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Décrypter et combatte le publisexisme

Nicolas Robin

La publicité est un vecteur de clichés sexistes, c’est ce qu’on appelle le publisexisme. L’Observatoire de la publicité sexiste, un groupe créé par le mouvement Résistance à l’agression publicitaire, a réalisé une vaste enquête participative pour explorer le sujet. Cet article s’appuie sur un entretien avec Jeanne Guien, l’une des porteuses de cette étude.

Le publisexisme véhicule tout un cortège de représentations, d’injonctions et de stéréotypes qui utilisent l’image des femmes pour accaparer l’attention et véhiculer des messages parfois dégradants ou ostentatoires.

La pub n’a pas fait sa révolution féministe

D’évolution radicale (féminisme des années 70 ou depuis le mouvement #metoo), il n’est guère question dans les faits : les corps sont toujours contraints, les mannequins ont des anatomies impensables obtenues au prix de sacrifices et de tourments que l’on imagine encore mal. Photoshop est d’un grand secours quand les corps traduisent des réalités trop « hors-normes »… Les discours repris à renfort de chartes éthiques font l’éloge d’un certain féminisme, mais ils se traduisent à grand peine dans les faits et les codes publicitaires ont la vie dure. Moins explicites qu’avant, les messages colportés n’assènent plus des présupposés sexistes, mais les poses des personnages « au féminin » (car la publicité peut être gay friendly, avec les mêmes poncifs et clichés) sont lascives, vues de dessous ou de derrière avec tout ce que cela suppose dans l’inconscient collectif.

Ravages sociaux

Jeanne Guien, du mouvement Résistance à l’Agression Publicitaire (RAP), dénonce avec l’Observatoire de la publicité sexiste (un groupe de travail bâti en interne) cette dichotomie entre hommes et femmes, et là où une femme avec une « doudoune est présentée en slip, un homme le sera entièrement vêtu ». La femme est exposée et se doit d’être dans une disponibilité sexuelle permanente. On en vient même à sexualiser ou genrer des objets et une voiture qui irait « si bien à un homme » est complaisamment présentée comme sa compagne idéale. (1)
Les femmes sont montrées comme des « consommatrices nées », un peu simples et dévouées aux tâches domestiques (enfants, alimentation, ménage) et à leur apparence. « L’injonction à la beauté est très forte, surtout envers les adolescentes, qu’on représente toujours comme uniquement préoccupées de fringues et de cosmétiques », précise Jeanne Guien.


Les ressorts du publisexisme
Le rapport 2019-2020 de l’Observatoire de la publicité sexiste a été réalisé de manière participative, durant un an. 165 personnes de 20 communes françaises ont apporté des contributions sur le sujet, exemples à l’appui. 81% des publicités sexistes identifiées visaient le genre féminin. Elles utilisent principalement les injonctions à la beauté, à la jeunesse et à la minceur. Le rapport décrypte pas à pas, exemples visuels à l’appui, les ressorts de ce publisexisme ordinaire. La position du corps (bouche entrouverte, jambes écartées, etc.), les vêtements (ou leur absence), le cadrage (plans rapprochés sur des parties suggestives du corps) sont mis à contribution. Les stéréotypes (la vénalité des femmes, leur fragilité, leur inaptitude au volant) sont utilisés. Ce sont des femmes qui sont représentées pour les métiers de l’éducation et du soin. Les femmes corpulentes, âgées, racisées, non-valides, LGBT+, sont largement exclues de la représentation. Enfin, même certaines publicités contre les violences faites aux femmes se fourvoient dans des images sexualisantes des femmes, preuve que le chemin est encore long pour décoloniser les imaginaires…

Les effets du publisexisme sont multiples : ravages sociaux (les femmes qu’on peut bafouer, attoucher, la culture du viol), sanitaires (boulimie, anorexie), troubles compulsifs (dépenses), mésestime de soi dans ses projections professionnelles ou dans l’acceptation de son corps, etc.

Des propositions pour en finir avec le publisexisme

Quelles pourraient être les mesures à prendre pour contrecarrer ces effets pervers ? Il ne faut pas trop compter sur l’Autorité de Régulation de la Publicité, peuplée de publicitaires juges et parties, qui dans le meilleur cas émettent un avis défavorable en retard après que l’image dégradante ait été diffusée.
Le rapport réalisé par l’Observatoire de la publicité sexiste formule quelques propositions concrètes pour en finir avec le sexisme publicitaire :
• Mettre fin à l’autorégulation publicitaire par la création d’une instance de régulation réellement indépendante et dotée de pouvoirs de sanction.
• Inscrire clairement dans la loi l’interdiction du sexisme dans la publicité.
• Ne plus utiliser de corps (entiers ou morcelés, humains ou humanoïdes) dans la publicité.
Mais les résistances sont diverses et l’inertie palpable : chaque enseigne s’agrippe à son créneau publicitaire comme à un capital immatériel, la sacro-sainte image de marque. Nous faisons face à un lobby puissant, qui barre la route aux avancées sociales comme ce fut le cas lors de la convention citoyenne qui a accouché d’une souris de ce point de vue. La publicité représente le deuxième secteur économique mondial (21 milliards d’euros en France en 2016) derrière l’armement et la défense… Des firmes comme l’Oréal dépensent plus en communication qu’en recherche et développement, pour prendre un exemple.
Face à cela, RAP qui a été à l’origine de ce rapport paru le 21 janvier 2021 compte bien renouveler l’initiative et lancera prochainement une seconde enquête, en vue de récupérer témoignages et opinions au service d’une (r)évolution des principes de la pub.
Nicolas Robin

(1) Ndlr : La publicité génère une sexualisation généralisée des corps des femmes comme des hommes, même si elle est beaucoup plus marquée chez les femmes.

Pour aller plus loin :
• Rapport Le sexisme dans la publicité française, Observatoire de la publicité sexiste, https://antipub.org/rapport-sexisme-publicite-francaise/
• Résistance à l’agression publicitaire (RAP), « La Teinturerie », 24 rue de la Chine, 75020 Paris, tél. 01 43 66 02 04, https://antipub.org.
• Contre les publicités sexistes, Sophie Pietrucci, Chris Vientiane, Aude Vincent, éd. L’échappée, 2012.
• Une histoire du marketing, Frank Cochoy, La Découverte, 1999.

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