Il existe cependant des solutions, applicables quand on a affaire soit à une collectivité territoriale qui comprend les enjeux et qui a le courage d’envisager une autre politique, soit quand les citoyen·nes ont envie de soutenir les initiatives et d’encourager une production alimentaire de qualité et de proximité. Nous présentons brièvement ci-après quelques-unes de ces solutions déjà mises en œuvre à divers endroits.
Des structures citoyennes de soutien
Le mouvement Terre de Liens sensibilise aux enjeux de l’accès au foncier agricole depuis 2003. Il s’est doté d’outils financiers dans l’objectif d’acquérir des fermes avec de l’argent citoyen et de les sortir de la spéculation. Ce faisant il facilite l’installation de fermi·ères qui, autrement, ne pourraient pas accéder à la terre. Les citoyen·nes peuvent faire des dons, des prêts, des legs à Terre de Liens, pour financer l’achat de ces fermes, qui sont ensuite louées à un prix raisonnable, avec comme seules contreparties d’avoir un projet qui tienne la route et de s’engager dans un processus d’agriculture biologique. Si des dizaines de fermes (1) ont ainsi été achetées et louées, un peu partout en France, il est évident que ce modèle reste pour l’instant marginal par rapport à celui de l’agriculture « classique ». Il ne peut malheureusement pas contourner l’obstacle du « prix du foncier excessif », mais un de ses mérites est de soutenir la pratique d’une agriculture en lien avec le territoire.
En Belgique, un mouvement similaire existe, appelé Terre en Vue. Sa spécificité, selon la loi belge, est qu’il peut récupérer des terres qui sont cultivées de manière non-compatible avec Natura 2000, pour ensuite les re-distribuer par un système d’appels à projets.
En Grande-Bretagne, si le foncier agricole est relativement bien protégé, les prix astronomiques empêchent l’installation de « petites fermes » (en 2020, seulement 4% du foncier a changé de mains). La construction de bâtiments isolés (y compris pour usage des agricult-rices) est également presque impossible. Il s’y est donc créé l’Ecological Land Cooperative, qui achète des fermes, les subdivise, et obtient des permis de construire groupés pour ensuite vendre ou louer les lots de taille raisonnable à de nouveaux et nouvelles paysannes.
Dans une autre perspective en France, on peut citer le Réseau National des Espaces-Test Agricoles (Reneta). Il gère des espaces conçus pour tester la capacité et la volonté de mener à bien un projet agricole dans un environnement sécurisé et surtout accompagne et met en réseau des porteu·ses de projets agricoles (2). Le Reneta favorise ainsi des installations plus solides et mieux vécues pour les personnes qui font le choix de concrétiser après la période de test.
Des installations aidées par des collectivités
L’article 125-1 du Code Rural permet de reprendre en gestion des terres laissées à l’abandon depuis au moins 6 ans. Le(s) pétitionnaire(s) saisi(ssen)t la municipalité, qui doit engager une démarche auprès du Conseil Départemental et du Préfet. À terme le ou la pétitionnaire devient gestionnaire, mais non propriétaire des biens en question, avec un statut de fermi·ère (bail agricole) tant que le ou la propriétaire ou ses ayant-droits sont en vie. La propriété peut lui être cédée si celui-ci vient à décéder sans laisser d’hériti·ère. Plus rapide que la procédure concernant les « biens vacants sans maître », celle-ci est néanmoins assez longue (6 ans dans le cas de Moélan-sur-Mer, dans le Finistère) et demande une forte conviction de l’équipe municipale à cause des lourdeurs administratives. L’incertitude quant à l’avenir des terres empêche de fait certains types d’exploitation, comme l’arboriculture.
Ailleurs, la commune achète des terres et créé une régie municipale, avec embauche d’un·e maraîch·ère, pour approvisionner les cantines locales. C’est la procédure engagée par Mouans-Sartoux dans les Alpes-Maritimes où l’agriculteur est salarié, fonctionnaire territorial, et peut être aidé par d’autres employé·es municipa·les en fonction des saisons.
Plusieurs communes, ayant plus de souplesse budgétaire que les particuli·ères de façon générale, ont acheté du foncier pour faciliter l’installation de nouvelles activités. L’article L411-15 du Code Rural précise que priorité doit alors être donnée aux personnes bénéficiant de la DJA (Dotation Jeune Agriculteur). L’implication des collectivités locales est cependant plus fréquente pour des activités non-agricoles, par exemple la création de tiers-lieux.
Dans le Livradois-Forez, c’est le Parc Naturel Régional qui a mis en place une politique agricole comprenant un volet d’aide à l’accès au foncier pour des installations agricoles respectueuses de l’environnement.
Des installations groupées avec financement collectif
Il existe plusieurs formules pour aider une installation de plusieurs personnes sur une ferme.
Le Fonds de dotation fonctionne comme une association, mais collecte des financements collectifs pour acheter des terres. Les personnes qui s’installent sont souvent les créatrices du fonds de dotation et ont donc l’usage prioritaire des biens (précisé dans les statuts). Mais en cours de route, et surtout lors de leur départ du projet, elles en cèdent l’usage à d’autres. La gestion est simplifiée par rapport aux installations collectives en société, et le « modèle » peut changer en cours de route avec la disparition de certaines des activités ou la création d’activités nouvelles.
Il existe plusieurs exemples de lieux bénéficiant d’une collecte de fonds citoyens, comme le village Ecoravie, ou la Talvère à Clayrac dans le Lot. Ecoravie est un éco-lieu (membre du réseau des Oasis), du genre habitat participatif, situé dans la Drôme. Il n’a pas été conçu spécifiquement pour accueillir des activités agricoles, mais celles-ci font l’objet (comme la construction elle-même) de chantiers collectifs, pour les habitant-es mais aussi pour les personnes extérieures. L’objectif de la Talvère, dans le Lot, est de « favoriser une vie rurale pérenne : grâce à un lieu mis en commun pour se réapproprier, expérimenter, libérer des envies de paysans, de culture, d’arts, d’artisanat, d’habitat, de conscience et de transformation sociale,… ». La Foncière Antidote joue parfois ce rôle de collecte de fonds citoyens, autant pour des tiers-lieux que pour des projets agricoles.
Dans le même esprit, en Grande-Bretagne, plusieurs fermes ont été « sauvées » par la formule des « Community Farms ». Le principe en est simple : comme bien d’autres projets dans d’autres domaines, l’actionnariat est constitué de citoyen·nes voulant « donner un coup de pouce ». Ainsi, Fordhall Farm a maintenant, selon l’expression de sa directrice (et créatrice), 8 000 patron·nes au lieu d’un·e seul·e (avec un Conseil de Gestion – composé de 14 bénévoles - comme n’importe quelle société). Sur la Wye Community Farm, le collectif n’est pas propriétaire des terres, mais en détient le bail avec le propriétaire public, une université. On pourrait creuser de telles formules en France, dans les cas où des propriétaires publics ont besoin de fermi·ères pour entretenir les terres et réaliser une production alimentaire.
Des installations aidées par plusieurs acteurs
Parfois, c’est une concertation entre plusieurs acteurs qui permet de surmonter les obstacles à l’installation. En voici deux exemples :
- • À Bourgoin-Jailleu, dans l’Isère, la municipalité achète le bâtiment d’exploitation et demande à la SAFER de mettre les terres « en réserve » le temps que Terre de Liens puisse s’organiser pour les acheter. Cette mise en réserve est financée par la Région.
- • À l’île d’Yeu, en Vendée, un accord entre la municipalité et la SAFER lui permet d’être informée des ventes à venir et de préempter (à son prix) si le prix de vente annoncé est considéré – par son comité spécifique – comme spéculatif. La municipalité subventionne également le défrichement de terres en contrepartie d’un engagement du propriétaire de les louer à un·e exploitant·e agricole.
Il faut aller plus loin
Si nous comptons tou·tes sur une agriculture productive pour nous nourrir, nous devons complètement la repenser pour éviter qu’elle ne soit entièrement contrôlée par les tenant·es d’un modèle industriel fortement dépendant du capital. Il s’agit là de justice sociale, et on peut noter que l’installation de jeunes - ou moins jeunes mais surtout de nouvelles et nouveaux paysans - dans de bonnes conditions peut en même temps contribuer à répondre aux exigences de la nécessaire lutte contre le réchauffement climatique.
Les exemples cités ici peuvent constituer une réponse partielle aux freins évoqués dans l’article précédent. Mais il faut continuer à se battre sur les deux questions majeures de fond, pour :
- - obtenir un statut spécifique pour le foncier agricole, permettant de mettre fin à la spéculation ;
- - peser sur les institutions agricoles (SAFER, Chambres d’Agriculture, etc.) pour ralentir, voire inverser, la tendance à l’agrandissement des exploitations et aider les installations collectives.
Tout ceci, bien entendu, en maintenant voire en développant les actions de soutien déjà mises en place par les membres du collectif InPACT (3), sur des questions comme la transmission.
Murray Nelson
(1) En date de juillet 2020 : 223 fermes acquises et 6 400ha préservés.
(2) Reneta, Réseau national des espaces-test agricoles, Maison des Agriculteurs, Mas de Saporta - Bât. B , 34875 Lattes, tél. : 04 67 06 23 66, reneta.fr.
(3) InPACT : Collectif Initiatives Pour une Agriculture Citoyenne et Territoriale. Ce collectif regroupe notamment le Réseau Civam, la Fadear, l’Ardear, Reneta, etc.
- Terre de liens, 25 Quai André Reynier, 26400 Crest, tél. : 09 70 20 31 00, https://terredeliens.org.
- Terre en Vue, Chaussée de Wavre 37, 5030 Gembloux, tél. : (0032) (0)4 96 68 28 02, https://terre-en-vue.be.
- Ecological Land Cooperative, Unit 204, Brighton Eco Centre, 39-41 Surrey St, Brighton BN1 3PB, Royaume-Uni, https://ecologicalland.coop.
- Foncière Antidote, https://latalvere.org, https://lespassageres.org, contact@lafonciereantidote.org.
Pour aller plus loin :
- - « Les freins à l’installation agricole », Silence n° 498, avril 2021
- -« Terres collectives », dossier de Silence n°396 de décembre 2011 en partenariat avec Terre de liens.
- -« Les sans-terre en Europe : une affaire de jeunes », « Accéder à la terre : un parcours du combattant ? » et « Reclaim the fields », Silence n°405, octobre 2012.
- -« Le Champ des possibles », un espace-test pour les futures Amap, Silence n°447, été 2016.
« Lutter pour l’accès à la terre en France et en Suisse », Silence n°491, septembre 2020.