Après avoir passé des jours dehors, bivouaqué dans les forêts et même dans le cratère d’un volcan, l’auteur explore au fil des pages ce rapport intime et concret à la nature qui détermine notre condition humaine. « Les Homo sapiens ont laissé de très belles choses sur et sous terre » rappelle le dessinateur, qui avait découvert la grotte de Pech Merle au cours du projet Rupestres ! dans lequel il avait exploré avec cinq autres artistes ce qui unit le dessin d’aujourd’hui à celui du paléolithique. « Nous, Homo Sapiens contemporains, on laisse aussi des souvenirs sous terre à nos descendants, mais les déchets nucléaires qu’on envisage d’enterrer à Bure, qui seront nocifs pendant des centaines de milliers d’années, c’est un cadeau assez dégueulasse. Nos enfants auront de bonnes raisons de nous en vouloir ». L’auteur a pris des notes au fil de sa traversée : « J’ai été marqué par la traversée du Morvan, que je connaissais peu. Le massif, très forestier, est progressivement envahi par la monoculture de [pins] douglas. En observant l’altération physique d’un massif, d’une forêt, les mêmes questions se reposaient : comment transformons-nous la nature, quelles traces laissons-nous ? ». En parallèle, avant et après la marche, Étienne Davodeau s’est entretenu avec des témoins contemporains de ces questions : militant·es anti-nucléaires ou passionné⋅es d’agroécologie, sémiologues, spécialistes de l’art pariétal, les approches sont multiples. « De mon point de vue, la marche au long cours ne se prête pas vraiment à l’acte de dessiner. J’ai pris beaucoup de notes et de photos. Ensuite, j’ai revécu mon voyage au ralenti en commençant à le dessiner dans mon atelier. De longs mois de travail pour raconter quelques semaines de marche. J’aime cette dilution temporelle. C’est un peu comme si j’avais fait deux fois cette randonnée. Et accessoirement cela m’a permis de traverser le confinement de manière sereine ! ».
Sans surprise, la question du nucléaire est centrale dans l’ouvrage, qui remet en cause le principe même de l’enfouissement des déchets. Pour Étienne Davodeau, « la question des déchets est symptomatique du rapport de dépendance que la France entretient avec cette énergie, comme un malade dépendant de l’alcool. Elle ne peut pas s’en passer. Alors elle essaie d’ignorer ses dangers et cette conséquence funeste qu’on laisse — plus ou moins consciemment — à des centaines de générations à venir ». Plurielle, la démarche du dessinateur promeut en miroir une alternative au monde nucléaire. « Pour moi, l’écologie c’est savoir renoncer à certaines choses, penser une sobriété positive. La bande dessinée est un langage qui peut raconter ce genre de choses, en partant d’une expérience simple et concrète pour ensuite élargir le propos. Et c’est aussi l’éloge de la sobriété : on a juste besoin de temps... et d’un crayon ». Un ouvrage pour voyager, et prendre les chemins de traverse.
Martha Gilson
Étienne Davodeau, né en 1965, n’en est pas à sa première BD sur le thème de l’écologie. Dans Rural (Prix Tournesol de la BD écologiste en 2001), il raconte la lutte contre un projet d’autoroute près d’Angers. Dans Les ignorants (2011), il raconte sa rencontre avec un viticulteur en biodynamie. Une BD qui a connu un immense succès (plus de 200 000 exemplaires vendus). Il est également auteur de Les mauvaises gens (2005) où il raconte l’engagement syndical de ses parents ouvriers, de Lulu femme nue (2008), une histoire de femme en rupture, portée à l’écran en 2014.
Le droit du sol, Étienne Davodeau, éd. Futuropolis, 2021