Tout débute en 2016 lorsque sept personnes commencent à jardiner ensemble dans l’esprit des Incroyables Comestibles (1) sur un emplacement prêté par la mairie au bord de la Seille (l’affluent de la Moselle) à Metz, en utilisant des semences libres fournies, entre autres, par Kokopelli (2). Elles créent en parallèle une grainothèque dans un café associatif, La Chaouée, qui fédère des dynamiques alternatives, libertaires, culturelles et permaculturelles (3).
Nouant des amitiés à travers cette activité, elles veulent aller beaucoup, beaucoup plus loin dans la mise en place d’alternatives et regorgent d’idées, explique Yann Porte, membre de ce petit groupe. L’envie est de « construire du côté des solutions créatives plutôt que de celui de la déploration, de la critique sans fin et du ressassement ».
Conquérir et expérimenter l’autogestion
L’association Motris (Mouvement pour une transition intelligente de la société), est créée fin 2016. En Moselle, la loi spéciale issue du Concordat est plus restrictive que la loi 1901 sur les associations. Il faut nommer un·e président·e, c’est très hiérarchique. Avec l’aide de juristes, le groupe conteste ce « fonctionnement très patriarcal » auprès de la préfecture. Il crée un précédent de fait, en instaurant un fonctionnement collégial, s’appuyant sur les contradictions avec la loi française. La préfecture laisse faire.
Au sein de l’association, qui comprend une vingtaine de membres acti·ves et une centaine de sympathisant·es, chaque équipe agit en autonomie et prend ses propres décisions. Ce fonctionnement permet d’établir une gestion décentralisée en se faisant mutuellement confiance. « Une personne qui veut lancer un projet ne fait pas de proposition si ce n’est pas elle qui la met en œuvre. » L’autonomie de chacun·e est jugée primordiale. Les différent·es participant·es et équipes peuvent donc agir et porter Motris sans attendre un accord. L’idée de Motris est bien de repenser le fonctionnement de la société, au-delà de tel ou tel projet pratique.
Promouvoir la gratuité
Bientôt, le groupe de départ est rejoint par de nombreuses énergies. L’association crée une « trucothèque » en 2018, puis une deuxième en 2019 et une troisième au printemps 2021, à Metz. Il s’agit d’espaces dans lesquels on peut venir déposer ou prendre des objets en expérimentant une économie de la gratuité. Il s’agit, explique Yann Porte, de promouvoir la gratuité « sous sa forme émancipatrice et locale, et non commerciale » (contrairement à la gratuité des prospectus publicitaires et des journaux dits gratuits). C’est ainsi qu’en deux ans et demi, plus de 60 000 objets promis à la destruction ont été transmis : livres, vaisselle, vêtements, objets décoratifs, etc. L’initiative remporte un succès inattendu. « Beaucoup plus d’objets sont donnés que pris, explique Yann Porte. On découvre des choses sur la nature humaine, qui n’est pas si avide que ce que l’on dit souvent. » Il est possible aussi de venir y emprunter des ustensiles dont nous n’avons l’usage qu’une fois de temps en temps : du matériel de bricolage, de sport, un appareil à raclette, des jeux de société, etc. Les trucothèques fonctionnent grâce à des énergies bénévoles ainsi que deux salariées. La première d’entre elles, Nadine, est en emploi adulte relais, financé par la préfecture de la Moselle. La seconde est financée par les dons de particuliers. « On incite à de petits dons, pas plus de 10 ou 20 euros mensualisés. On est moins dépendants de mille petits financements que d’un gros ». Environ 800 euros de dons mensualisés sont reçus actuellement.
Rester autonomes politiquement
Malgré des aides de la préfecture et de la municipalité, il est hors de question de devenir des supplétifs de la politique de la ville ou de l’État, précise Yann Porte. Preuve en est l’occupation d’un gymnase pour y loger des personnes sans abris par Action Froid et le Collectif mosellan de lutte contre la misère (4). Les activistes, accompagné·es de personnes sans logis, ont assisté à un match de basket dans le gymnase et sont ensuite resté·es sur place. « C’est la Trucothèque, financée, entre autres, par la préfecture, qui a apporté les matelas ! », s’amuse-t-il. L’association est aussi engagée avec les personnes migrantes auxquelles certain·es de ses bénévoles donnent des cours d’alphabétisation à la trucothèque de Borny.
Compost, éducation et forêt urbaine
Les autres projets qui naissent au sein de Motris sont nombreux, facilités par le fait que les initiatives sont prises sans en référer à un pouvoir centralisé. C’est ainsi qu’Adrien, membre de l’association, a cherché à coupler sa passion pour le vélo à celle pour le jardinage et le compostage, et a créé « Épluchures et bicyclette », qui a réalisé pendant un temps une tournée chaque mardi matin dans certains restaurants et lieux collectifs de Metz, dont le tiers-lieu Bliiida, où Motris dispose d’un espace pour entreposer des semis, réparer des objets usagés, etc. (5). De ces objets usagés, des ateliers de décoration avec adultes ou enfants sont nés : « Vie2déco » est devenu l’un des groupes de l’association.
Parmi les autres initiatives lancées au sein de Motris figurent un projet d’écolieu dans une ferme à 30 kilomètres de Metz, achetée par un membre de l’association, des zones de gratuité ponctuelles, des ateliers de fabrication de savon et produits d’entretien, ou encore le groupe Alter’éducation, espace de réflexion sur les éducations alternatives et les alternatives à l’éducation.
Enfin, un projet ambitieux « 10 000 arbres 10 000 enfants » est porté par Céline Moguen, l’une des membres de Motris : reforester l’agglomération messine dans un esprit de biodiversité. La mairie de Metz a donné son feu vert pour expérimenter une première « forêt » de 3 000 arbres de 25 espèces différentes inspirée de la méthode Miyawaki dans le jardin du Sansonnet, lieu qui devait initialement accueillir un lotissement, et d’autres se profilent ailleurs. (6)
Et ce n’est pas fini : le périmètre des activités s’étend, avec la création récente de branches locales à Nancy, Thionville et Saint-Avold et ses environs. De plus, des groupes cherchant à créer des magasins gratuits ont été inspirés par ceux de Metz à Nancy, Besançon et au Luxembourg.
Qu’est-ce qui fait le lien entre toutes ces initiatives ? C’est « la volonté d’être au carrefour de l’écologique et du social, répond sans hésitation Yann Porte. Incarner concrètement le changement que l’on veut voir advenir dans le monde, comme disait Gandhi... Se donner les moyens de pratiquer individuellement et collectivement ce qui n’existe pas encore et dont on ressent profondément la nécessité intérieure. »
Quels sont les ingrédients d’une telle dynamique ? « Ce qui crée notre force, c’est que nous avons développé des liens d’amitié, poursuit Yann Porte. Nous partageons les mêmes valeurs de manière incarnée. Nous avons des caractères conciliants et constructifs, et nous passons à l’acte. C’est le secret de fabrication pour que ça tienne. »
Guillaume Gamblin
(1) Les Incroyables Comestibles, mouvement lié à la dynamique des territoires en transition, vise à sensibiliser à l’autonomie alimentaire et à la biodiversité via de micro-îlots cultivés en milieu urbain.
(2) L’association Kokopelli produit et diffuse des semences et des plants issus de l’agroécologie, libres de droit. Forêt de Castagnès, route de Sabarat, 09290 Le Mas-d’Azil, tél. : 05 61 67 69 87, kokopelli-semences.fr
(3) La Chaouée, 1 rue du Champé, 57000 Metz, tél. : 09 81 08 98 06. Le lieu a été fermé au moment du covid-19 et sa réouverture n’est pas assurée.
(4) Action Froid est une association d’aide aux SDF de France par un circuit court de dons et de distribution de vêtements, de matériel d’hygiène et d’aliments toute l’année. Action Froid, BP 30005, 94110 Arcueil, www.actionfroid.org
(5) Bliiida, tiers-lieu d’inspiration, d’innovation et d’intelligence collective, rassemble près de 150 artistes, artisan·es, entrepreneu·ses, associations, institutions, grandes entreprises et médias sur un site de 30 000 m². Bliiida, 7 avenue de Blida, 57000 Metz, tél. : 03 87 61 60 70, www.bliiida.fr
(6) Motris organisera également à la rentrée 2021 à Metz une formation de 3 ou 4 jours à la méthode Miyawaki. Cette formation sera ouverte à toute personne, toute association ou collectif ayant un projet de plantation similaire.
Motris, https://motris.fr
Trucothèque Bellecroix, 4-7 rue de Stoxey, 57000 Metz
Trucothèque Outre-Seille, 23 rue des Allemands, 57000 Metz
Trucothèque Borny, 49, boulevard d’Alsace, 57000 Metz