Cela fait déjà près de dix ans que Vinci réfléchit au déploiement d’un parc d’attractions BD en Charente. Depuis son annonce au dernier festival d’Angoulême, il a désormais un nom : Imagiland. Ses attractions seront composées de montagnes russes et cinéma 4D à l’effigie des plus grandes vedettes de la BD franco-belge comme Gaston Lagaffe, Yakari, Léonard ou bien Valérian. Augmentés d’un parc de canyoning et d’accrobranche, les coûts du projet sont estimés à 110 millions d’euros. Le conseil communautaire a d’ores et déjà approuvé ce projet dont l’ouverture est prévue pour 2023. Vinci et le groupe chinois Dragontoon jouent des coudes pour lancer plus vite les travaux sur une ancienne carrière Lafarge.
Biodiversité et désobéissance civile contre bétonneuses
Il faut dire qu’Imagiland est loin de faire consensus. Un collectif de citoyen·nes baptisé ImagiNON proteste activement contre la mise en place du parc. Après la mise en ligne d’une pétition, il veut contester sur le plan juridique son permis de construire et alerter les populations locales. Avec Extinction Rebellion, ses membres se forment à la désobéissance civile en vue d’actions à venir. Lors de la manifestation pour le climat du 28 mars 2021 les membres du collectif s’affichaient fièrement en tête de cortège.
Leur principal argument est d’ordre écologique. Selon le collectif, la friche industrielle de 12 hectares choisie pour y construire le parc est devenue avec le temps une zone humide où vivent 35 espèces protégées, dont l’alouette lulu et le milan noir. Ce lieu dit La Brousse Marteau compte d’ailleurs parmi les lieux importants de la biodiversité du Poitou-Charente, selon l’Atlas de la biodiversité communale de La Couronne. Mélanie, une militante membre d’ImagiNON, précise : « avec ses nouveaux étangs creusés et sa nouvelle plaine calcaire, la nature a pu trouver refuge sur ce site dont l’exploitation par Lafarge n’est qu’une parenthèse dans son histoire. Notre devoir est de protéger ce lieu-dit en le sanctuarisant plutôt que de ramener la bétonneuse ». Elle rappelle que l’impératif de la lutte contre le réchauffement climatique passe par une limitation de l’artificialisation des sols, comme l’énonce la circulaire du 24 août 2020. Au regard de ce texte, Imagiland apparaît comme un sacrifice écologique de plus sur l’autel de la libre entreprise et de la croissance économique.
Mensonges verts
Anticipant les critiques, les investisseurs avancent des mesures compensatoires pour limiter l’impact environnemental. L’installation d’un « parcours découverte pédagogique des espèces, des zones humides et des boisements prévus sur le site » et de nichoirs à chauve-souris sont notamment prévus. Vinci promet aussi le recours aux énergies renouvelables et à des entreprises locales pour l’approvisionnement en nourriture d’un parc à « l’architecture sobre et aimable qui laisse la part belle au paysage ». Vous avez dit greenwashing ? Ces belles formules provenant du diaporama de présentation du projet dissimulent mal les ambitions d’un parc industriel parmi tant d’autres, compte tenu de la bétonisation des sols et de l’activité que le parc va engendrer. L’argument économique est tout autant agité auprès des institutions : selon Vinci, le parc devrait créer à terme 200 emplois stables en attirant 500 000 visiteu·ses par an. À titre de comparaison, le parc Spirou (Vaucluse), créé par la même société Dragontoon, n’a attiré que 270 000 personnes en 2019 alors qu’il en prévoyait 450 000, et emploie en grande majorité des travailleu·ses saisonni·ères. Même sur le terrain de l’emploi, Imagiland risque de ne pas tenir ses promesses. Son succès, alors que le parc compte se situer à une centaine de kilomètres du Futuroscope (Vienne), paraît enfin incertain.
Faire des profits ou soutenir la création artistique ?
Ce projet de parc symbolise aussi un brutal retour en arrière concernant le statut culturel de la bande dessinée en France. Les éditeurs sont louables lorsqu’ils valorisent le patrimoine de la BD franco-belge par de belles rééditions. Pas lorsqu’ils acceptent de le marchandiser à un constructeur d’autoroutes. L’UNESCO a, depuis peu, nommé Angoulême « capitale mondiale de la bande dessinée », pour son festival et ses infrastructures qui contribuent à ériger la BD en neuvième art. Il semble pour le moins paradoxal que ce titre prestigieux soit accordé en même temps que naît un projet industriel renvoyant le médium quarante ans en arrière. Dans les années 80, Imagiland aurait complété le tableau d’un secteur culturel en grande partie standardisé. Mais par ses choix de mascottes qui proviennent toutes d’une autre époque, le parc joue la carte de la nostalgie et de l’infantilisation, et privilégie les franchises commerciales à l’édition indépendante et à la culture vivante.
Dans un contexte où la communauté des auteurs s’élève contre la précarisation de son métier, l’inaction des pouvoirs publics se révèle d’autant plus scandaleuse que ces derniers apportent un soutien financier conséquent à Imagiland : 5 millions d’euros de subventions de la part de l’agglomération et 2 millions provenant des caisses régionales. Les infrastructures pour acheminer le public vers le parc seront également payées par le contribuable. Tous ces investissements publics bénéficieront surtout à Vinci et ses actionnaires. Alors que 2020 devait être l’année de la bande dessinée, on célèbre l’art séquentiel avec du béton et des promesses de frisson au consommateur.
Il apparaît urgent que la mobilisation contre la construction du parc se massifie. Il n’est pas trop tard pour parvenir à l’annulation du projet. Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois que Vinci s’incline face à la détermination de quelques irréductibles gaulois : il faut se rappeler Notre-Dame-des Landes...
Marius Jouanny
Sans étiquette politique, Marius Jouanny admire autant Murray Bookchin qu’Auguste Blanqui. Il est rédacteur pour Casemate, Neuvième art 2.0, Le Rayon Vert, Lundi Matin, Les Cahiers de la BD et La Charente Libre.
ImagiNON, La Brousse-Marteau, 16100 La Couronne, collectif.imaginon@gmail.com.