Au printemps 2012, les rares chercheurs en sciences sociales travaillant sur la pollution atmosphérique observent avec intérêt le basculement du Centre de recherche sur le cancer de l’OMS (CIRC), qui reconnaît enfin les particules fines de diesel comme des cancérogènes certains. Sur le coup, peu d’acteurs se saisissent de cette décision pour relancer une problématique déjà très ancienne.
Trop de pollution : un constat partagé
Fin 2012, Francis Chateauraynaud et Josquin Debaz, chercheurs du groupe de sociologie pragmatique et réflexive (GSPR), développent un observatoire des alertes et des controverses en santé environnementale conçu pour l’agence sanitaire ANSES, qui n’est pas emballée par l’idée d’étudier le dossier des particules fines. Elle renvoie les chercheurs vers l’Institut de veille sanitaire — intégré depuis dans Santé publique France. Parallèlement, les associations France nature environnement, Les Amis de la Terre et d’autres reviennent sur le front des émissions de particules. Tout le monde fait alors le même constat : il règne une très forte inertie dont on ne sait comment sortir, l’industrie automobile française ayant privilégié, on le sait, le diesel depuis plusieurs décennies.
S’organiser en collectif pour remobiliser
Fin 2013, le collectif des Poumons de Paris se crée autour d’un petit noyau : deux sociologues, un ingénieur aménageur militant de Vélorution, un médecin généraliste, un enseignant proche d’EELV, un parent d’élève, une semi-marathonienne… Quelques réunions, des contacts avec l’association Respire nouvellement créée et, au fil de pics de pollution devenant plus que tangibles, l’affaire prend forme, à la faveur d’une belle fenêtre d’opportunité début 2014 avec les élections municipales. Fort de centaines de soutiens, le collectif produit une analyse critique, envoie des émissaires dans les réunions publiques et adresse une lettre ouverte aux candidat·es. Le groupe porte une revendication dans l’air du temps : l’ouverture par le ou la prochain·e maire de Paris d’une conférence de citoyen·nes sur la pollution de l’air. Une fois élu·es, les écologistes entré·es au Conseil de Paris reprennent l’idée, et la conférence se tient à l’automne 2014. Pour Les Poumons de Paris, la démonstration esr faite : un collectif peut amener les pouvoirs publics à se saisir d’enjeux sanitaires et écolo, ici la pollution de l’air.
Depuis, la Ville de Paris n’a cessé de développer des initiatives contre la pollution automobile, avec une extension assez massive des pistes cyclables et des zones piétonnes, l’interdiction de certains types de voitures, la libération de zones affectées au trafic (dont les quais de Seine), etc. Pour ce qui est du collectif, deux ou trois de ses membres ont poursuivi pendant quelques années les fils d’informations, puis le collectif s’est progressivement dispersé, même s’il est toujours possible de le réactiver.
Francis Chateauraynaud (sociologue, GSPR, EHESS)