constats individuels, prônent un changement radical de société. Jonathan était auparavant lobbyiste à Paris. « On est parti six mois en van à la rencontre de personnes qui ont construit des écolieux. Tous disaient qu’ils avaient des rêves au départ et qu’ils avaient dû y renoncer parce qu’il fallait se conformer aux lois en matière d’urbanisme. Nous, on s’est dit que les lois ternissaient les utopies, les rêves d’avenir. Car il faut apprendre à vivre radicalement autrement. C’est parce qu’il y aura des avant-gardistes, des rêveurs, des utopistes, qu’ensuite on pourra créer de nouvelles références dans la société. » Le mouvement Désobéissance fertile est récent et comprend quelques membres actifs. Son but est « de contribuer à ce que les personnes soient autonomes. On produit des docs pédagogiques pour expliquer le fonctionnement des lois, la désobéissance civile. Sur notre site, il y a une plateforme de mise en lien avec une initiative qu’on a lancée, qui s’intitule ‘Gardiens des territoires’. On propose aux propriétaires de terrains en France de les mettre à disposition de personnes qui ont des projets de vie ». Pour l’instant, on compte peu de retours concrets sur cette démarche, mais le projet est jeune et un tour de France de rencontres entre propriétaires et usagers est prévu pour 2022. En attendant, Jonathan, bon communicant, partage volontiers son mode de vie avec les médias alternatifs qui le contactent. « On vient de s’installer sur 10 hectares, c’est un laboratoire d’expérimentations, on veut que toutes les formes d’habitat léger coûtent moins de 5 000 euros pour 30 m² ».
Chantiers participatifs
À Saires, dans la Vienne, les Rencontres intergalactiques de l’habitat léger en sont à leur troisième édition. C’est la première organisation de ces réunions qui a lancé la dynamique collective autour d’Habitats libres en Poitou. « Il y a eu une rencontre avec la commune libre de Scévolles autour de Monts-sur-Guesnes, explique Guillaume. Ce sont des personnes qui se sont regroupées dans une logique communaliste. La rencontre entre des projets maraîchers et une envie d’un village d’habitats légers a permis de se lancer. On a organisé un camp d’un mois, pour apprendre à construire un habitat léger, et échanger. »
« On était quarante dans le camp, poursuit Guillaume. La première année, on a animé un chantier KerTerre, un chantier yourte et on a fait un dôme. En 2020, il y a eu un chantier yourte, un chantier stardome et un peu de terre-paille. » C’est aujourd’hui un temps et un espace fort d’échange et de promotion de l’habitat léger.
Habitats libres en Poitou offre en parallèle la possibilité de se former à la construction, porte des chantiers participatifs et est à l’initiative des Rencontres intergalactiques de l’habitat léger. Le collectif anime aussi un atelier en forêt de Scévolles pour fabriquer son habitat léger.
Sensibiliser
Hameaux légers incarne une approche plus professionnelle dans le paysage des collectifs de promotion de l’habitat léger. L’association, au discours moins politisé, est animée par cinq salarié·es. Elle a pour but « de sensibiliser à l’habitat réversible, donc de légitimer ce type d’habitat, que ce soit auprès du grand public ou des institutionnels. L’objectif est ensuite de relier les acteurs locaux entre eux. Nous facilitons le lien ; ensuite, c’est aux personnes de faire monter la mayonnaise, avec ou sans nous, explique Angéline. On a un autre volet : l’accompagnement, soit des collectivités, soit des collectifs d’habitants qui souhaitent engager un projet de hameau léger. » Dernier objectif de l’association : la transmission de savoir-faire, de réseaux, d’outils. Elle a notamment mis en ligne des formations et des outils (3). Cette démarche ne part pas d’expérimentations concrètes et il n’existe pas encore de projets finalisés, mais l’association recense sur son site 26 projets de hameaux légers en construction qui ne sont pas accompagnés par l’association, et 8 accompagnés par Hameaux légers.
En quelques années, le paysage associatif de l’habitat léger s’est coloré et la complémentarité des approches laisse entrevoir un avenir prometteur pour le développement de ce type d’habitat.
« Quand tu es en habitat léger, tu as réglé tes problèmes avec le capitalisme, s’enthousiasme Guillaume. Tu ne peux pas spéculer sur une yourte. C’est un mode de vie radical, qui allie le côté écologie et le côté social. On ne peut pas penser que du jour au lendemain tout le monde va vivre en yourte, mais on doit réfléchir à notre rapport à la propriété. L’habitat a pris une place énorme dans l’économie. Pour moi, s’il y avait une victoire, ce serait que le logement arrête d’être une marchandise, que tu n’aies pas à t’endetter trente ans. L’habitat léger, c’est un passage. »
Martha Gilson
(1) L’association, qui a toujours fait le pont entre la lutte pour le choix de son habitat et la dénonciation des habitats indignes, fait aussi partie, depuis 2014, de la Coalition européenne d’action pour le droit à la ville et le droit au logement (CEA). Cette coalition regroupe plus de 30 organisations dans toute l’Europe et milite pour le droit au logement, alors que les bulles spéculatives explosent partout en Europe et que des milliers de personnes sont expulsées.
(2) Habo est née d’une envie d’agir face à l’urgence climatique, l’iniquité sociale et la spéculation immobilière. Après avoir monté le premier forum de l’habitat léger lors du festival de la Terre en 2019, l’association s’est constituée pour promouvoir l’habitat léger en Suisse, au travers de conférences, de guides et de stages.
(3) L’association a mis sur son site internet en octobre 2021 un cours en ligne sur l’habitat réversible : https://hameaux-legers.org/mooc-habitat-reversible
Contacts
- Désobéissance fertile : https://desobeissancefertile.com
- Habitats libres en Poitou : habitatslibresenpoitou@gmail.com, https://tousauxabris.jimdofree.com
- Halem : 3 rue de la Huchette, 87000 Limoges, tél. : 06 18 94 75 16, association@halemfrance.org, www.halemfrance.org
- Hameaux légers : https://hameaux-legers.org
- En 2020, ces associations se sont regroupées au sein de la Fédération de l’habitat réversible, avec des constructeurs d’habitats légers notamment.
- Association Relier, 1 rue Michelet, 12400 Saint-Affrique, www.reseau-relier.org
- Association Habitat léger, www.habitat-leger.ch
Pour aller plus loin
- « La reconnaissance par la loi n’est pas forcément source de simplification », Bérénice Lemha, Silence, no 432, mars 2015
- Guide juridique pour les habitats alternatifs, Joris Danthon, éd. Atelier fertile, 2020,
- https://housingnotprofit.org
- La Désobéissance fertile, Jonathan Attias, Payot, 2021, 384 p., 18 €
- « L’habitat léger, choisi et écologique : une alternative freinée par des ‘maires shérifs’ », Benjamin Sourice, BastaMag, 31 décembre 2020
- « Habitat alternatif : derrière le rêve, la réalité administrative », Enzo Dubesset et Eiman Cazé, Reporterre, 26 janvier 2021
- « Une association pour propager l’habitat léger en Suisse romande », Philippe Huguenin, Moins !, no 50, janvier-février 2021
- « Les éco-hameaux toujours en proie à l’hostilité des élus », Léa Dang, Socialter, no 45, avril-mai 2021
Des expériences inspirantes
– Symbole s’il en est de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes : la cabane. Le développement et la pérennisation de l’habitat du bocage nantais s’est appuyé sur la construction d’une multitude de cabanes, toutes plus imaginatives les unes que les autres. Habitat léger respectueux de l’environnement et qui peut se construire avec les matériaux trouvables sur place, la cabane a aussi été un levier de résistance et a permis un ancrage sur le territoire. Les expulsions de 2018 reposaient d’ailleurs sur leur destruction.
– Le quartier de la Baraque, à Louvain-la-Neuve (Belgique). Dans les années 1960, contre la destruction du hameau, une trentaine de personnes s’installent dans le quartier dans des habitats légers : des roulottes, des serres, des bus, des dômes et des cabanes sont aménagés collectivement. Depuis 50 ans, une centaine de personnes vivent solidairement dans ce quartier, en habitat léger.
Romane Dubrulle, « La Baraque, un quartier alternatif et autogéré », Silence no 473, décembre 2018
– En Allemagne, les Wagenplatz sont des espaces collectifs, havres de solidarité au centre des villes. Ces campements de logements mobiles accompagnent souvent des logiques de squats. Depuis la chute du Mur, plusieurs immeubles ont été squattés en Allemagne, et des collectifs pérennisés. À Berlin, plus d’une soixantaine de personnes vivent en caravane ou dans des camions posés dans la cour du Köpi 137, centre socioculturel autonome. Des dizaines de Wagenplatz existent dans les principales villes allemandes.
Un mode d’habitat déjà récupéré ?
Depuis quelques années, les articles dans les médias, comme les fabricants de tiny house, se multiplient. La promotion de ce mode d’habitat, qui en occulte d’autres comme les yourtes ou les cabanes, peut poser question. C’est ce type de logement qui est parfois mobilisé par les pouvoirs publics pour répondre à des situations d’urgence. La tiny house, qui coûte plus cher que d’autres habitats légers (de 10 000 à 60 000 euros), est aujourd’hui commercialisée aussi par des multinationales comme Ikea. Tendance, la tiny house ? Tant mieux si cela permet de promouvoir plus globalement l’habitat léger, de faire avancer la législation ou de bousculer les imaginaires. Dommage si cela conduit à oublier que l’habitat léger est aussi une critique de la société consumériste et qu’il prend tout son sens quand il est construit avec des matériaux écologiques, si possible récupérés ou trouvés dans un environnement proche. Dommage, encore, si on oublie qu’un habitat léger est aussi un habitat qu’on peut participer à construire, que ce moment de construction permet de transmettre, découvrir ou redécouvrir des savoir-faire.
Habiter léger est-il vraiment plus écolo que l’habitat « en dur » ?
L’habitat léger a une très faible empreinte environnementale mais est éphémère et individuel. Il faut pouvoir y accéder (en voiture ?) et effectuer des raccordements (eau, gaz, électricité, internet, égouts…) qu’il est plus utile de densifier que de disperser. Parmi les habitant·es en habitat léger, combien vivent sans voiture ? Affirmer que l’empreinte écologique d’une yourte (qui ne dure que quelques dizaines d’années) est inférieure à celle d’un immeuble en pierre (durée de vie en centaines d’années) reste à démontrer.