La ville de Auch est bâtie sur un promontoire duquel descendent des « pousterles », des escaliers bien raides, qui permettent de rejoindre la basse-ville sur les bords du Gers. C’est entre deux de ces pousterles que se trouve le bâtiment de la Convention. Ce bâtiment qui a servi d’école privée puis d’Institut médico-éducatif est mis en vente en 2007, le lieu n’étant plus aux normes pour accueillir des enfants. Le lieu reste vide pendant sept ans et le prix de vente, initialement fixé à un million d’euros, va être sans cesse revu à la baisse. Sa situation, dans un quartier fait de ruelles et d’escaliers, rend le site trop complexe pour des promoteurs (2).
En 2013, Frédéric et Sylvie cherchent un appartement en ville pour limiter l’usage de la voiture. Une agence leur parle de la Convention… dont le prix a chuté à moins de 300 000 €, mais dont l’état est très mauvais et le lieu difficile à aménager. Ils pensent tout de suite à faire un projet collectif et invitent des copains et des copines pour faire la visite. C’est le coup de foudre ! Il y a deux immeubles de 4 et 5 étages séparés par un escalier majestueux sous arcades.
Très vite une trentaine de personnes se retrouvent autour de l’idée d’acheter le lieu. Après de multiples discussions (70 réunions en deux ans), un groupe de réflexion avec 8 personnes se constitue pour réfléchir à la faisabilité du projet pour un achat collectif à 30 personnes. Une charte est mise en place de façon collective, dont la rédaction est coordonnée par Manu, un instituteur. Celle-ci prévoit que tou·tes les habitant·es ont le même pouvoir de décision, y compris les enfants. Après de longues discussions sur la forme juridique, l’achat se fait sous forme d’une copropriété, en 2014. Les parties communes sont intégrées à la copropriété sur la base des tantièmes (3). La charte reste la base du fonctionnement et jusqu’à maintenant les décisions ont toutes été prises au consensus. En cas de blocage, les règles de copropriété peuvent servir de roue de secours.
Une restauration complexe misant sur la récupération
Le groupe initial paie une première étude qui montre la faisabilité du projet, et coopte ensuite les autres habitant·es. Il est décidé de détruire au minimum. Un bâtiment sur terrasse est enlevé pour mieux faire pénétrer la lumière dans le bâtiment principal (150 m³ de gravats à sortir par les escaliers, réalisé de septembre à décembre 2014). Ce sont finalement 15 appartements de 50 à 200 m² (dont deux dans l’ancienne chapelle) qui ont vu le jour, une salle commune de 180 m² (l’ancien gymnase de l’école) avec une cour, un garage à vélo, un grand atelier collectif ainsi qu’un atelier d’architectes (celui des concepteurs acheté en SCI). Au départ, il était prévu de réserver une partie à des chambres d’ami·es, mais cela compliquait trop les questions financières. D’autres idées ont disparu comme une buanderie collective (freinée par les très nombreux niveaux), un chauffage collectif (difficile à mettre en place).
Du fait de la constitution du collectif par relations militantes, le groupe est proche au niveau des idées. Les âges sont variés (les adultes ont de 35 à 60 ans et les enfants de 6 mois à 20 ans), tout comme les professions, mais les ressources plutôt modestes : de chômeurs à cadres supérieurs, artisans, professions libérales, fonctionnaires, artistes, etc. Le choix a été fait d’accueillir aussi plusieurs familles monoparentales et de louer trois appartements. Depuis 2016, date d’entrée dans les appartements, un de ceux-ci a été revendu et un locataire a changé. La modestie des coûts a permis à des personnes à faibles revenus d’entrer dans le projet (4).
Il y a trois architectes dans le collectif dont le plus âgé, Jean-Marc Jourdain, a déjà de nombreuses rénovations à son actif (5). Il a pris en charge la coordination du chantier pour les parties collectives. Il est agréé par les Bâtiments de France, ce qui a aidé pour les démarches dans ce quartier classé historique. Futur habitant, il n’a par contre pas voulu être maître d’œuvre dans les logements de chacun·e pour éviter de possibles tensions. Cela a grandement aidé à faire avancer les travaux rapidement. Il a cherché à recycler au maximum les matériaux et tout le monde a participé aux chantiers pour en faire baisser les coûts.
Ces travaux collectifs se sont montés à 250 000 €, ce qui par exemple a permis à Manu de disposer d’un duplex de 70 m² avec jardin pour un prix de 30 000 € seulement. Loïc lui a acheté un lot de 127 m² au niveau de la rue pour seulement 41 000 €. À charge pour eux ensuite d’aménager l’intérieur de leur logement (6). Ce montage financier collectif s’est avéré très avantageux : 90 % des habitant·es n’auraient pas pu acheter autrement. En cas de revente, ils et elles se sont engagé·es à revendre en gardant un prix qui corresponde au prix de réalisation et non pas au prix du marché.
Un équilibre entre vie privée et implications collectives
Après l’installation de tout le monde, les activités collectives restent régulières et importantes : les rendez-vous de réflexion sur le fonctionnement du collectif, les vacances ensemble organisées à l’initiative des enfants, les journées Minga (7), une journée par mois où l’on fait des travaux collectifs, une fête annuelle et, à l’initiative de qui veut, pas mal de repas en commun, notamment lors du passage des journalistes de Silence ! Il y aussi des congélateurs, un jardin de ville et un compost collectifs, des groupements d’achat et de matériel.
En 2018, le collectif a été invité à présenter le lieu dans le pavillon français de la Biennale d’architecture de Venise. L’occasion pour eux d’y aller tous ensemble, à 30 dans un bus. Cela a permis une rencontre avec d’autres collectifs français ou étrangers et de faire découvrir la cité des Doges aux enfants (8).
Un passage du projet à la réalisation finalement très rapide (moins de deux ans), peu coûteux et qui a limité énormément son poids écologique du fait de la participation de tous et toutes et de la priorité donnée à la récupération. Une démarche exemplaire.
Michel Bernard
* La Convention, 18, rue de la Convention, 32000 Auch, http://laconvention-habitatpartage.org
(1) Le Monastère des Pénitents blancs a été inauguré en 1612.
(2) Un promoteur se doit de construire une place de parking par logement… ce qui ici ne peut se faire qu’en sous-sol à un prix exorbitant. Des particuliers n’ont pas cette obligation.
(3) Chaque logement paie les frais communs proportionnellement à sa surface.
(4) 80 % des propriétaires ont des revenus modestes ou très modestes selon les critères de l’ANAH
(5) Jean-Marc Jourdain est très actif dans la promotion des habitats alternatifs, il est intervenu à Emmaüs Lescar-Pau (Pyrénées-Atlantique), à l’Alter-Habitat L’islois de l’Ile-Jourdain (Gers)...
(6) Les plus modestes ont bénéficié de l’aide de l’Agence nationale de l’habitat qui a pris en charge jusqu’à 50 % des travaux de rénovation thermique.
(7) En Amérique du sud, une minga est une journée de chantier collectif dans une ambiance festive et conviviale.
(8) L’exposition portait comme nom « Lieux infinis ». Autres lieux présents à Venise : La Friche de la Belle de Mai (Marseille), La Grande Halle (Colombelles, Calvados), L’Hôtel Pasteur (Rennes), Le Centquatre (Paris), La ferme du Bonheur (Nanterre), Les Ateliers Médicis (Clichy-sous-Bois, Seine-Saint-Denis), Le Tri postal (Avignon), Les Grands voisins (Paris), le 6B (Saint-Denis).