Dossier Environnement Pollutions

Constitution d’une expertise citoyenne : l’exemple de l’association Air des Lyonnaises et des lyonnais

Martha Gilson

Que peuvent faire des habitant·es face à la pollution de l’air ? Retour d’expériences avec Gérard Françon de l’association l’Air des Lyonnaises et des Lyonnais, qui a su acquérir et transmettre des connaissances spécifiques sur la pollution atmosphérique puis faire le lien entre implication citoyenne et pouvoirs publics.

En 2012, à Lyon, les inquiétudes des riverains grandissent par rapport à la réouverture du tunnel de la Croix-Rousse avec un nouveau système de ventilation et la situation intolérable de l’école primaire Michel-Servet, proche de la sortie du tunnel, où les taux de pollution dépassent en permanence les valeurs réglementées. Commence alors un travail de réappropriation du savoir. Entretien avec Gérard Françon, président de l’association L’Air des Lyonnaises et des Lyonnais.

Silence : Comment vous y êtes vous pris pour mobiliser collectivement autour de la pollution de l’air ?

Gérard Françon : En février 2013, une commission spécifique se constitue au sein des quatre conseils de quartier du 4e arrondissement de Lyon, commission rejointe par la suite par deux conseils de quartier du 1er arrondissement et deux du 9e arrondissement. Le but de la commission est clair : acquérir connaissances et compétences pour communiquer autour de la pollution atmosphérique dans cette partie de la ville. Elle s’appuie au départ sur les mesures de l’observatoire de surveillance de la qualité de l’air, Air Rhône-Alpes (devenu Atmo Auvergne-Rhône-Alpes), pour créer ses propres diagnostics. Certain·es de ses membres sont formé·es en novembre 2013 par cet organisme, avec des bénévoles d’autres associations de la région (1). Les données factuelles sont analysées, vulgarisées, comparées pour suivre l’évolution de la présence de différents polluants. La commission, composée de quelques personnes ayant des connaissances en chimie, est ouverte à tou·tes et propose des restitutions mensuelles.
Au fur et à mesure des constats, elle élabore une feuille de route composée de propositions et de demandes aux instances publiques locales. En appui à ce plan d’actions, elle publie régulièrement des dossiers, participe à une quinzaine de réunions publiques et tables rondes, donne des interviews à la presse locale. Ce travail de partage permet la sensibilisation d’une partie des habitant·es du quartier et amorce la constitution d’un collectif autonome.

Comment fonctionne concrètement l’association L’Air des Lyonnaises et des Lyonnais ?
Cinq ans plus tard, en 2018, la pollution atmosphérique restant excessive dans l’agglomération lyonnaise et les politiques publiques paraissant insuffisantes par rapport à la menace sur la santé des habitant·es, la commission décide de créer l’association L’Air des Lyonnaises et des Lyonnais. Portée par la plupart des membres de la commission (motivés par des questions de santé, de qualité de vie), celle-ci se dote dès ses débuts d’un site internet pour rendre ses propositions et ses actions plus visibles au-delà du collectif initial issu des conseils de quartier. L’objectif est alors de créer une solide base de documentation afin de mobiliser autour de la question de la pollution.

Et l’association grossit. À la mi-avril 2020, elle compte 32 adhérent·es, et 80 sympathisant·es sont régulièrement informé·es de ses principaux documents. Les contributeurs et contributrices de l’association ont rédigé et publié 70 articles : analyse du lien entre canicule et pics de pollution à l’ozone, effets sur l’air du confinement, suivi des recours contre l’État, etc. Elle assure un suivi ambitieux de l’actualité liée à la pollution atmosphérique.
Au-delà de son travail d’analyse et de documentation, l’association participe à de nombreuses réunions publiques et conférences (en particulier dans le milieu universitaire). Elle intervient lors des réunions mensuelles des conseils de quartier et répond aux demandes d’interviews de la presse locale et nationale. L’Air des Lyonnaises et des Lyonnais participe également à l’expérimentation de micro-capteurs nomades. Démarré début 2018, le projet 3M’Air (2) a pour objectif de construire un réseau de micro-capteurs de proximité pour enrichir les mesures de qualité de l’air dans l’agglomération, avec un maillage nettement plus fin en complément de celui des stations fixes d’ATMO Auvergne-Rhône-Alpes. L’association souhaite développer cette activité en y associant un plus grand nombre d’habitant·es.

Sources des inégalités au sein de la population
Toute la population ne subit pas la pollution de la même façon. Trois situations principales sont à prendre en compte :

  • la proximité des voies routières à fort trafic, où le dioxyde d’azote dépasse très souvent les limites réglementaires fixées par l’Union européenne : ceci concerne les locaux d’habitation mais aussi les lieux de travail ;
  • l’aération des quartiers, certains étant régulièrement soumis à des vents qui dispersent les polluants alors que d’autres sont beaucoup plus confinés, comme les « rues canyons » d’où la pollution a du mal à s’échapper (comme l’école Michel-Servet, à Lyon 1er) ;
  • la précarité économique des habitant·es, qui les contraint à se loger dans des zones à forte densité de population, dans des immeubles parfois insalubres et mal ventilés, à se chauffer avec les moyens du bord (on estime que 8 % des Lyonnais·es, les personnes plus précaires, se chauffent encore au bois avec des appareils inappropriés).

Quelles sont les solidarités possibles pour lutter contre la pollution de l’air au niveau collectif ?
La pollution de l’air dans une agglomération doit être traitée au niveau global par rapport aux activités humaines. Si les associations ont un rôle à jouer en termes d’information, d’incitation et de pédagogie, les actions de fond relèvent des politiques publiques : un réseau de transports en commun couvrant largement le périmètre géographique (moins de voitures en ville), des plans de circulation évitant l’engorgement de certaines voies bordées d’habitations, des règles d’urbanisme laissant des espaces entre les immeubles pour que l’air circule (éviter les « rues canyons » et les îlots de chaleur). Mais l’air extérieur n’est qu’une partie du problème, les affections respiratoires trouvant aussi — et souvent — leur source dans l’air intérieur. C’est là un volet social qui ne peut être traité qu’avec des actions de fond et des budgets dédiés : favoriser le remplacement du chauffage au bois par une solution moins polluante, mener une politique de rénovation énergétique des bâtiments publics, des logements sociaux mais aussi des habitations privées, aider les particuliers à remplacer leur vieux véhicule polluant par un modèle plus écologique, favoriser les modes de transport doux.

Si une partie de ces actions figure au plan Oxygène de la métropole de Lyon, leur mise en œuvre est encore timide et il faudrait passer à la vitesse supérieure pour que l’agglomération devienne plus respirable pour tou·tes et à égalité de chances. Le processus passe par une co-construction effective entre les institutions locales et territoriales et les associations ou les collectifs d’habitant·es, qui ont une connaissance précise et détaillée du terrain.

Propos recueillis par Martha Gilson

(1) Le 6 décembre 2019, L’Air des Lyonnaises et des Lyonnais est entrée au conseil d’administration d’Atmo Auvergne-Rhône-Alpes au titre du collège 4, celui des bénévoles, associations et personnes ressources.
(2) Porté par le laboratoire d’excellence Intelligences des mondes urbains (LABEX IMU) de l’Université de Lyon, en particulier les laboratoires CITI, EVS et LMFA.


Soutien à la mobilisation à l’école Michel-Servet
L’association L’Air des Lyonnaises et des Lyonnais est centrée sur un « pôle information ». Elle ne se donne pas pour objectif de porter des mobilisations spécifiques sur le terrain, mais nourrit la mobilisation par ses analyses. Elle soutient notamment la mobilisation autour de l’école primaire Michel-Servet, portée par un collectif de parents d’élèves. L’école, située tout près de la sortie du tunnel de la Croix-Rousse, est située dans une « rue canyon » d’où la pollution a du mal à se disperser car, contrairement à la majorité de l’agglomération lyonnaise, elle ne bénéficie pas des vents dominants venus du nord ou du sud. La proximité des axes de grande circulation, dont le tunnel de la Croix-Rousse, amène une grande quantité de polluants typiques du trafic routier : les particules fines PM10 et les oxydes d’azote. Alors que des mesures effectuées dans la cours de l’école depuis 2009 confirment des taux de dioxyde d’azote trop élevés, la ville n’y apporte pas de réponse satisfaisante. Cela a poussé un collectif de parents à médiatiser cette situation afin de pousser les autorités à intervenir. La première manifestation d’envergure, le 13 février 2014, a rassemblé plus de 300 personnes. Elle a été suivie d’autres actions en 2016, 2018 et 2019, les taux de dioxyde d’azote continuant de progresser. L’association, comme le collectif de parents d’élèves, demande à la ville et à la métropole de travailler sur les plans de circulation, de réduire le nombre de voies circulables en voiture et de baisser le débit du tunnel routier. Pour l’instant, l’idée de fermer l’école est vue comme un aveu d’impuissance difficilement acceptable, et le combat continue !

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