Dossier Fukushima Nucléaire

Ne pas oublier, ne pas céder : un combat difficile

Monique Douillet

Quelle est la situation de la population de la région de Fukushima, évacuée et « invitée » aujourd’hui à se réinstaller dans les zones encore radioactives ? Quel est l’état des lieux des mobilisations pour obtenir justice et réparation ?

Après l’évacuation, la question du retour des personnes déplacées dans la région de Fukushima se pose depuis plusieurs années. Et ce qui se joue derrière, c’est l’enjeu de la reconnaissance de l’ampleur d’une catastrophe dont les dégâts ne sont pas finis.

Repeupler pour faire oublier la catastrophe

Entre 120 000 et 160 000 personnes ont dû, durablement, quitter leur habitation (ce chiffre est sûrement sous-estimé). Alors que les travaux de décontamination génèrent des déchets qui contribuent à la dispersion secondaire des radionucléides, la détermination du gouvernement à repeupler cette zone interpelle. Depuis 2014, les ordres d’évacuation sont levés progressivement.
Dans le même temps, seule une minorité d’habitant·es est revenue, avec un vieillissement sensible de la population. Dans les communes voisines de la zone la plus contaminée, réouvertes à partir de juin 2016, seulement 5 à 20 % de la population de 2011 était revenue en 2018. La proportion est de 40 à 70 % au-delà, dans les lieux où la réouverture est intervenue à partir de 2014. En 2017, des dernières zones évacuées ont été rouvertes, sauf celles de « retour difficile », c’est-à-dire les plus contaminées. Puis les indemnisations pour les évacué·es ont pris fin en 2018. En parallèle, le gouvernement a mis en place des subventions pour la production d’énergie renouvelable et une publicité ostensible pour les denrées alimentaires locales.
Ce travail de communication pour tenter de masquer les impacts durables de la catastrophe nucléaire se retrouve dans la délocalisation d’une partie des épreuves des Jeux olympiques (baseball) dans la préfecture de Fukushima. Le gouvernement japonais préconise depuis plusieurs années d’ouvrir les zones contaminées afin de montrer au monde, à l’occasion des Jeux olympiques (1), que l’accident de Fukushima n’est plus qu’un souvenir.
Le gouvernement versera jusqu’à 2 millions de yens (15 000 euros) aux personnes qui retourneront dans la région de Fukushima. À cela s’ajouteront 4 millions de yens supplémentaires à ceux qui monteront des entreprises dans les douze villages évacués après la catastrophe sur ordre du gouvernement. Pour toucher ces sommes d’argent, l’une des conditions est que les familles s’engagent à vivre dans ces zones pendant au moins cinq ans. Malgré ce travail de communication, on compte encore officiellement plus de 36 900 personnes déplacées hors de Fukushima, selon les autorités locales. L’Université Kwansei Gakuin a envoyé un questionnaire à 4 876 déplacé·es et a reçu 694 réponses, dont 522 d’habitant·es originaires de Fukushima avant la catastrophe. Il apparaît que 65 % des répondant·es originaires de Fukushima ne souhaitent pas rentrer chez elles. À la question de savoir pourquoi ils et elles n’étaient toujours pas rentrées, 46 % répondent craindre la contamination et 45 % disent s’être réinstallées ailleurs.
Katsuei Hirasawa, ministre de la Reconstruction, a déclaré le 17 décembre 2020 que son agence se concentrait sur le repeuplement de ces zones. L’objectif de l’agence est que 300 personnes s’installent dans les zones concernées au cours de la première année. Elle commencera à accepter les candidatures pour le programme dès l’été 2021.
En 2018, le rapporteur spécial du Conseil des droits humains de l’ONU a fait remarquer que la suppression des aides publiques, notamment le logement gratuit attribué aux personnes réfugiées de leur propre initiative hors des régions directement contaminées, représentait une pression qui les forçait à revenir dans leur commune d’origine.

La précarisation des personnes déplacées

Le déplacement massif des personnes hors de Fukushima s’est accompagné d’une paupérisation pour nombre d’entre elles. L’université Kwansei Gakuin, en enquêtant sur les personnes déplacées, les a aussi interrogées sur leurs revenus. Selon le quotidien Maïnichi, qui reprend l’information, le nombre de foyers qui gagnaient moins de 3 millions de yens (24 000 euros) par an en 2019 est 1, 7 fois plus élevé qu’avant la catastrophe. Sur les 117 mères célibataires qui ont répondu, 103 sont des autoévacuées, 50 ont divorcé et 44 % d’entre elles ont eu en 2019 un revenu annuel inférieur à 2 millions de yens (16 000 euros). C’est 3, 6 fois plus qu’avant la catastrophe. Certaines mères cumulent plusieurs petits boulots pour s’en sortir.
En parallèle, la région de Fukushima attire des personnes précaires. En 2014, un scandale a éclaté autour de la situation de personnes sans abris, recrutées par des entreprises privées pour des travaux de nettoyage et de démantèlement dans la région de Fukushima. « L’accident nucléaire et la pandémie de coronavirus ont tous deux révélé des distorsions et des inégalités dans la société », a déclaré Yu Miri, écrivaine japonaise, qui fait état du sentiment d’un isolement croissant parmi les habitant·es de Fukushima. Elle a ajouté que les zones touchées par la catastrophe n’ont pas été suffisamment assainies. Le gouvernement, uniquement tourné vers sa réputation, tente de redorer l’image de la région en investissant dans le tourisme. Ces dernières années, la région de Fukushima a connu un regain de « tourisme de la catastrophe », visant à attirer par le voyeurisme mais aussi à rassurer sur l’état actuel des décontaminations… le tout aux dépens des urgences sociales.

La multiplication des procès

Pour faire reconnaître leurs droits et la responsabilité de Tepco dans la catastrophe nucléaire, les victimes ont lancé plusieurs actions juridiques à partir de 2012. Un procès pénal a été entamé en 2012 par un groupe de 14 000 victimes de l’accident nucléaire pour déterminer la responsabilité des dirigeants de Tepco. Après un premier procès classé sans suite en 2013, trois anciens dirigeants sont mis en examen en 2015 après une forte mobilisation des victimes et une procédure de jurés populaires. Le procès a débuté en juin 2017 et le rendu, en septembre 2019, a acquitté les accusés. L’indignation a été énorme au sein de la population japonaise à tel point qu’un procès en appel s’ouvrira en 2021. La reconnaissance pénale de l’entreprise est un enjeu majeur pour aborder aujourd’hui le risque nucléaire.
En parallèle, une trentaine de procès au civil sont en cours. Le procès « Nariwai » a regroupé plus de 3 500 victimes réclamant des compensations pour les dommages subis suite à la perte de terres agricoles, parfois de leur métier… Elles réclament aussi l’institutionnalisation d’un système d’aide pour toutes et tous. En septembre 2020, la Haute Cour de Sendai a affirmé la responsabilité de Tepco et du gouvernement japonais dans la catastrophe nucléaire, et ordonné de verser 1,01 milliards de yens (8,2 millions d’euros) aux plaignant·es. Ce jugement, qui constitue une réelle victoire, crée un précédent pour les autres procédures en cours.
Des citoyen·nes japonais·es, quelques médias mais aussi des collectifs antinucléaires dans le monde entier continuent de se battre courageusement pour faire la lumière sur la responsabilité de Tepco et du gouvernement dans la catastrophe et la gestion des celle-ci, et pour la reconnaissance de droits pour les victimes.
À l’heure où la tenue des prochains Jeux olympiques (très controversés) jette un coup de projecteur sur le pays, c’est aussi le moment de se faire entendre et de rappeler l’impact désastreux d’un accident nucléaire, l’urgence d’en sortir, et l’importance de soutenir les victimes.

Monique Douillet

(1) les Jeux olympiques, initialement prévus pour juillet 2020, ont été reportés à l’été 2021 en raison de la pandémie.

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