Article Alternatives

Utopies en lutte

Samuël Foutoyet

Samuël Foutoyet, animateur du média indépendant en ligne Ici Grenoble, s’est adonné à un exercice d’utopie appliquée. Il a imaginé les initiatives écologistes, alternatives, solidaires qui existeront dans quelques années dans le département de l’Isère. Nous vous invitons à faire un saut dans le futur pour une petite visite guidée de ces alternatives imaginaires…

La Coopérative Isère 2051

Le but de cette coopérative, volontairement limitée à 100 sociétaires, est de se préparer au réchauffement climatique et à ses conséquences politiques en Isère, pour les 30 ans à venir. S’adapter aux nouvelles conditions climatiques, à un contexte politique qui sera de plus en plus autoritaire, accueillir solidairement les réfugié·es climatiques, passer à une vie plus sobre et autonome, soutenir les forces révolutionnaires et les populations les plus discriminées, font partie de ses objectifs.
« Isère 2051 s’est octroyé des moyens financiers considérables. Dans la plupart des associations, les adhésions sont de l’ordre de quelques dizaines d’euros par an. Pour faire partie d’Isère 2051, il faut verser 30 000 à 100 000 euros sur 30 ans, soit 80 à 250 euros par mois, selon ses revenus. Ces sommes peuvent paraître démesurées, mais elles correspondent à ce que la plupart des salarié·es peuvent réussir à économiser par un mode de vie sobre. Pour payer leur cotisation, certain·es sociétaires puisent dans leurs héritages familiaux ou leurs indemnités de licenciements. Au total, Isère 2051 dispose d’un capital de 7 millions d’euros. »
Avec cet argent, la coopérative a acquis un réseau de 30 fermes pour bâtir les bases d’une certaine autonomie et accueillir 3000 réfugié·es d’ici 2051. Les bâtiments sont rénovés ou conçus pour faire face à des épisodes climatiques extrêmes. Cinq d’entre eux sont en non-mixité féministe. La coopérative affecte également son argent à la communication politique, au soutien des luttes. Elle a été contrainte de passer dans la clandestinité par la loi sur l’« ultrasécurité intérieure et extérieure », votée en 2026 par le gouvernement Wauquiez, qui interdit désormais toute information promouvant l’accueil de réfugié·es climatiques.

L’ouvre aux 1000 jardins

Latifa et Émilie rêvaient de créer une ferme bio à quelques kilomètres de Grenoble pour y accueillir un immense jardin partagé de mille parcelles. Non pas une « ferme », mais une « ouvre », au contraire ! Leurs démarches auprès du monde agricole se sont révélées vaines. En effet, près de Grenoble, la pression foncière est énorme : chaque hectare est un pactole potentiel de centaines de milliers d’euros si les terres deviennent constructibles. Les deux femmes commencent donc par récolter l’engagement financier de plusieurs centaines de participant·es potentiel·les et parviennent à acquérir un terrain de 25 ha. Cinq ans après le démarrage du projet, le jardinage commence ! Vingt hectares de terres sont prêtes à accueillir l’équivalent de 1000 parcelles de 200 m2. Neuf cents parcelles sont payantes, avec un loyer de 10 à 30 eurospar mois en fonction du quotient familial. Cent parcelles sont gratuites, à destination des personnes en situation de grande précarité. Les mille parcelles sont réparties en cinq collectifs autogérés. Chaque collectif organise sa zone à sa guise, à condition de respecter trois règles agronomiques de base : pas de pesticides, pas de labour et pas d’engrais chimiques. L’un met les terres en commun et collectivise le travail agricole. Un autre est dédié aux expérimentations, etc. Au mois de mai, il n’est pas rare de voir plus de 500 personnes travailler la terre au même moment, et des dizaines d’enfants s’égayer dans les aires de jeux végétalisées.

Les Enverdeuses

Les Enverdeuses est un collectif féministe grenoblois réalisant des actions spectaculaires et anonymes contre la société industrielle consumériste. Face aux crises environnementales de plus en plus intenses, le collectif milite pour une écologie radicale et anticapitaliste.
Voici quelques-unes de ses actions les plus marquantes depuis 2022 :
0. En juin 2022, la diffusion dans plus de 4000 boîtes aux lettres entourant la presqu’île de Grenoble d’une fausse pastille d’iode, accompagnée d’une brochure sur les graves risques liés au réacteur nucléaire de l’Institut Laue-Langevin. La brochure rendait notamment public le pitoyable « Plan particulier d’intervention » des autorités en cas d’accident nucléaire à Grenoble, document officiel méconnu de la population.
1. En mars 2023, le dynamitage artisanal de la principale canalisation d’acheminement des eaux usées de l’agglomération grenobloise vers la station Aquapôle, causant une inondation d’eaux putrides et polluées dans les rues de Grenoble. Le communiqué de presse des Enverdeurs et Enverdeuses précisait : « Par cette action, nous rendons enfin visible cette immense pollution urbaine que personne ne veut voir, cette pollution faussement prise en charge par une station d’épuration qui, dans les faits, ne fait que déplacer les pollutions. Arrêtons de polluer l’Isère. Des alternatives existent ! »

Doudou et compagnie

Doudou et compagnie est une crèche réservée aux jeunes parents souhaitant faire garder leurs enfants quelques heures pour participer à des événements politiques (manifestations, projections de films, réunions associatives, conférences-débats, ateliers…).
La crèche est autogérée par neuf membres (sept hommes et deux femmes). Elle propose des permanences trois soirs par semaine, le mardi, mercredi et jeudi de 18h à 23h. Elle peut également ouvrir lors de journées spéciales, comme de grandes journées de grève ou de manifestations.
La capacité d’accueil de Doudou et compagnie varie de quatre à sept enfants, en fonction des membres disponibles. Les enfants sont accueillis dans une grande pièce spécialement aménagée chez l’un des membres de l’association.
Doudou et compagnie fonctionne de manière officieuse. Elle ne bénéfice pas des agréments spécifiques aux crèches officielles. Une charte est cependant signée entre l’association et les utilisat·rices. Les membres de Doudou et compagnie sont également formés aux premiers secours pour enfants.

Le Parachute doré

L’association Le Parachute doré accueille et soutient les personnes qui ne supportent plus leur travail, qui ne voient plus de sens dans leur métier, qui refusent de subir plus longtemps une hiérarchie autoritaire, de participer à des activités polluantes ou socialement irresponsables, que ce soit dans une usine, une activité commerciale, une administration ou un centre de recherches.
Elle propose un accompagnement personnalisé pour faire le point sur la situation de la personne en questionnement ou en souffrance professionnelle, puis l’aider à construire des perspectives possibles.
L’association met à disposition de nombreuses informations sur des parcours de reconversions possibles. Elle édite un agenda regroupant les contacts de plusieurs centaines de personnes ayant fait des choix de reconversion professionnelle pour des activités comportant davantage de sens social, écologique ou politique.
Le Parachute doré propose également un petit centre de documentation rassemblant de nombreuses brochures et des livres sur des personnes ayant fait des « pas de côté » par rapport à leur travail, sur des alternatives au système économique dominant, sur de nombreuses activités économiques possibles en dehors des sentiers battus.
L’expression « parachute doré » fait référence aux patrons quittant leur entreprise avec des bonus financiers considérables. Pour l’association, quitter un travail aliénant est un magnifique cadeau que l’on se fait à soi-même et à son entourage. C’est renouer avec un sentiment de liberté et une recherche de sens qui n’ont pas de prix.
Depuis 2024, Le parachute doré a accueilli plus de 320 personnes à Grenoble. L’association emploie deux salarié·es à temps partiel. Elle est financée par les adhésions de ses 500 membres et par un prix libre demandé à chaque personne accueillie.

Les Derniers Éléphants

Depuis 2023, l’association Les Derniers Éléphants regroupe les 539 Français et Françaises qui refusent l’usage des téléphones portables, iPhones et superphones, dont 19 habitant·es de l’agglomération grenobloise.
Chaque année, l’association édite pour ses membres un « Guide pratique de la vie sans portable ». Ce guide géolocalise l’adresse des dernières cabines téléphoniques existantes en France. Elle publie les coordonnées des membres de l’association et des sympathisant·es qui mettent à disposition des autres adhérent·es leur téléphone fixe en cas de besoin.
L’association rédige et diffuse également des brochures sur les téléphones portables : Grillade de cerveaux, Nos portables sont pleins de sang, Des déchets par millions, Sacrés petits-bourgeois.


Ici Grenoble, un média en ligne pour s’informer autrement sur Grenoble et ses environs. Avec un agenda, des actualités, des analyses et des réflexions, des ressources, des cartes thématiques, etc. http://ici-grenoble.org
Vous aussi, imaginez des initiatives écologistes, solidaires, décroissantes, alternatives, militantes de demain et envoyez-nous vos récits d’anticipation en écrivant à la rédaction !

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