"Contrairement aux agriculteurs maraîchers, les horticulteurs français n’ont pas encore amorcé le virage écologique et bas carbone qui s’impose désormais. C’est toute une filière qu’il faut reconstruire ou réadapter et, pour les producteurs qui démarrent, les difficultés sont nombreuses.
Tout est à apprendre
Il faut créer un modèle productif bas carbone, en adaptant les microfermes maraîchères agroécologiques à la production de fleurs coupées. L’exercice n’est pas simple car la saisonnalité de la production florale est bien plus marquée que celle des légumes et la diversité, beaucoup plus grande. Nous débutons et avons vraiment le sentiment de n’être qu’au début du chemin : tout est à apprendre. Il est difficile d’imaginer la complexité de ce métier tant qu’on ne s’y confronte pas. La filière est à construire, cela rend tout plus difficile. Par exemple, nous manquons de matériel agricole adapté au travail artisanal intensif : il est impossible de trouver un simple hache-paille. En Europe, le seul modèle existant — fabriqué en France — coûte 1 700 euros, alors qu’en Afrique ou en Inde, tous les paysans en ont un.
Les obstacles administratifs sont nombreux
Le modèle de ferme florale Slow Flower (voir encadré) ne rentre pas dans les cases de la filière professionnelle. Pire, beaucoup de chambres d’agriculture n’incitent pas à se lancer dans la fleur coupée. L’accompagnement, qu’il soit financier ou technique, est quasiment inexistant. Les minima de loyers (fermage) sont multipliés par 3 ou 5 selon que l’on décide de cultiver des légumes ou des fleurs ; les subventions sont très rarement ouvertes aux horticult·rices. Il est également plus difficile de trouver un terrain, car ceux-ci sont soit trop chers (un·e horticult·rice à la retraite préfère vendre à un promoteur immobilier), soit préemptés par les collectivités qui cherchent, la plupart du temps, à y développer un projet exclusivement maraîcher (le « manger local » est privilégié). Enfin, on manque de formations adaptées à ces nouvelles pratiques.
Déplacer la demande
Un producteur Slow Flower ne pourra jamais s’aligner sur l’offre du secteur horticole industriel. Pour les fleuristes, ce n’est pas forcément évident, car il faut réintégrer la saisonnalité des fleurs, les aléas de la nature, l’extrême diversité de l’offre et probablement une redistribution plus équitable des revenus. Ce sont des acteurs-clés pour ce changement : leur rôle pédagogique auprès des clients est indispensable.
L’agriculture urbaine a aussi un rôle à jouer : en créant des fermes florales au cœur d’une ville, nous voulons rendre visible ce processus de production.
Mieux répartir les risques entre acteurs de la filière
Nous regrettons que le risque financier soit aujourd’hui porté uniquement par l’horticult·rice. Si il ou elle expérimente des techniques de culture qui nécessitent quelques années pour être optimisées, si il ou elle teste de nouvelles espèces de fleurs qui ne donnent pas le résultat escompté, ou encore si il ou elle refuse d’utiliser des produits chimiques pour soigner des plants malades, quitte à perdre une partie de sa production, alors l’horticult·rice est toujours l’unique perdant·e car rien ne viendra compenser ce manque à gagner. À l’inverse, un·e fleuriste qui décide de se lancer dans le Slow Flower peut décider d’acheter des fleurs chez un·e petit·e product·rice local·e mais, en cas de problème, il lui est toujours possible de se rabattre sur l’offre conventionnelle afin de réaliser son chiffre.
Si chacun·e admet qu’il faut développer la production de fleurs françaises bas carbone, alors il nous paraît indispensable que ce risque soit aujourd’hui mieux partagé entre les différents acteurs de la filière. Concrètement, cela pourrait se traduire, pour les fleuristes bien établi·es, par des promesses d’achats à un prix volontairement plus élevé que le marché : le ou la product·rice qui débute verrait ainsi sa petite production prévendue à un prix intéressant et, pour le ou la fleuriste, ce serait indolore car la quantité de fleurs achetée resterait infime par rapport à son volume de vente annuel.
La Ferme florale urbaine
La Ferme florale urbaine, située sur le toit de l’hôpital Robert-Debré, dans le 19e arrondissement de Paris, a été créée en 2019 par Félix Romain et Tran-Phi Vu.
Chaque livraison est réalisée à vélo. Ici, toutes les fleurs sont locales (elles ne parcourent pas plus de 10 km durant leur existence) et de saison, cultivées en pleine terre, sans pesticides ni agents fixants, artisanales (utilisation de techniques simples), zéro déchet (sans plastique, compostage), etc. https://fermeflorale.paris
Le Slow Flower
Le Slow Flower (littéralement « fleur lente ») est une tendance apparue dans les années 2000, dans la lignée du mouvement « Slow ». Il consiste à privilégier les fleurs locales et de saison ainsi que des pratiques saines et responsables à tous les niveaux. En France, il est porté, entre autres, par le Collectif de la fleur française.
Une concurrence possible avec les surfaces agricoles ?
Une critique émerger lorsqu’on parle de la culture des fleurs : leur caractère « futile » par rapport à la production agricole. S’il fallait choisir, pour une surface donnée, entre cultiver des pommes de terre ou des fleurs, il semble que les premières, nourrissantes, auraient nécessairement la priorité. C’est d’ailleurs dans ce sens que fonctionnent les politiques foncières, comme le souligne Félix Romain. La souveraineté alimentaire passe avant l’envie d’une touche de beauté dans sa cuisine ou sur son balcon.
Quelles sont les surfaces concernées ? En Occitanie, en 2017, le secteur horticulture et pépinières représentait 6 % des surfaces cultivées, selon la Chambre d’agriculture. Dans les Pays de la Loire, horticulture et pépinières représentent 3 300 ha sur 2,3 millions d’hectares cultivés en tout.
En France, on comptait en 2020 1 200 entreprises à dominante « pépiniériste » et 1 700 à dominante « horticulture », 14 000 fleuristes et 1 600 jardineries.
Aujourd’hui en France, vu la modestie des surfaces horticoles, aucune menace sérieuse ne semble peser sur le secteur alimentaire. En revanche, dans certains pays gros producteurs, la question se pose. Et si demain nous relocalisions l’ensemble de notre production sans réduire notre consommation, il faudrait multiplier les surfaces cultivées par 5 ou 10.
Les pratiques d’agroécologie peuvent permettre de dépasser ce problème de concurrence en associant cultures maraîchères et horticoles de manière intelligente.
GG
Pour aller plus loin :
• Le Collectif de la fleur française, né en 2017, rassemble plus de 140 fleuristes et product·rices à travers la France. Il soutient la culture de fleurs locales et de saison et s’inscrit dans le mouvement « Slow Flowers ». Collectif de la fleur française, 4 rue Brunel, 75017 Paris. Son site www.collectifdelafleurfrancaise.com présente une carte de France de ses membres.
• Fleurs d’ici : réseau de vente de fleurs locales et de saison… mais seulement en ligne. www.fleursdici.fr
• Triangle vert : dans l’Essonne, des porteu·ses de projet de fermes florales en recherche de foncier sont accompagné·es par l’association Triangle vert. Le Triangle vert des villes maraîchères du Hurepoix, 5 rue Alfred-Dubois, 91460 Marcoussis, tél. : 01 64 49 69 79, www.trianglevert.org
• L’intelligence des fleurs, Maurice Maeterlinck, Éd. de Paris Max-Chaleil, 2020 (1907)
• Atlas de botanique poétique, Francis Hallé, Arthaud, 2019
• Fleurs, Marco Martella, Actes Sud, 2021
• Guide Delachaux des fleurs de France et d’Europe, D. Streeter, C. Hart-Davies, 2011
• La Flore des friches urbaines, A. et M. Muratet, M.Pellaton, Xavier Barral, 2017