Dossier Alternatives Consommation

Les limites de l’économie circulaire

Michel Bernard

Le « développement durable » n’a jamais réussi à infléchir le rythme de destruction de la planète. Ce concept trop flou, né en 1992, a surtout servi à masquer l’inefficacité de nos politiques. Une autre expression a émergé en 2002 : « l’économie circulaire ». Mais c’est encore un cache-misère pour retarder la nécessité de la décroissance.

L’économie circulaire souhaite s’inspirer de la nature, qui ne produit aucun déchet. Il s’agirait d’utiliser les rebuts d’une entreprise comme ressources pour une autre, de telle manière qu’il n’y ait plus de production de déchets et que l’on puisse limiter la consommation des ressources, donc diminuer notre empreinte écologique, nos gaz à effet de serre… (1).
Au Québec, la Laiterie de Charlevoix utilise ses rejets de lactosérum pour produire du méthane, dont la combustion fournit de l’énergie à l’usine. La méthanisation laisse des boues riches en phosphore, épandues dans les champs comme engrais pour produire plus d’herbe, laquelle sert à l’alimentation des vaches qui fournissent le lait. Cette chaîne de fabrication est bien circulaire car elle est encore proche des processus naturels.
Il en est autrement quand Michelin annonce avoir mis en place un système de location des pneus pour poids lourds : ceux-ci sont facturés en fonction du kilométrage, puis récupérés, rechapés et réutilisés trois fois. Cela réduit des deux tiers les besoins de matières premières, coûte 40 % moins cher et génère quatre fois plus d’emplois que la vente habituelle… mais les particules de pneus usagés continuent de se disperser tout le long des voies routières et il faut encore un tiers des matériaux de départ.
La ville d’Oslo (Norvège) se vante d’être pionnière en la matière : collecte sélective des déchets organiques pour la méthanisation et la production de carburants des autobus, utilisation des résidus de la méthanisation comme engrais dans les espaces verts et agricoles, recyclage d’une partie des rebuts et incinération du reste pour produire en cogénération chaleur et électricité. Toutefois, elle oublie de dire que l’incinérateur produit des mâchefers (30 % du volume initial) qui condensent les produits toxiques et que les filtres à dioxines sont des déchets dangereux (3 % du volume initial) (2)… En outre, de nombreux produits n’ont pas de filière de recyclage effective (piles, batteries, nombre de plastiques, etc.).
Selon l’organisation néerlandaise Circle Economy, seuls 9 % des 92, 8 milliards de tonnes de minéraux, énergies fossiles, métaux et biomasse entrant dans l’économie sont réutilisés chaque année (3). Pour le dire autrement, malgré tous les efforts des collectivités publiques, entreprises ou particuliers, nous sommes encore quasi totalement dans une logique extractiviste.

La logique « croissance verte »

Quelle est la logique du « développement durable » et de l’« économie circulaire » ? Essayer de repeindre en vert la production toujours croissante de produits les plus divers. Il s’agit de continuer le business as usual en n’adoptant des pratiques écologiques que si cela rapporte davantage. Il ne s’agit en rien d’internaliser les coûts environnementaux et sociaux des différentes productions. Le résultat est que, malgré tous les exemples que l’on peut donner de démarches plus ou moins vertueuses, notre consommation reste en hausse, tout comme notre production de déchets.
Prenons un exemple français : depuis quelques années, nous sommes envahis par les petits emballages en aluminium et acier des capsules à café. L’emballage d’une capsule pèse 2 g (pour 5, 5 g de café). Il est très difficile à isoler et à recycler. En 2014, l’organisme Éco-emballages, qui touche la taxe sur les déchets, a développé avec l’Association des maires de France un programme intitulé Projet métal, qui bénéficie également du Fonds Nespresso créé par Nestlé (4). Depuis, 27 centres de tri ont été installés et 950 tonnes ont été collectées en 2019 soit, selon Nespresso, environ 20 % des ventes (5). Et donc, 80 % des emballages finissent dans les déchets, soit 3 800 tonnes ! À ceci, il faut ajouter la consommation d’énergie pour la filière de recyclage qui rend cette opération totalement inintéressante, sauf à faire croire que l’on peut utiliser ce genre de cafetière. Il s’agit d’un cas typique d’écoblanchiment. La première solution serait d’avoir une cafetière sans capsule, la deuxième de ne plus consommer de café car c’est un produit d’importation qui pose d’innombrables autres questions (6).

La décroissance est la meilleure démarche

La décroissance ne consiste pas à recycler mieux mais à diminuer de manière importante et régulière ce que nous extrayons de la nature, réduire la production de déchets, utiliser des produits résistants, partager les outils dont nous avons besoin, privilégier les liens sociaux aux biens, diminuer les inégalités sociales. La décroissance est la seule solution pour éviter l’emballement du réchauffement climatique, l’effondrement de la biodiversité… Reste à trouver comment y parvenir de manière agréable, idée que développent de nombreux groupes et livres autour du concept de sobriété heureuse et de simplicité volontaire.

Michel Bernard

(1) Pour une définition plus complète, voir la loi du 10 février 2020 : www.ecologique-solidaire.gouv.fr/leconomie-circulaire
(2) Les résidus d’épuration des fumées d’incinération des ordures ménagères (Refiom) sont le produit de la neutralisation des gaz acides et polluants par des réactifs comme la chaux ou le bicarbonate de sodium. Les Refiom, par définition très toxiques, comprennent essentiellement des cendres volantes, des résidus de neutralisation des fumées et des « gâteaux » de filtration des eaux de lavage des fumées.
(3) Cité par Laure Waridel, La Transition c’est maintenant, Écosociété, 2019, p. 82
(4) La création de ce type de fonds est une pratique courante des entreprises pour « optimiser » leurs impôts en faisant des dons intéressés.
(5) www.nespresso.com/entreprise/combien-de-capsules-nespresso-sont-recyclees-en-france
(6) Même étiqueté « équitable », le café, importé du bout du monde, nécessite une filière de production fortement consommatrice d’énergie. D’autre part, les monocultures, installées au détriment des forêts tropicales dans les pays d’origine, même en coopérative, posent un problème de destruction de la biodiversité.

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