Dossier Environnement

La vie du livre… de sa naissance à sa mort

Martha Gilson

Chaque moment de la fabrication puis de la commercialisation d’un livre présente des spécificités et des enjeux environnementaux différents. Or, ces différentes étapes sont aujourd’hui peu pensées. Comment imaginer un cycle de vie du livre plus vertueux ?

Le livre possède une valeur culturelle particulière : ce n’est pas un produit comme un autre. Mais comme tout objet, même après plusieurs vies, un livre n’est pas éternel et penser sa fin de vie a un sens écologique. Au premier abord, le bilan écologique de la chaîne du livre n’est en effet pas très glorieux. Pour étudier l’impact global d’un livre sur l’environnement, Terre vivante a réalisé en 2011 une analyse du cycle de vie (ACV) afin de déterminer, à chaque étape, les impacts environnementaux du livre et le moyen de les réduire (1). C’était la première étude de ce type en France. L’éditeur a identifié quatre grandes étapes de fabrication : la production de pâte à papier, l’impression, le façonnage et le transport.

Le papier : un manque de réglementation

Une grande partie du papier est fabriquée à partir de fibres de bois, procédé industriel qui entraîne une forte consommation d’énergie et d’eau, plus de nombreux produits chimiques. Principaux impacts néfastes retenus : déforestation au Brésil, mais aussi en Chine et en Indonésie, procédés chimiques pour traiter et blanchir le papier : plus de 70 % des impacts du livre sur l’environnement sont dus à la fabrication du papier et de la pâte à papier. Pour minimiser ces impacts, Terre vivante a fait le choix des fibres recyclées et exclu les colorants ou pigments à base de plomb, cuivre, chrome, nickel ou aluminium. Le tirage à 5 000 exemplaires de l’un de leurs livres de 160 pages au format 15 x 21 cm nécessite environ 2 tonnes de papier.
Par ailleurs, le WWF dénonce la faiblesse de la réglementation française. « Le secteur de l’édition est exclu du périmètre d’assujettissement à l’écocontribution des produits papier. […] [Les éditeurs] n’ont pas d’obligation légale d’apposer une signalétique incitant au geste de tri, à savoir le logo dit du Triman, assorti de mentions pédagogiques qu’ils choisissent » (2).

L’impression et le façonnage

Là encore, le processus fait entrer en jeu un grand nombre de composés chimiques. Le principal impact de la phase de prépresse (préparation des plaques pour l’impression) est lié à la fabrication de plaques d’aluminium qui seront ensuite entièrement recyclées. L’encre utilisée pour l’impression est une pâte épaisse qui contient des colorants, huiles, essences, alcools, résines… (3). Le façonnage est la phase du cycle qui occasionne le plus de rejets de substances cancérigènes après la fabrication de papier, à cause du pelliculage de la couverture réalisé à l’aide d’un film de polypropylène ou d’acétate. Le façonnage génère également des déchets de papiers lors de la découpe des feuilles (la « gâche » de papier). On estime en général à 10 % la gâche lors de l’impression d’un livre.

Transports et délocalisations…

Le transport est la phase qui a le plus d’impact sur l’environnement après la fabrication du papier. Il intervient à chaque étape de conception du livre et sur de longues distances : acheminement des matières premières, transport entre le papetier et l’imprimeur, l’imprimeur et le distributeur… La concurrence impacte malheureusement souvent le choix de l’imprimeur, et entre « 25 et 40 % des livres vendus en France sont imprimés à l’étranger »(4). Le marché du livre est perçu comme difficile pour une grande partie des industriels de la chaîne du livre en France, notamment les imprimeurs, qui entre 2005 et 2014, ont « accusé une baisse de 33 % des volumes, contre 11 % en moyenne dans les pays de l’Union européenne ».

Quelle vie du livre après l’impression ?

La question environnementale ne se limite pas à la fabrication du livre : elle se poursuit une fois celui-ci sur le marché. Selon une étude du WWF de 2019, « 25 % des invendus de l’année sont pilonnés [détruits] ou stockés (131 millions de livres). Pour les livres vendus et devenus usagés, la question de leur fin de vie est un tabou » (5). L’association estime que la fin de vie (ordures ménagères et recyclage) concernerait entre 107 000 et 233 000 tonnes par an de livres, toutes provenances confondues (particuliers, revendeurs, bibliothèques, milieu scolaire, mise au pilon). Selon le WWF, actuellement, les livres usagés entrant dans le circuit des fabricants de papier recyclé sont estimés à environ 30 000 tonnes par an. La marge de manœuvre est donc grande ! Aujourd’hui, la proportion de pilon est plus importante pour le livre dit « noir » (romans et essais), puisqu’elle peut représenter jusqu’à 50 % du tirage, voire 80 % pour certains romans de la rentrée littéraire. Notons que la pratique est loin d’être homogène. Si les grands groupes n’hésitent pas à surimprimer pour s’assurer une grande visibilité, « certains éditeurs ont un taux de pilon nettement inférieur à cela. L’éditeur Rue de l’échiquier confiait [au WWF], par exemple, avoir un taux de pilon virtuellement nul, grâce à des tirages fins, à son opération ’sauvé du pilon’ et au stockage de ses invendus dans ses locaux ».

Désacraliser l’objet livre

Toujours selon le WWF, « il y a un modèle plus vertueux pour l’édition française, consistant à valoriser les livres dont on veut, peut, doit inévitablement se séparer un jour. L’objet-livre n’a généralement pas vocation à être éternel, au contraire de l’œuvre qui peut l’être. L’usure de l’objet, l’obsolescence du contenu, l’inutilité pour le lecteur, mis en perspective sur les centaines de millions de livres vendus sur le marché français chaque année, induisent que les enjeux sont bien réels et importants ». Loin de voir dans le livre un déchet, l’association propose de penser la fin de vie de volumes qui peuvent être une ressource à valoriser. Elle pointe dans son rapport quatre acteurs principaux qui agirait dans ce sens : les éditeurs, en rendant transparentes leurs pratiques environnementales, en informant sur les consignes de tri, en diminuant le nombre d’invendus ; les pouvoirs publics, qui peuvent mettre en place une écocontribution adaptée au secteur de l’édition et une politique de collecte et de recyclage des manuels scolaires ; les bibliothèques, capables de généraliser les opérations de dons et de pédagogie autour du recyclage lors du « désherbage » (moment où les livres abîmés ou obsolètes sont retirés des rayons) ; enfin, tout un⋅e chacun⋅e, qui peut offrir plusieurs vies aux livres. . Récemment, des initiatives tentent de mettre en avant la dimension écologique de la production de livres. « Depuis 2010, un collectif de petites maisons, baptisé les Éditeurs écolo-compatibles, tient au salon du livre de Paris un stand thématique sur l’écologie, souhaitant par ce biais diffuser les initiatives qui existent au sein de l’édition indépendante » (6).

Le livre d’occasion

Le livre d’occasion séduit de plus en plus. À en croire le WWF, un peu plus de 20 % des acheteu·ses de livres (21,5 %, soit 11,5 % de la population française de plus de 15 ans) avaient acquis au moins un livre d’occasion au cours de l’année. Il est très plaisant de chiner au milieu de bouquinistes de vieilles cartes postales ou d’anciennes éditions aux reliures dorées, mais vous pouvez aussi y trouver des livres plus récents et prendre le temps de vous laisser séduire par une conversation passionnée avec le ou la bouquiniste. Malheureusement, comme tant de secteurs, celui de l’occasion a aussi été investi par de grandes multinationales comme Amazon, la Fnac ou Priceminister.

Ne pas oublier les bibliothèques !
Il existe en France 16 000 lieux de lecture (7 000 bibliothèques et 9 000 points d’accès au livre). Les volumes achetés par les bibliothèques ne représentent qu’environ 2 % du total des livres vendus, mais ils peuvent être lus par des dizaines de personnes ! Les bibliothèques sont le lieu le plus connu de prêts de livres, et un bon moyen de ne pas passer par l’achat… voire de rencontrer d’autres lect·rices !
Donner ses livres

« Ça a l’air super ce livre, tu me le prêtes ? » Il peut être agréable de posséder une petite bibliothèque et ainsi de pouvoir partager ses lectures préférées à son entourage. Mais, au-delà, les livres deviennent trop souvent des objets décoratifs, alors qu’ils pourraient continuer leur vie dans d’autres mains. Les associations caritatives récupérant les livres sont nombreuses (liste non exhaustive) : Oxfam, Emmaüs, le Secours populaire, le Secours catholique… Le WWF affirme que les 150 structures Emmaüs ont collecté, en 2017, 11 500 tonnes d’imprimés. Plus localement, L’Isle aux livres, portée par l’association La Tresse, s’est installée dans une ancienne usine désaffectée à Saint-Médard-de-Mussidan, en Dordogne. Elle récupère d’anciens livres pour les proposer à la vente dans une librairie d’occasion alternative, qui emploie des personnes en insertion.
En dehors de ces démarches qui restent marchandes, et parfois numériques (7), se développe ces dernières années une multitude d’initiatives citoyennes et participatives pour donner une seconde vie aux livres, notamment les boîtes à livres. Plus ou moins hermétiques, ces coffrets, que l’on peut croiser sur une place ou au détour d’une rue en ville, permettent d’y déposer des livres ou de se servir ! Outil de partage anonyme et local, ils participent à l’animation d’un quartier et permettent de belles découvertes. Le concept ne date pas d’hier, et d’aucuns ont déjà « abandonné » un livre à l’arrêt de bus avec le secret espoir qu’il trouve un·e lect·rice curieu·se. À Paris, des habitant·es ont créé en 2004 l’association Circul’Livre, qui organise des rendez-vous mensuels pour partager gratuitement ses livres. Au-delà du partage, l’association, en proposant des points de rendez-vous, favorise aussi les liens du quartier. Bref, vous l’aurez compris, ce ne sont pas les solutions qui manquent pour partager vos livres !
Plutôt que de se jeter toujours sur la dernière rentrée littéraire, adopter une approche écologiste du livre consiste aussi à prendre le temps de la lecture… et des rencontres.

Martha Gilson
(1) Fabriquer des livres, quels impacts sur l’environnement ?, Terre vivante, 2011
(2) Vers une économie plus circulaire dans le livre ?, Julien Tavernier, Lisa King, Juliette Kacprzak, Daniel Vallauri, rapport WWF, 2019
(3) Parfois, elle est à base d’huile végétale (colza, soja, palmes…), ce qui préserve la qualité de l’air intérieur au sein de l’imprimerie en réduisant le rejet de composés organiques volatils au moment de leur utilisation. Cependant, l’encre végétale contient aussi des résines alkyles et phénoliques, produits dangereux surtout au moment de leur fabrication.
(4) Un livre français – évolutions et impacts de l’édition en France, Basic, 2017
(5) Vers une économie plus circulaire dans le livre ?, op. cit.
(6) « Le numérique et le papier : le bilan écologique de nos supports de lecture », Helen Tomlinson, 20 février 2013, https://mondedulivre.hypotheses.org
(7) La librairie en ligne Livreco-comptoir.fr référence à la fois des livres écoconçus et des magazines ancrés dans la transition sociale et écologique.

Contacts :

  • Circul’livre : http://circul-livre.blogspirit.com, circul.livre2020@gmail.com
  • L’Isle aux livres, 28 rue Henri-Fouillaret, 24400 Saint-Médard-de-Mussidan ; tél. : 05 53 80 06 53

Et à Silence ?
Depuis ses débuts, notre revue est imprimée sur du papier recyclé. Elle est aujourd’hui également imprimée avec des encres végétales. Depuis janvier 2019, Silence est imprimée par l’imprimerie Notre-Dame, qui a été choisie notamment car elle ne fonctionne pas en 3x8 : c’est-à-dire ni la nuit, ni les week-ends. L’imprimeur adhère à la charte Imprim’Vert selon laquelle, entre autres, il organise une collecte sélective de ses déchets et retraite les solvants utilisés en offset. Le tirage de Silence est adapté aux ventes (ce qui implique notre refus d’être en kiosque, source d’un énorme gaspillage). Tous les numéros finissent ainsi par s’épuiser. L’expédition est assurée par la pose d’une bande papier autour de la revue, maintenue par une étiquette, évitant ainsi films plastique ou enveloppes. La revue Silence est sous copyleft : l’information, que nous refusons de considérer comme une marchandise, est libre de reproduction tant que les sources sont citées.

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