Dossier Environnement Flore

La décroissance : dites-le avec des fleurs ?

Guillaume Gamblin

Ce dossier développe ce qui peut être fait pour adopter les pratiques les plus écologiques et équitables possible… au sein de la filière et du marché de la fleur. Comment prolonger cette réflexion pour aller vers la décroissance ?

Les pistes présentées dans ce dossier pourraient permettre de relocaliser et de re-saisonnaliser, de faire décroître une exploitation des travailleu·ses aux relents néocoloniaux, de freiner les marchés financiers, les nuisances écologiques liées au gâchis, au transport, aux pesticides, aux serres chauffées, au plastique etc., tout en instaurant des pratiques qui feraient vivre dignement toute une filière locale travaillant en coopération.
C’est déjà un grand pas en avant, et cette généralisation transformerait en profondeur le paysage du marché de la fleur.
Ces initiatives vont sans doute aussi loin qu’il est possible d’aller dans ce cadre. Cependant, il nous semble important de prolonger la réflexion dans une perspective de décroissance.

Transformer les habitudes de consommation

Un changement d’imaginaire et d’habitudes de consommation serait nécessaire pour transformer plus radicalement le paysage de la fleur. A minima pour aller vers les pratiques mises en avant par la filière de la fleur locale et équitable : privilégier les bouquets de fleurs locales et de saison aux roses importées aux couleurs chimériques. Mais aussi préférer les plantes en pot aux fleurs coupées, aller admirer les fleurs autour de chez soi là où elles se trouvent, choisir de se fournir chez des fleuristes qui adoptent des pratiques plus écologiques (sans plastique, entre autres). Organiser les mariages ou enterrements sans une profusion de fleurs coupées. Pour les cadeaux, réinventer l’éternel bouquet de fleurs (1). Plus largement, il s’agit de sortir de la consommation notre rapport aux fleurs, comme on le verra plus bas.

L’omniprésence du numérique

Du côté des fleuristes, soulignons l’omniprésence du numérique dans les alternatives présentées.
Cette numérisation galopante s’est développée face aux restrictions liées au Covid-19. Fin août 2020, après quatre mois de pandémie, 2 000 fleuristes avaient déjà dû fermer définitivement leurs portes en France, et un doublement de ce chiffre était attendu avant la fin de 2020. Le secteur a donc subi une véritable hémorragie.
Pour s’en sortir, la filière s’est massivement reportée sur le numérique afin de poursuivre une certaine activité commerciale en gardant son rideau fermé. L’insistance sur le numérique est constante dans les initiatives de relocalisation de la filière, comme interface pour relier les différents acteurs et ajuster leurs besoins à ceux de la clientèle. Les client·es peuvent choisir via une interface internet les fleurs et les bouquets souhaités, qui sont ensuite cueillis à la demande puis récupérés à la ferme ou en boutique. Ce système permet de « ne consommer que le nécessaire, laisser les autres fleurs s’épanouir à disposition des abeilles. Pas de boutique ni de vitrine à entretenir avec stock de démonstration à entretenir et gaspillé », argumente Tiphaine Turluche, de la ferme horticole Les Bottes d’Anémone, dans le Morbihan. Ce discours est mis en avant de manière plus globale par le réseau Fleurs d’ici, qui s’est spécialisé dans la vente en ligne (2).
On comprend l’intérêt de ces plateformes, dans un contexte où les boutiques des fleuristes sont fermées à cause des restrictions sanitaires et où le secteur subit la crise de plein fouet. Par ailleurs, il est plus difficile que dans l’alimentaire de s’engager, comme dans une Amap, à recevoir régulièrement des bouquets de fleurs. Les fleurs impliquent davantage des commandes au coup par coup. Cela interroge cependant sur l’avènement d’une société 2.0, à base de tout numérique, où la numérisation est présentée comme l’instrument par excellence d’écologisation des pratiques. Y a-t-il d’autres manières d’être résilient·es sans passer par ce canal ?

Renoncer à la fleur coupée ?

Un autre point d’interrogation concerne le caractère éphémère des fleurs coupées par rapport aux fleurs et plantes en pots ou en pleine terre. Y a-t-il vraiment un sens à poursuivre le commerce, la valorisation et la normalisation de fleurs coupées comme objets de décoration ou moyens d’exprimer ses sentiments ? Quid des fleurs en pots et à bulbes qui peuvent être entretenues et vivre plusieurs saisons ? De même pour les fêtes telles que les mariages : serait-il si choquant de disposer des fleurs en pots, qui seraient ensuite récupérées par les fleuristes puis réutilisées à d’autres occasions ? Même si des questions similaires se posent ici : des plantes en pots de plastique, industrielles et importées, dopées chimiquement, achetées en supermarché, sont tout aussi problématiques.
Ces questions peuvent être dérangeantes pour la filière de la fleur car elles mettent en péril sa survie économique, qui repose, pour beaucoup, sur les fleurs coupées. Une transition progressive vers une sortie de la fleur coupée serait-elle envisageable ?

Sortir les fleurs du marché ?

Et si la réflexion sur la décroissance amenait à envisager de sortir de la filière marchande ? En effet, il existe d’autres moyens imaginables de satisfaire nos besoins d’admirer des fleurs : aller les regarder dans les parcs et jardins en ville (qui pourraient être amenés à se multiplier), à la campagne et à la montagne (dans une société décroissante qui ménagerait davantage d’espaces propices à la biodiversité), en planter chez soi quand on a un jardin, échanger des graines ou des semis pour en cultiver soi-même, etc.
Cette hypothèse engendrerait des pertes d’emploi du côté des fleuristes et des horticult·rices. Que serait-il possible d’imaginer pour y remédier, quelle transition et vers quoi ? Peut-on concevoir que certains de ces emplois soient reconvertis vers la restauration des écosystèmes ou l’entretien des parcs floraux, vers l’accompagnement à la découverte de la flore en milieu naturel ? Par ailleurs, quelles en seraient les conséquences dans les pays qui vivent aujourd’hui de la culture et du commerce de la fleur ?
Il faudrait aussi se méfier d’un possible report négatif sur la flore sauvage, qui se trouverait encore plus menacée par une intensification de la cueillette par les particuliers. Comment éviter cela (3) ?
Les questions restent nombreuses pour continuer à avancer vers la décroissance… et pour le dire et le faire avec des fleurs.

GG

(1) Un membre de Silence, qui dispose d’un jardin fleuri, explique qu’il ne cesse de recevoir des fleurs lorsqu’il invite des gens chez lui, par manque d’imagination sans doute. Dans certains pays asiatiques, on a l’habitude d’offrir des corbeilles de fruits.
(2) « Grâce au digital, Fleurs d’ici agrège au sein de son collectif des acteurs de toute taille, leur permettant ainsi de retisser des liens de proximité entre producteurs, artisans fleuristes et clients. Ce modèle horizontal dans lequel nous croyons montre toute sa résilience dans la crise actuelle car il est fait d’une multitude de petits liens, insignifiants pris individuellement mais d’une force incroyable pris dans leur ensemble. »
(3) Il existe une réglementation relative à la cueillette des fleurs sauvages mais elle est difficile à appliquer.

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