En juillet 2019, le gouvernement français a déposé son projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire au parlement. Parmi les mesures proposées, un objectif de 5% d’emballages réemployés d’ici 2023 et 10 % d’ici 2027, avec donc un retour partiel à la consigne pour les bouteilles. Le verre est le seul matériau, parmi ceux utilisés pour le conditionnement de boissons, qui se prête au lavage, et donc au réemploi. Le réemploi après lavage est plus simple et écologique que le coûteux recyclage des matériaux, qui nécessite un processus de transformation industrielle énergivore et polluant. Par rapport au recyclage, le lavage pour réemploi permet d’économiser 33 % d’eau, 76 % d’énergie et d’émettre 79 % de gaz à effet de serre en moins. (1)
Mais la loi prévoyait également le réemploi des emballages en plastique, mesure qui a été rejetée par le sénat en septembre 2019. « Cette loi avait pour objectif de ne pas fâcher le lobby du plastique, estime Nils Svahnström, de l’association lyonnaise Rebooteille. Quand on parle de consigne pour le plastique, ce n’est pas dans le but de réutiliser les emballages, mais de les recycler, d’améliorer leur tri. La consigne est une manière de rendre le plastique fréquentable le plus longtemps possible, alors que le vrai enjeu est de le faire disparaître. »
De nombreux acteurs associatifs agissent pour mettre en place des systèmes de consigne de bouteilles en verre et de réemploi dans toute la France. Silence fait le point sur la mise en place d’un tel système à Lyon depuis 2020.
« Un enjeu très concret, terre à terre »
Au commencement était Consilyon, une association militant pour le retour de la consigne. (2) Elle suscite une vocation chez deux porteurs de projet qui à présent œuvrent à concrétiser eux-mêmes ce retour à la consigne en mettant sur pied la filière adéquate, sous l’enseigne Rebooteille.
Stéphane et Nils, trentenaires, ont été interpelés par l’absence de système de consigne des emballages en verre. Les bouteilles et les bocaux en verre sont systématiquement détruits pour être ensuite refabriqués, alors qu’un lavage suffirait à leur donner à chaque fois une nouvelle vie. Un gâchis incroyable alors que la solution est à portée de mains. Après tout, la consigne du verre était massive il y a encore quelques décennies en France, et elle est encore bien en place dans des pays comme l’Allemagne. Pour Nils, la question de la consigne est « un enjeu très concret, terre à terre, qui parle à chacun et chacune dans son quotidien, à la différence d’autres aspects de la transition écologique qui semblent plus lointains. »
Un projet à dimension industrielle
Pour être viable, un projet de consigne de verre nécessite de toucher un très gros volume de bouteilles (qui se chiffre en millions d’unités), et pour cela, des infrastructures et des investissements importants. Un défi qui n’est pas habituel pour des militants plutôt habitués à de petits projets. Les deux initiateurs de Rebooteille, Stéphane et Nils, étaient respectivement architecte et urbaniste. Ils ont donc tout à apprendre sur la question, et se trouvent au défi de lancer un projet de nature et d’ampleur véritablement industrielle. « Industriel ça ne veut pas dire qu’on va créer une grosse boîte capitaliste, mais qu’on doit se donner des moyens adaptés », précise Nils, qui se dit de sensibilité anarchiste et qui vit dans une coopérative d’habitat. Le but est de transformer à terme l’association en coopérative : « ni avoir un patron, ni devenir patron », résume-t-il.
Pour se consacrer à plein temps à leur projet, Nils et Stéphane démissionnent de leurs emplois respectifs. En 2018, ils intègrent l’incubateur Alter’incub, un réseau d’accompagnement à l’innovation sociale, et sont rejoints par Bastien en 2019.
Premiers pas et défis pratiques
Un travail d’arrache-pied leur permet de démarrer leur activité à Lyon en mars 2020. Le 10 mars, la consigne se met en place en lien avec une première brasserie, la Brasserie Nomade à Genas, et dans 5 points de collecte : 3 épiceries, un bar et un caviste. Une semaine plus tard, l’activité est arrêtée à cause du confinement lié au Covid-19… et elle reprend le 11 mai.
Le fonctionnement de la consigne est le suivant : les personnes déposent leurs bouteilles vides dans des points de collecte, généralement des commerces. L’association vient chercher les bouteilles, et les emmène dans ses ateliers de traitement. Là, les bouteilles sont lavées, séchées et reconditionnés en palettes filmées comme les bouteilles neuves. Puis les bouteilles sont ramenées aux brasseries et autres product·rices qui s’en servent comme contenants.
En attendant que Rebooteille s’équipe de ses propres équipements de lavage (fin 2021), les bouteilles sont lavées à côté de Valence par Ma Bouteille s’Appelle Reviens, son homologue dromardèchois. L’association organise des tournées de collecte dès que les capacités des magasins sont atteintes, et va nouer des partenariats avec plusieurs acteurs logistiques locaux afin de mutualiser au maximum les trajets (logistique inversée).
Nils énumère les défis et les difficultés pratiques qui émaillent le passage à la consigne pour l’ensemble des acteurs et actrices concerné·es. Pour que la consigne marche, il faut une uniformisation des bouteilles afin qu’elles puissent être réutilisables par le plus grand nombre possible de product·rices. Plusieurs autres brasseries sont intéressées pour passer à ce système mais ont de gros stocks de bouteilles à écouler d’abord. Cela implique donc un délai important avant de rejoindre le système. Il faut également des étiquettes qui se décollent au lavage. Les brasseries doivent donc changer de papier adhésif. Rebooteille les met en lien avec une imprimerie partenaire qui peut les aider à réaliser ce changement.
Au niveau des commerces, le principal frein qui a été identifié est la place disponible dans le magasin pour entreposer les casiers de bouteilles. Sans oublier les opérations d’encaissement en plus, ainsi que le temps d’explication à la clientèle.
Côté consommat·rices justement, une étude de l’Ademe fait ressortir le fait que facturer une caution monétaire lors l’achat des bouteilles, restituée au retour de celles-ci, constitue un facteur d’encouragement important et peut aller jusqu’à doubler le taux de retour. Par ailleurs, l’usage de la consigne dépassera le réseau militant dans la mesure où les points de collecte se feront plus nombreux et seront à proximité du domicile pour tout le monde. Le défi est donc de passer d’un réseau de commerces engagés, petites épiceries, bars et cavistes, à de grandes enseignes de la bio puis à des supermarchés de proximité.
Mettre en place une filière complète
En plus de l’ampleur du projet, un autre défi vient du fait qu’il est nécessaire de mettre en place une filière complète : product·rices, brasseries, magasins, collectivités, individus. « Il s’agit à la fois de mettre en lien les acteurs et actrices existant·es et de créer nous-mêmes les maillons qui manquent », résume Nils. Alors que Rebooteille a démarré son activité avec une brasserie, fin octobre 2020 ce sont 2 brasseries, un distributeur de vin et 11 points de collecte (majoritairement des épiceries bio et/ou en vrac) qui en font partie. L’ambition est de pouvoir intégrer ensuite à ce fonctionnement les bouteilles de jus,de lait et d’huile, puis les autres contenants en verre du type bocaux.
Pour le moment, ce sont les productr·ices commercialisant leurs bouteilles essentiellement au niveau local qui sont visé·es. Mais au-delà de la seule échelle de l’agglomération ou de la région, on pourrait imaginer un fonctionnement plus efficace, pratique et écologique, en uniformisant par type de boisson les bouteilles au niveau national et moyennant un assouplissement de certaines normes (appellations…) au profit de la consigne.
Un réseau national pour la consigne et le réemploi
Et la coordination des acteurs et actrices de cette filière au niveau national, c’est justement l’objet du Réseau Consigne, qui se structure depuis 2019. Rebooteille a accueilli sa première assemblée générale nationale en 2019, avec une cinquantaine de projets présents.
Les missions du Réseau Consigne sont de centraliser et diffuser les informations sur la consigne du verre, d’être un centre de ressources sur le sujet, une plateforme d’échanges et de partage entre acteurs et actrices de la consigne. Le réseau remplit également un rôle de plaidoyer à ce sujet, d’interlocuteur auprès des institutions, et d’accompagnement des porteu·ses de projets.
De Rebooteille à Bout à Bout en Pays-de-la-Loire et à La consigne de Provence, de Alsace Consigne à Consign’up autour de Toulouse, de Réutiliz à La Réunion à Oc’ Consigne autour de Montpellier, les projets de réseaux de consignes de verre se multiplient partout sur le territoire.
Pour l’instant, la France reste en retard par rapport à ses voisins belges et allemands notamment. Face à l’inertie et aux dévoiements des politiques publiques en la matière, il semble que ce soit des initiatives de militant·es de l’écologie qu’émergera l’alternative écologique qui s’impose dans la filière du verre.
Guillaume Gamblin
(1) Analyse de cycle de vie réalisée par le cabinet Deroche Consultants en 2009.
(2) Consilyon, 11 rue Docteur Ollier, 69100 Villeurbanne, consilyon.airlab.fr, consilyon@riseup.net.
Se financer
Côté financement, Rebooteille a été lauréat d’un Appel à manifestation d’intérêt lancé par la métropole de Lyon autour de l’économie circulaire 2019, et a pu compter également sur le soutien financier de l’Ademe, de la ville de Villeurbanne, de Cigales, ainsi que de dons et adhésions. Une campagne de levée de fonds a été lancée fin 2020. « Les sommes nécessaires pour démarrer et investir dans le matériel nécessaire au lancement de l’activité : machines de lavage et de séchage, véhicules, casiers, salaires, etc., dépassent les 500 000€, estime Nils. Sur les 3-4 premières années du projet, on est sur un investissement proche du million d’euros. »
Rebooteille, 31 quai Jaÿr, 69009 Lyon, www.rebooteille.fr, contact@rebooteille.fr.
Réseau Consigne, www.reseauconsigne.com.