Aïsha, Céline, Nadia et Valériane sont toutes quatre des prisonnières en fin de peine : elles ont pu accéder à un placement extérieur, c’est-à-dire hors des murs de la prison, dans cette exploitation soutenue par Emmaüs qui produira des légumes en agriculture biologique dès cet été. En attendant les premières pousses, il a fallu construire les serres, installer le système d’irrigation, planter la haie qui constituera un refuge pour la biodiversité, etc. Elles sont employées vingt-six heures par semaine et rémunérées au SMIC. Tous les matins, elles démarrent à 8 h 30 sous la supervision du maraîcher et travaillent jusqu’à 13 heures. L’après-midi est consacré aux démarches administratives, aux soins de santé, ou est un temps libre. Des travailleu⋅ses socia⋅les prennent le relais pour les accompagner afin de préparer au mieux leur libération.
La structure est la première du genre en France, « et même en Europe », ajoute Gabi Mouesca, le directeur et fondateur de la ferme. Des fermes de placement extérieur existent déjà, mais elles étaient réservées aux hommes.
Un abolitionniste aux commandes
Pour le directeur, lui-même ancien détenu, pas question de parler « d’insertion » ou pire, de « réinsertion » : « Cela voudrait dire que ces personnes ont déjà été insérées dans la société. Or la plupart des personnes qui vont en prison ont toujours été aux marges. » Le mot reste donc la recherche « d’autonomie » : « En plus, en tant que Basque, ça me parle cette question d’autonomie », glisse, facétieux, l’ancien président de l’OIP (Observatoire International des Prisons) qui a connu les barreaux durant dix-sept ans pour sa participation au groupe armé indépendantiste Iparretarak. Il se revendique abolitionniste, c’est-à-dire en faveur de l’abolition de la prison, mais « comme ce n’est toujours pas porteur d’être abolitionniste et que mes cheveux blancs gagnent du terrain, je porte ce projet qui montre qu’on peut sanctionner autrement que par la prison avec des peines qui n’humilient pas, ne détruisent pas. Ici les gens se remettent debout et en marche. Elles ne sont pas dans une cellule mortifère de 9 m². »
Céline, quarante-trois ans, a vu passer le projet dans la revue de l’OIP et a présenté sa candidature. Ce qui l’a motivée ? « Le fait qu’on soit suivies pour préparer la sortie dans toutes les démarches administratives. » L’argent aussi : « On peut se faire un petit pécule pour ne pas sortir à poil. » « Le fait aussi que ce soit du maraîchage bio, qui s’inscrit dans une responsabilité. Je trouve agréable de travailler la terre, même si je ne vais pas en faire mon métier, j’ai appris plein de choses. »
La ferme devrait accueillir sept détenues avant l’été, douze d’ici la fin de l’année. À midi, l’une d’elles se détache pour partir en cuisine et préparer le repas partagé entre les détenues, les salarié∙es et les bénévoles de la structure. À terme, les légumes produits sur la ferme seront consommés sur place. Le surplus sera proposé en vente directe sur l’exploitation.
Chloé Rebillard et Isabelle Miquelestorena
Texte initialement paru sur le site Reporterre