Malgré ses réticences à être mère, elle le devient par trois fois à partir de 1944, sans l’avoir désiré. Dans Les Tricheurs, nous rappelle Élise Thibéaut, elle met « en récit le risque mortel pris par un des personnages, prénommé comme elle Françoise, qui succombe à la suite d’un avortement ». Bien avant Mai 68, Françoise d’Eaubonne porte un discours politique sur la maternité, en dénonçant les injonctions sociales qui voudraient qu’une femme soit avant tout une mère.
Être mère ou ne pas l’être
Du fait d’un accès plus généralisé à la contraception et à l’avortement en France – mais toujours inégal selon la classe et la race (2) – il semblerait aujourd’hui possible pour les femmes* (3) hétérosexuelles de choisir d’avoir des enfants ou non. Dans la lignée de Françoise d’Eaubonne, émerge un discours politique sur la maternité, porté par des femmes*, qui est fondé pour certaines sur le rejet de donner naissance dans un monde marqué par la catastrophe écologique. Dans des livres, documentaires et billets de blogs, des femmes* évoquent même leur « regret d’être mère » (Orna Donath, 2019). Le collectif du Front de Mère et la figure de sa fondatrice, Fatima Ouassak, autrice de La Puissance des mères (2020), participent notamment à conceptualiser les mères en tant que sujets politiques.
Cependant, un point de vue hétéronormatif et blanc sur la maternité met de côté des discours politiques portés par des personnes racisées et des lesbiennes. Dans son grand ouvrage Femme, classe, race (1983), la militante et autrice afro-américaine, Angela Davis, rappelle que les revendications des militantes blanches du Mouvement de Libération des Femmes (MLF) dans les années 1960 ne prenaient pas en compte celles des femmes noires. Suite à des avortements forcés par le passé, celles-ci ne souhaitaient pas avorter – sans être pour autant contre. De la même manière, la sociologue Myriam Paris remémore dans sa thèse qu’une campagne de stérilisation forcée des Réunionnaises eut lieu pendant que les militantes de la métropole réclamaient le droit à la contraception. Et à l’heure où la Procréation Médicalement Assistée (PMA) n’est pas autorisée pour les couples de lesbiennes, qu’il s’agisse de refuser de devenir mère ou de souhaiter l’être, le choix n’est toujours pas laissé aux femmes*.
Fanny Hugues
(1) Autrice de Ceci est mon sang, petite histoire des règles, de celles qui les ont et de ceux qui les font (La Découverte, 2017) et de L’Amazone verte, le roman de Françoise d’Eaubonne, 2021.
(2) Le terme de « race » est entendu comme une construction sociale et non dans une interprétation biologique.
(3) Cette étoile signifie que nous ne parlons pas uniquement de femmes cisgenres, c’est-à-dire dont le genre correspond à celui qui a été attribué à la naissance, bien que nous n’ayons pas de données précises à ce sujet.
Ressources complémentaires
« L’horloge biologique, on t’a pas sonnée », un podcast de Charlotte Bienaimé, avril 2019.
« Je ne veux pas être maman », une bande dessinée d’Irène Ulmo, mars 2020.
« Regarde, elle a les yeux grands ouverts », un documentaire avec des militantes du droit à l’avortement de Yann le Masson, 1980.