Article Féminismes Paix et non-violence

Non-violence et féminisme : un combat commun

Marie Bohl, Pauline Boyer

Silence est riche des interactions entretenues avec de nombreux médias partenaires. Nous avons invité la revue Alternatives non-violentes à contribuer à ce numéro 500 avec cet article de deux jeunes activistes écologistes et féministes engagées dans des mouvements non-violents.

La non-violence est en premier lieu le refus de toutes les formes de violence, le refus de nuire à l’autre. Cela concerne à la fois la violence interpersonnelle — physique, verbale ou psychologique —, et la violence dite structurelle, c’est-à-dire celle engendrée par le système, le modèle de société construit collectivement. En ce sens, s’engager pour la non-violence, c’est s’engager à déconstruire toutes les formes de domination existantes, inventer et construire un monde où chacune et chacun soit respecté·e dans son individualité et membre à part entière du collectif.
Il nous semble que le féminisme a le même objectif : mettre un terme à ces différentes formes de violence sur lesquelles s’appuient les élites dominantes pour pérenniser un système économique, politique et démocratique patriarcal, ayant pour objectif sa propre perpétuation au profit d’une poignée d’ultra-riches et au mépris des conditions de vie matérielles et psychologiques de la grande majorité de la population. Violences sexistes (verbales et psychologiques), violences physiques, violences sexuelles, inégalités de traitement en droit ou en pratique (violences structurelles), violences homophobes, etc. : le féminisme porte en lui une révolte contre ces souffrances imposées et ce refus de la normalisation de ces violences, profondément ancrées dans la société.
De plus, il est nécessaire de mettre en perspective nos différentes luttes au sein d’un modèle économique libéral mondialisé, pur produit des violences coloniales et père de la crise climatique et des injustices qui en résultent. Les femmes sont en première ligne face au dérèglement climatique. Elles sont les premières victimes de ce modèle patriarcal, destructeur de la nature et de nos corps.
Le projet d’une société soutenable et juste pour lequel nous luttons porte en son cœur la non-violence et repose sur des valeurs de respect inconditionnel des êtres humains, une égalité de traitement réel et pas seulement théorique, des conditions d’accès à une vie digne et le respect de la nature.

Un projet de société inclusif et non restrictif

Ainsi, le féminisme tente de construire une société inclusive, basée sur l’idée forte qu’aucune distinction de genre, de classe sociale, de race, d’orientation sexuelle, de religion, ou autre, ne peut justifier la domination d’un groupe sur un autre. Principe au cœur d’un projet de société non-violente.
Ce projet profondément inclusif a d’ailleurs poussé les mouvements féministes à s’ouvrir à de nouvelles questions et problématiques au fil du temps, telles que l’intersectionnalité et l’impact du modèle patriarcal et machiste sur les hommes.
Quelle est ta couleur de peau ? Quelle religion pratiques-tu ? Dans quel genre te reconnais-tu ? Fais-tu partie de la communauté LGBT ? Souffres-tu d’un handicap ? Plus les réponses à ces questions diffèrent des normes sociales et s’ajoutent pour une même personne, plus celle-ci se positionne à l’intersection de différentes formes de violences. C’est ce que définit le mot « intersectionnalité » : les dominations se superposent et viennent limiter encore davantage les ressources et le pouvoir d’agir.
Le travail sur l’intersectionnalité permet de ne plus renvoyer dos à dos les différentes discriminations vécues, notamment par les femmes, mais au contraire de réfléchir sur leur interdépendance au sein de notre système de hiérarchisation sociale. Permettre l’identification de rouages communs dans la production de souffrances et d’inégalités est nécessaire pour créer de l’unité plutôt que de la division.
Par ailleurs, la part des hommes est de plus en plus intégrée aux réflexions des courants féministes, à la fois sur la responsabilité qu’ils ont dans la reconduction d’un système de domination patriarcale, sur l’impact que ce système a sur eux, et sur ce que signifie être féministe quand on est un homme.

Cohérence entre les moyens et la fin : être féministe et non-violent·e au quotidien

Au-delà des valeurs et objectifs communs, nous retrouvons ces liens dans nos pratiques au quotidien.
Tout d’abord dans nos modes d’action : l’un des principes clés de l’action directe non-violente est de permettre à chacun et chacune d’y participer d’une manière adaptée à ses attentes, ses capacités et son envie. Chaque personne a quelque chose à apporter au collectif.
De même, cette exigence de cohérence entre les moyens et la fin recherchée chère à la non-violence s’applique aux fonctionnements internes de nos mouvements. Ainsi, nous tentons de mettre en place un cadre le plus en cohérence possible avec ce que nous prônons : bienveillance, respect inconditionnel des gens, régulation des conflits, etc. Cela passe aussi par travailler activement à réparer les déséquilibres existants dans la société qui se reflètent inexorablement dans nos organisations : le fait que les femmes ont souvent plus de difficulté à parler en public ou qu’elles remettent facilement en question leurs idées, intuitions, capacités, ce qui peut les amener à moins prendre la parole ou à ne pas oser se présenter aux postes à responsabilité. Pour ce faire, il nous paraît important de travailler tant sur les fonctionnements collectifs (parité, mesure du temps de parole, etc.) que sur les compétences interpersonnelles (formations sur le fond et sur la forme). Il s’agit de construire à travers nos pratiques au jour le jour une culture de l’égalité hommes-femmes jusqu’à ce que celle-ci devienne une parfaite évidence.
La stratégie de lutte non-violente, consistant à faire éclore un conflit pour dénoncer une situation anormale et persuader, ou à défaut contraindre nos adversaires d’adopter l’alternative que nous proposons, est constamment utilisée dans le milieu féministe, à la fois pour faire avancer les rapports de force avec les institutions et obtenir des modifications de lois (droit de vote, droit à l’avortement…), mais aussi pour faire évoluer les consciences (la bombe #Metoo, les collages dénonçant les féminicides en lettres capitales dans les rues…).
En tant que jeunes femmes féministes et engagées pour la non-violence, il nous semble que ces deux combats sont étroitement liés sur tous les plans. Pour nous, s’engager pour la non-violence, c’est choisir, entre autres, d’être féministes !
Pauline Boyer et Marie Bohl
Pauline Boyer, activiste climat avec les mouvements Alternatiba et Action non-violente COP21.

Marie Bohl, porte-parole du Mouvement pour une alternative non-violente, engagée pour l’Intervention civile de paix et dans le mouvement Climat.

Elles sont toutes les deux membres du comité d’orientation de la revue Alternatives non-violentes.

Cet article est la reprise modifiée d’un texte paru dans la revue Alternatives non-violentes no 194 de mars 2020
Alternatives non-violentes, 47 avenue Pasteur, 93100, Montreuil, tél. 06 21 23 23 98
www.alternatives-non-violentes.org

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