Selon une étude menée en 2017 par le Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne (Basic), depuis les années 1990, l’industrie du papier s’est trouvée bouleversée par le basculement de la consommation et de la production depuis l’Europe, l’Amérique du Nord et le Japon vers les économies émergentes (principalement la Chine, le Brésil et l’Indonésie).
La fabrication du papier : un monopole de plus en plus mondialisé
La fabrication du papier est aujourd’hui éclatée et mondialisée. Pour des questions de rentabilité, une large partie de l’exploitation forestière et de la production de pâte à papier est délocalisée dans des pays du Sud. « Environ 52 % du papier utilisé pour les romans et essais vendus en France sont importés, et 48 % sont fabriqués en France à partir de pâte à papier produite majoritairement à l’étranger, en particulier en Amérique du Sud » (1).
La profession papetière, fragilisée, regroupe en France environ 70 entreprises et 11 000 salarié·es. Il n’y a plus que de grosses usines dans le secteur. Connaître les conditions même de fabrication relève du défi. Bruno, papetier dans la Creuse, confirme : « Les petites papeteries industrielles ont toutes disparu dans les années 1990 – 2000, essentiellement pour des questions de normes écologiques qui leur ont été imposées. Elles ont souvent été rachetées par des multinationales, pour récupérer la partie recherche et développement et fermer ensuite les papeteries. C’est ce qui s’est passé dans les Vosges il y a deux ou trois ans. » Les fermetures successives des usines ArjoWiggins en France en 2019 ont signé la fin de la production industrielle de papier recyclé en France (2), qui doit à présent l’importer d’Allemagne, d’Autriche ou d’Italie. Quant à l’usine La Chapelle Darblay, à Grand-Couronne (Seine-Maritime), elle a fermé en juin 2020. Fondée en 1928, c’était la seule entreprise à produire du papier journal 100 % recyclé de France — attention, la fabrication du papier journal diffère de la fabrication d’autres papiers. Elle répondait à environ 25 % des besoins des imprimeries françaises en papier journal et recyclait 350 000 tonnes de déchets papier par an, venus essentiellement du Grand Ouest et de la région parisienne, en circuit court donc. S’appuyant sur de fortes réflexions écologistes, l’usine a pourtant fermé ses portes tandis que le propriétaire, UPM, souhaite construire une deuxième usine de pâte à papier en Uruguay. La coalition Plus jamais ça, regroupant Attac, la CGT, la Confédération paysanne, le FSU, Greenpeace, Les Amis de la Terre, Oxfam et Solidaires, soutient la reprise du site. L’outil industriel sera maintenu jusqu’en juin 2021 par des élu·es du personnel CGT, qui cherchent aujourd’hui un repreneur et demandent le soutien de l’État… pour le moment en vain.
« Alors que les éditeurs et les libraires avaient autrefois une bonne maîtrise de la chaîne du livre, essentiellement nationale, la filière est aujourd’hui fortement désintégrée. Cet état de fait résulte de la rencontre de deux mouvements de mondialisation, qui ont pour l’un profondément transformé le secteur de l’édition et, pour l’autre, désintégré et internationalisé la filière de production du papier. »Un livre français – Évolutions et impacts de l’édition en France, Basic, 2017
Relativisons !
L’édition française ne représente que 5 % de la consommation nationale de papier (soit environ 250 000 tonnes par an). Ces 5 % ne pèsent finalement que très peu pour les imprimeurs français qui se concentrent sur d’autres clients plus gourmands, comme l’emballage et la publicité. À titre de comparaison, une enseigne de grande distribution comme Carrefour consomme, à elle seule, presque autant que tous les éditeurs réunis pour ses prospectus… dont la durée de vie est de quelques minutes, dans le meilleur des cas.
… et nocif pour l’environnement
« En plus des phénomènes de destruction et de précarisation de l’emploi, la mutation de la filière du livre a pour impact environnemental majeur des émissions de gaz à effet de serre qui restent à un niveau très élevé tout au long de la filière. Et si la baisse de la production de papier et de l’impression locale diminue fortement les impacts tels que la pollution de l’air et des sols en France, elle augmente les impacts dans les pays du Sud où se trouvent désormais les activités d’exploitation forestière et de fabrication de pâte à papier. Ces impacts sont par ailleurs accrus par une augmentation de la consommation de papier des pays du Sud » (3).
Fabriquer du papier est coûteux en énergie mais aussi en eau. Par ailleurs, les nombreuses substances chimiques utilisées (blanchissants, colorants et autres adjuvants) sont responsables d’émissions polluantes dans l’air et l’eau. Selon la Commission européenne, l’industrie papetière se classe au second rang européen pour la consommation d’eau douce. Elle serait avec l’imprimerie à l’origine de plus de 1 % des émissions globales de gaz à effet de serre. Selon l’analyse de cycle de vie d’un livre réalisée en 2011 par Terre vivante, 71 % des impacts environnementaux sont liés à la fabrication (production de la pâte à papier et du papier, impression, transport), 17 % à la distribution, 10 % à la conception du livre et 2 % à sa diffusion.
Certifié ou recyclé ?
Attention, papier certifié (produit à partir d’une pâte vierge mais avec des contraintes en termes de respect des normes environnementales) ne veut pas dire papier recyclé ! Le monde de l’édition défend parfois l’utilisation de papier certifié mais non recyclé, pour des questions de durabilité de l’objet livre, tout en mettant en avant son engagement environnemental grâce au développement des labels. Selon le WWF, « 2 % des livres seulement sont en papier recyclé ». Il n’empêche qu’« en Europe, le papier recyclé est de plus en plus utilisé pour l’édition. Une bonne chose, puisque la production de papier recyclé consomme deux à quatre fois moins d’énergie et cinq fois moins d’eau que son homologue à base de fibres vierges. On réalise aussi une belle économie de matières premières : 1, 2 tonnes de vieux papier produit 1 tonne de papier recyclé » (1).
Les différents labels
En France, il existe deux grandes sortes de papiers labellisés disponibles pour l’édition. Le Forest Stewardship Council (FSC) garantit une récolte maintenant la biodiversité de la forêt et une gestion forestière socialement bénéfique aux populations locales. D’autre part, le Programme de reconnaissance des certifications forestières (ou Pan European Forest Certification, PEFC) garantit que le produit est issu de forêts gérées durablement. Rappelons-le, ces labels restent insuffisants : on abat des arbres qui ont souvent plus d’un siècle, et le reboisement ne saurait compenser la destruction des forêts d’origine. Enfin, ces labels ne garantissent en aucun cas une production en circuit court ni la qualité de travail des salarié·es.
(1) « Quelle forme de livre choisir pour l’environnement ? », Ann Wulf et Léa Champon, 14 février 2014, www.ecoconso.be
Est-il possible de sortir d’une production industrielle du papier ?
Attention, papier certifié (produit à partir d’une pâte vierge mais avec des contraintes en termes de respect des normes environnementales) ne veut pas dire papier recyclé ! Le monde de l’édition défend parfois l’utilisation de papier certifié mais non recyclé, pour des questions de durabilité de l’objet livre, tout en mettant en avant son engagement environnemental grâce au développement des labels. Selon le WWF, « 2 % des livres seulement sont en papier recyclé ». Il n’empêche qu’« en Europe, le papier recyclé est de plus en plus utilisé pour l’édition. Une bonne chose, puisque la production de papier recyclé consomme deux à quatre fois moins d’énergie et cinq fois moins d’eau que son homologue à base de fibres vierges. On réalise aussi une belle économie de matières premières : 1, 2 tonnes de vieux papier produit 1 tonne de papier recyclé » (1).
Les différents labels
En France, il existe deux grandes sortes de papiers labellisés disponibles pour l’édition. Le Forest Stewardship Council (FSC) garantit une récolte maintenant la biodiversité de la forêt et une gestion forestière socialement bénéfique aux populations locales. D’autre part, le Programme de reconnaissance des certifications forestières (ou Pan European Forest Certification, PEFC) garantit que le produit est issu de forêts gérées durablement. Rappelons-le, ces labels restent insuffisants : on abat des arbres qui ont souvent plus d’un siècle, et le reboisement ne saurait compenser la destruction des forêts d’origine. Enfin, ces labels ne garantissent en aucun cas une production en circuit court ni la qualité de travail des salarié·es.
(1) « Quelle forme de livre choisir pour l’environnement ? », Ann Wulf et Léa Champon, 14 février 2014, www.ecoconso.be
À l’opposé de cette production industrielle, quelques rares papetiers survivent encore en France et proposent une production moins industrielle. Papeterie Pasdeloup a été créé en 2015 à Pérouges, dans l’Ain, par Bruno et Laurence Pasdeloup. Cette aventure, c’est une reconversion : après s’être formé en faisant le tour de France des quelques papetiers qui exercent encore, le couple s’est installé dans ce petit village touristique. « Aujourd’hui, il existe cinq ou six artisans, une quinzaine de moulins, précise Bruno. Beaucoup des personnes que nous avons rencontrées sont en fin de carrière, avec du mal à vivre de leur métier. Ce sont des gens qui ont relancé le métier dans les années 1970, qui ont construit leur carrière sur la restauration du patrimoine graphique. Ce marché est aujourd’hui quasiment mort, les personnes achètent plutôt du papier japon ou semi-industriel pour restaurer les ouvrages. » Pour éviter de tomber dans le folklore, leur atelier n’est pas constitué d’un moulin mais d’un équipement électrique. La renommée touristique de Pérouges leur a permis de faire connaître leur métier. « On a fabriqué à Pérouges des papiers de création, fibres bizarres, moins connues : pas du lin, du chanvre ou du coton mais de la prêle, du maïs, de la fibre de cacao, de la paille de riz… Original. Ça crée des textures, des couleurs qui touchent les artistes. » En parallèle, Bruno et Laurence ont beaucoup travaillé pour la reconnaissance du métier en organisant des ateliers pédagogiques dans les écoles et les médiathèques autour du papier et des arts du papiers (reliure, gravure etc.). Leur clientèle est variée, venant du monde des arts graphiques mais aussi de laboratoires d’aéronautique, de chocolateries, etc., et assez fidèle pour que Papeterie Pasdeloup quitte le village touristique en 2020 afin de s’installer dans la Creuse. Le couple possède aujourd’hui 1 ha de terrain pour cultiver son propre chanvre, ainsi qu’un gîte où il accueille des chercheurs, des entreprises, des artistes, des designers.
Mais alors, le papier artisanal est-il forcément un produit de luxe ? « Non, nous répond Bruno, ce sont des questions de choix, nous tenons surtout à avoir un produit personnel, à une époque où tout est standardisé. Quelque chose qu’on ne trouve pas ailleurs. Une usine peut produire 30 tonnes de papier par jour, elle n’a aucun besoin de produire un papier différent, même pour du luxe. La petite papeterie industrielle n’existe plus : il y a aujourd’hui soit des artisans, soit des multinationales. Ce qui est intéressant dans l’artisanat, c’est la variété de tout ce qu’on peut faire en terme de fibre, de couleur, de finition, de textures, etc. ». La profession est aujourd’hui très précaire. « On est presque les seuls jeunes dans le métier, précise Bruno. Dans dix ans, on ne sera que deux ou trois. Ce métier est aujourd’hui pris en tenaille entre le loisir créatif qui cherche à se professionnaliser et des artisans installés depuis longtemps parfois un peu élitistes, qui ont du mal à s’ouvrir au public. C’est valable pour tous les artisanats d’art. »
Pourquoi rester attaché au papier ?
Non, trouver des livres accessibles produits avec du papier artisanal, ce n’est pas pour demain. Mais tous les papiers ne se valent pas, et défendre une production locale de papier recyclé a un sens. Et au-delà, rester attaché au papier pour nos communications (face au numérique), pour nos emballages (face au plastique), c’est aussi un choix de société. La production du papier n’est d’ailleurs qu’un des maillons de la chaîne du livre, et c’est le reste de cet écosystème que notre dossier explore.
Martha Gilson
(1) Un livre français — Évolutions et impacts de l’édition en France, Basic, 2017. Ces chiffres sont contredits par Pascal Lenoir, président de la commission Environnement et fabrication du Syndicat national de l’édition, chargé de fabrication chez Gallimard : selon lui, « la réalité est que 5 % à peine du papier utilisé pour les romans et poche par les éditeurs français est fabriqué en France. En revanche, 90 % de la pâte utilisée provient d’Europe ».
(2) La liquidation de l’usine ArjoWiggins de Bessé-sur-Braye et les cessions des usines Le Bourray et Greenfield ont profondément marqué le monde français de l’impression. Depuis la liquidation judiciaire de Bessé-sur-Braye, dans la Sarthe, il n’y a plus de fabrication de papier recyclé en France. Issue de la première fabrique de papier créée en France, en 1469, sur le ruisseau Rupt-de-Raon, devenue en 1492 le moulin à papier d’Arches, la papeterie ArjoWiggins (562 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2017 et 2 300 salarié·es sur onze sites), filiale à 100% de Sequana Capital, est née de la fusion mondiale, en 1990, de l’entreprise française Arjomari Prioux et de l’anglaise Wiggins Teape Appleton.
(3) Un livre français — Évolutions et impacts de l’édition en France, Basic, 2017
Contacts :
Terre vivante : Domaine de Raud, 38710 Mens, tél. : 04 76 34 36 35, www.terrevivante.org
Papier artisanal : Bruno et Laurence Pasdeloup, 14 hameau de Puyberaud, 23150 Moutier-d’Ahun, papierartisanal@gmail.com, tél. : 07 81 20 52 04, www.papier-artisanal.com