Article Environnement Faune

Ver de terre et Cie : un petit monde de micro-organismes souterrains

Jean-Marc Siffre

La nature a des pouvoirs incroyables pour fertiliser la terre. Nous avons des allié·es dans la terre et nous ne les voyons pas. Des êtres minuscules travaillent pour nous. Des champignons à peine visibles communiquent à l’aide d’hormones pour aider les végétaux. Des plantes s’associent et s’entraident. Petit panorama.

Le ver de terre : un caca en or

- Nous savons qu’il enrichit la surface du sol en nutriments remontés des profondeurs dans des tortillons. Ces déjections contiennent 7 fois plus de phosphore, 11 fois plus de potassium 3 fois plus de magnésium 2 fois plus de calcium que les couches superficielles de terre : un caca en or !
- Ce n’est pas tout : c’est un bon petit laboureur qui assouplit la terre. En effet, il peut déplacer une quantité de terre égale à une fois et demi la masse de son corps en un jour. S’il y a 25 vers par mètre carré, sur un hectare l’ensemble des vers fertilisent et brassent jusqu’à 400 ou 600 tonnes de terre par an. Cette terre concentre 47% des fixateurs d’azote du sol. Un engrais gratuit, un labourage gratuit !
- Encore mieux, sur un hectare ils creusent des kilomètres de galeries qui assurent la porosité et l’infiltration de l’eau. Ils facilitent la circulation de l’air et favorisent les micro-organismes. Le ver de terre est un précieux petit auxiliaire qui n’aime pas qu’on le coupe en deux (contrairement à la légende, ça ne fait pas deux vers).

Des fourmis peuvent être « utiles » !

- Elles aèrent la terre en creusant des galeries, dispersent les graines, ameublissent le sol. Plus intéressant encore, des scientifiques ont découvert l’utilité prodigieuse de s fourmis pour régénérer une terre polluée comme le montre une étude : "Le rôle des fourmis en tant qu’ingénieurs écologiques…" Dans la plaine de la Crau, dans les Bouches du Rhône, l’action des fourmis a pu rétablir la biodiversité d’un écosystème dégradé par la rupture d’un oléoduc au cœur d’une réserve naturelle. "L’étude montre que ces invertébrés accélérèrent la résilience des communautés végétales… (…) sur une période de 5 à 10 ans, la fourmi a en effet amélioré la fertilité des sols, assuré le transport, la redistribution et le stockage de graines et aussi augmenté de manière significative la biomasse végétale à côté de ses nids".(1)
- Cela dit, toutes les fourmis ne sont pas toujours formidables. Surtout quand elles ont le toupet de rentrer dans les maisons pour manger notre sucre. De plus, elles entretiennent les pucerons, les élèvent, les déplacent quand ils sont coincés, etc. : c’est contrariant pour les jardiniè·res. Les pucerons abîment les jeunes pousses et affaiblissent les plantes. S’il faut, nous allons sévir contre les fourmis : barrages de glu, douche de lécithine, coup de balai, scolopendre aux mille-pattes, pic vert.

Une place pour chacun·e

Connaissez-vous des champignons amis et alliés des plantes ? Certains sont parasites mais beaucoup sont utiles. Les hyphes ("racines" des champignons mycorhiziens) entourent l’extrémité des racines et améliorent l’accès à l’eau et aux éléments nutritifs essentiels. La plante et le champignon échangent leurs besoins (sucres, protéine pour l’un ; eau, potassium, phosphate pour l’autre).
Les bactéries pullulent dans le sol. Certaines sont néfastes, mais d’autres sont bénéfiques en particulier pour la fixation de l’azote par les plantes et la décomposition des matières organiques.
Il y a d’autres amis minuscules que nous ne connaissons pas. Par exemple, sur 30 000 à 40 000 espèces de nématodes (2), seulement 3 000 sont connus. Une grande proportion est inconnue et c’est dommage. Les scientifiques sont capables de chercher. Mais nous ne leur donnons pas le temps. Nous sommes trop pressés, avides de profits sonnants et trébuchants.

Certaines plantes s’associent. Des herbes qui poussent toutes seules sont bénéfiques pour l’agriculture (l’inule visqueuse, la bourrache, l’ortie, etc.…). Encore faut-il savoir lesquelles. Ce n’est pas simple. Reste à apprendre pour ne pas enlever les herbes qui sont utiles.

Les pesticides perturbent tout le vivant

Les produits chimiques ne détruisent pas que les nuisibles. Ils perturbent nos petits amis : coccinelles, perce-oreilles (3), gendarmes, syrphes, hérissons, oiseaux. C’est ce petit monde de lilliputiens qui fertilise la terre ; sans lui les rendements agricoles déclinent. Nous pulvérisons généreusement insecticides, fongicides (contre les champignons), herbicides pour « soigner » les plantes sans savoir ce qui se passe dans le sol. Les insectes disparaissent : 80 % de la masse des insectes en moins en 30 ans (4). Que deviennent les insectivores ? …et ainsi de suite ? Bilan provisoire : aujourd’hui 83 % des sols agricoles européens contiennent des résidus de pesticides. En 2018, le rapport de l’IPBES (5) sur la dégradation des sols indiquait qu’on était déjà à 10 % de perte de rendement… Et en 2050, dans le monde "les sols auront perdu en moyenne 50 % de leur fertilité" d’après Hélène Soubelet directrice de la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité. "L’agriculture sans pesticides c’est un ensemble de techniques susceptibles d’augmenter la fertilité d’un sol agricole de façon durable. Il s’agit d’éviter la dégradation biologique, chimique et physique des sols inhérente à l’agriculture intensive sur le long terme. C‘est une agronomie qui s’appuie sur la connaissance des auxiliaires de culture – comme les insectes –, de leurs rythmes, de la dynamique des sols, de leur diversité, autrement dit, sur la biologie". (6)
Jean-Marc Siffre

(1) https://www.cnrs.fr/fr/les-fourmis-restaurent-les-pelouses-seches-mediterraneennes.
(2) Nématodes très petits vers : ils représentent une part très importante de la diversité biologique sur terre et constituent, en nombre d’individus, les 4/5 du règne animal.
(3) Le perce-oreille (ou « forficule »), bien que peu populaire, est en fait un précieux allié du jardinier car il se nourrit de petits insectes ravageurs tels que les pucerons. Il nettoie également le sol en consommant les débris végétaux et constitue une proie pour les oiseaux. Il est parfaitement inoffensif. Les perce-oreilles (ou forficules) | Les Jardins de Noé (jardinsdenoe.org)
(4) Stéphane Foucart « Le Monde » 2017 d’après un article paru dans la revue PLOS One
(5) IPBES : Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services
(6) (L’Age de Faire N° 161)

Blog de Jean-Marc Siffre et ses ami(e)s (abeilles, escargots, champignons, coccinelles, fourmis, microbes et vers de terre) dans le club de Médiapart : https://blogs.mediapart.fr/jm-siffre/blog/140321/agriculture-sans-pesticides-possible-ou-impossible

Sous Terre
Mathieu Burniat

Il y a plus d’êtres vivants dans une poignée de terre que d’humains sur la planète. Et nous n’avons pas encore identifié plus de 1 % de cette population. Pour éviter une histoire scientifique barbante, Mathieu Burniat a l’idée d’inventer un scénario agréable : Hadès, dieu des enfers, souhaite prendre sa retraite et cherche son ou sa remplaçante. Les tests d’embauche font place à une série d’épreuves où à chaque étape, des personnes sont éliminées. Chaque épreuve présente un pan de nos connaissances du sol. Et comme à la fin, l’héroïne prend conscience qu’il faut préserver les sols, elle envoie des ambassad·rices pour former les humains : et voici des zombis qui font la promotion du bio, de la permaculture, de l’agroforesterie… Très astucieux ! MB
Éd. Dargaud, 2021, 176 p., 20 €

Les jardiniers invisibles
Arnaud Ville

Une grande partie de la fertilité de nos jardins s’explique par le travail de multiples petites bestioles cachées dans les plantes, dans le sol, dans le compost… Insectes, araignées, mollusques, gastéropodes, tout ce petit monde fait un travail remarquable. Illustré par de très belles photographies, ce livre va vous convaincre de laisser vivre votre jardin au maximum sans votre intervention ! Tout au plus, pouvez-vous améliorer la diversité de la faune présente en augmentant la diversité des différents milieux présents : un point d’eau, un peu de boue, un pierrier, une pile de bois… On est loin des manuels de jardinerie habituels ! MB
Éd. du Rouergue, 2021, 128 p., 25 €

Marcel Mézy
L’homme qui redonne vie à la terre
Patrick Roux 
 
Ce paysan-chercheur aveyronnais a mis au point il y a plus de 35 ans un procédé de fertilisation basé sur l’action de microorganismes qui améliorent naturellement la fertilité et la santé des sols. “Avec le fumier que vous avez, vous êtes les plus riches du monde” disait-il à ses collègues. Toute sa vie, il s’est battu contre l’institution agricole et le lobby de l’agroalimentaire. Un ingénieur agronome ainsi que de nombreux chercheurs de l’INRA ont validé sa démarche intuitive et l’ont accompagné dans son travail. Aujourd’hui, plus de 15 000 agricult·rices désireu·ses de lutter contre les ravages des intrants chimiques utilisent ses fertilisants naturels. Ses détracteurs, qui ont fini par reconnaître l’intérêt de ses technologies, se sont mis à produire industriellement des microorganismes, hélas loin des besoins du sol et de son équilibre… L’auteur retrace le parcours de cet autodidacte pionnier. MD
Éd. Rouergue, 2020, 160 p., 17 €

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