Selon la réglementation thermique RT2020, toutes les nouvelles constructions devront être des Bepos à partir de fin 2020. Elles devront produire plus d’énergie qu’elles n’en consomment pour leur fonctionnement. Le dispositif est censé permettre une meilleure gestion énergétique, dans le cadre de la lutte contre le changement climatique. En théorie, cela doit également garantir un coût des charges plus faible pour les résident·es. Mais qu’en est-il de la pratique ?
La technologie au cœur des Bepos
A Lyon, dans le pseudo-écoquartier de la Confluence (voir notre dossier « Les limites des écoquartiers », Silence n°416, octobre 2013), l’ensemble Hikari, achevé en 2015, se présentait alors comme la réalisation la plus avancée d’Europe.
Cet ensemble d’immeubles comprend 12 800 m², répartis en 7 500 m2 de bureaux, 4 000 m2 de logements, 1 000 m2 de commerces et un parking de 88 places. L’idée de l’architecte, le Japonais Kongo Kuma, était de jouer sur le décalage des consommations énergétiques entre les divers usages pour éviter les pointes de consommation. L’ensemble de la construction est truffé de capteurs qui doivent permettre à un ordinateur de détecter la présence des personnes et de gérer la consommation énergétique en conséquence (éclairage, chauffage, etc...). La façade sud est faite de balcons dont les rambardes sont couvertes de photopiles. Les vitrages en comprennent également (3000 m2 en tout). Une chaudière à cogénération fonctionnant à l’aide d’huile de colza doit assurer à la fois une production de chaleur et d’électricité. Des batteries permettent en principe de stocker l’électricité en surplus et de la réinjecter lorsque la demande dépasse la production. La construction des bâtiments a été confiée à Bouygues qui annonçait alors que les « nouvelles technologies » provoquaient un surenchérissement de 8 % pour un budget total de 30 millions d’euros.
Des résultats décevants
Cinq ans après, il ressort que les entreprises présentes ont une consommation électrique de 30 à 200 % supérieure à ce qui avait été prévu. Cela a complètement déréglé le mode de régulation électrique. Le stockage sur batterie a déjà rendu l’âme, faisant perdre du rendement aux photopiles. L’huile de colza n’a pas donné de bons résultats : la chaudière utilise maintenant du gaz naturel et son rendement a chuté de 70 % à 30 %. Le pilotage par ordinateur ne fonctionne pas correctement, de nombreux gadgets électroniques importés du Japon sont hors d’usage. Ils ne sont ni réparables sur place, ni remplaçables car leur production a été arrêtée. Les charges pour les résidents se sont envolées. Or le syndic des copropriétaires (qui gère seulement 4000 m2) est minoritaire au sein de l’Association syndicale libre (ASL) qui gère l’ensemble, face à la société qui gère les bureaux et les gestionnaires des commerces. Ils ont donc peu de poids dans les prises de décision. Finalement, ASL a décidé d’assigner Bouygues et ses partenaires en justice pour non atteinte du niveau Bepos.
Privilégier les bâtiments passifs
Dans la construction actuelle, il existe deux tendances. La première, dite « active », mise sur la domotique (gestion d’un bâtiment par l’électronique). C’est le cas pour Hikari. L’autre, dite « passive », consiste à faire en sorte que le bâtiment soit lui-même économe sans avoir à gérer les usages. Cela passe notamment par une meilleure isolation ou le chauffage par les apports solaires. À l’usage cette seconde méthode (low tech) n’entraîne pas de nouveaux coûts, alors que la première, qui excite sans doute plus les ingénieur·es (high tech), est souvent source de dérapage du fait des pannes qu’entraîne la fragilité des appareils.
Pourtant, c’est bien les Bepos que le gouvernement encourage, dans la poursuite d’un idéal où les technologies seraient l’avenir de notre société, et de la transition écologique. De plus en plus de villes françaises, soutenues par l’État, se lancent ainsi dans des démarches de « ville intelligente », s’équipant d’une armada de capteurs et de dispositifs de surveillance. Du pain béni pour de nombreuses entreprises, comme Bouygues, à qui les collectivités font appel. Cette obsession du contrôle, poussée à l’extrême, remet en cause nos libertés individuelles.
La labellisation des bâtiments passifs
Le label PassivHaus est une norme européenne, qui garantit la qualité d’un bâtiment passif. En France, c’est l’association Maison Passive qui est en charge de la labellisation. Pour l’obtenir, une construction doit répondre à 4 critères : « un besoin de chauffage inférieur à15 kWh par m² de surface de référence énergétique et par an » ; « une consommation totale en énergie primaire tous usages, électroménager inclus) inférieure à 120 kWh par m² de surface de référence énergétique par an » ; « une perméabilité à l’air de l’enveloppe mesurée sous 50 Pascals de différence de pression inférieure ou égale à 0,6 par heure » ; « une fréquence de surchauffe intérieure (> à 25°C) inférieure à 10 % des heures de l’année ». Afin d’atteindre ces objectifs, les bâtiments peuvent jouer entre autres sur l’isolation, la circulation de l’air, la récupération de la chaleur sortante ou encore l’orientation par rapport au soleil.
Michel Bernard et Manon Salé