Dossier Féminismes

Cette écologie anti-LGBT+

Guillaume Gamblin

La complémentarité d’une approche écolo avec les approches queer ou LGBT+ est loin de faire l’unanimité dans le champ de l’écologie. Quels sont les arguments des groupes qui s’y opposent ?

Dans un éditorial de la revue L’Écologiste, Thierry Jaccaud estime que l’union homosexuelle « serait une négation sidérante de la nature, l’aboutissement consternant de notre société industrielle qui détruit la nature non seulement dans la réalité mais aussi dans les esprits » (1). Cette position n’est pas isolée. Un certain nombre d’acteurs de l’écologie, de la décroissance et de la technocritique voient les démarches d’affirmation queer et LGBT+ comme une menace.

La question des limites

Une idée fondatrice de l’écologie anti-LGBT est que le dépassement des normes hétérosexuelles serait du même ordre que le dépassement des limites physiques de la planète que dénonce la décroissance, voire dans sa continuité. Nous serions en plein dans la logique de l’illimitation qui détruit la planète, en nous donnant l’illusion que nous pouvons assouvir tous nos désirs. La transsexualité, en particulier, relèverait du même ordre de déni de la réalité naturelle, biologique et psychique que la ruée vers l’espace ou encore le transhumanisme, qui cherche à dépasser les limites de la mort par la technologie pour quelques hyper-riches (2).
Or, cette approche fait mine de ne pas voir qu’il existe une différence de nature entre différents types de limites. Certaines sont des limites physiques (il y a tant de quantités de pétrole sous terre, et il en faut tant pour réchauffer l’atmosphère) tandis que d’autres sont culturelles (deux femmes ou deux hommes en couple ne peuvent pas élever un enfant, une personne née avec un vagin ne peut pas endosser un rôle social masculin). Si le dépassement des limites physiques de la planète entraîne bel et bien le chaos écologique, celui des normes sociales et culturelles n’a pas le même type de conséquences, et il est en constante évolution.
Cependant, il existe une réelle tension possible entre aspirations à recourir à des technologies dans une visée émancipatrice et aspiration écologiste à la sobriété technologique.

La figure du père, ultime rempart contre la barbarie ?

« La différence des sexes ne serait plus un invariant de notre commune humanité, mais au contraire le seul fruit d’un choix personnel », s’inquiète Alexandre Penasse sur le site de la revue décroissante belge Kaïros (3). Ce qui conduirait à « la destruction de la cellule familiale et [à] la négation de la place du père ». Ce discours, qui s’inspire fortement de Freud, considère le père comme le poseur des limites qui structurent l’enfant et lui permettent de devenir un être social, capable de prendre en compte l’altérité. L’effacement du père serait donc la ruse ultime de l’idéologie capitaliste et technoscientifique pour faire s’effondrer le sens des limites chez les enfants afin d’en faire des consommateurs serviles à vie. Elle ruinerait les fondements symboliques de la société.
Selon le collectif technocritique Pièces et Main-d’œuvre (PMO), les queer précipitent « la fin de la famille » traditionnelle, composée d’un père et d’une mère, qui est idéalisée comme synonyme de décroissance avec « sa morale économe et son économie restrictive » — alors que les queers seraient de véritables hérauts de la croissance et de la consommation (4).
Cette insistance sur le rôle structurant du père se situe à l’opposé de la critique féministe du patriarcat, système d’oppression fondé sur la figure patriarcale, celle du père donc, et plus généralement des hommes assis socialement en position de domination. Un féminisme qui pointe justement la famille comme l’une des structures de base du patriarcat et comme un lieu privilégié des violences sexistes et sexuelles dans la société.

Dépasser les dualismes plutôt que les naturaliser

Aux yeux d’Alexandre Penasse, « l’esprit humain est fondé sur la différence sexuée », et introduire un rapport plus complexe et plus dynamique à cette différence des sexes revient donc à se priver des catégories fondamentales qui permettent de penser le réel. Ce discours rejoint la vision chrétienne de l’écologie intégrale définie par la création de l’homme et de la femme « à la ressemblance de Dieu » (5).
Le mensuel La Décroissance déplore également la disparition des grandes divisions sans lesquelles « c’en est fini du monde, de la condition humaine : soi/l’autre, masculin/féminin, humain/animal, humain/machine, adulte/enfant, positif/négatif, beau/laid, bien/mal, je/nous », etc. (6).
À l’inverse, la pensée écoféministe (7), en lien avec les sciences humaines, remet en cause des dualismes qui ordonnent la plupart de nos sociétés patriarcales, où les hommes sont valorisés au détriment de la nature, des femmes, des personnes non-blanches, du corps, des émotions, etc. Pour l’écoféminisme, il s’agit de remettre en question ces dualismes pour aller vers l’égalité, plutôt que de les sacraliser comme naturels et intangibles.

Haro sur les trans !

Le dossier d’été 2019 du journal La Décroissance, intitulé « Contre la grande confusion », entretient pourtant une confusion volontaire entre personnes trans et courant transhumaniste. Il n’a en effet de cesse d’assimiler transgenres et transhumanisme, comme si le préfixe commun ’trans’ y suffisait. « Ce mouvement transidentariste est essentiellement constitué par différents groupes de pression, de nombreuses petites sectes et autres groupuscules cyberactifs que sont les transgenres, transsexuels, transbiomorphistes et transhumanistes » peut-on y lire par exemple.
Comme le relève un article critique du média en ligne rebellyon.info, La Décroissance pointe du doigt les opérations de changement de sexe comme étant des porte-flambeaux avancés du mouvement transhumaniste, mais il fait exprès d’ « oublier’ que la majorité des intervention hormonales, chirurgicales ou médicales sont pratiquées pour justement correspondre au genre assigné à la naissance. Pour tout ce qui est de revenir à la norme, curieusement, zéro accusation de ’transhumanisme’ » (8).
Par ailleurs, en s’en prenant avec virulence aux personnes trans, La Décroissance « a choisi comme cheval de bataille une minorité qui subit déjà une oppression systémique ». En France, être trans, c’est encore trop souvent être jeté·e à la rue très jeune, vivre dans la peur d’être agressé·e au quotidien pour ce que l’on est, être acculé·e à la prostitution, etc. À l’inverse, « les délires transhumanistes sont ceux de types blancs en situation de surpouvoir », souligne Maya, habitante d’un collectif rural féministe « gouines-trans-pédés ». (Voir reportage page...)

LGBT+ et féministes, un même rejet

Le collectif Pièces et Main-d’œuvre (PMO) a publié un pamphlet contre le mouvement queer et tout ce qui vise à la remise en question des normes traditionnelles de genre (voir note 4). Il associe son rejet de toute diversité de genre avec un antiféminisme décomplexé. Pour lui, le danger viendrait des « suprématistes gays et lesbiennes » qui veulent « imposer l’homonormalité », mais aussi du fait que « les femmes prennent désormais le maître-rôle, le pouvoir », ce qui fait que « du point de vue féministe, aujourd’hui, naître homme, c’est naître coupable, s’en mortifier sans cesse ». La peur du péril LGBT+ est associée à celle du péril féministe, qui remettent tous deux en cause le rôle traditionnel et dominant des « mâles » et des pères (9).

Un « ordre naturel » très culturel

PMO oppose à ce trouble dévastateur un « idéal de constance, de cohérence et de consistance », un monde qui s’ordonne selon une « binarité culturelle » basée sur « nos idées spontanées du beau et de l’harmonieux, de ’l’ordre naturel ». Un ordre social qui donnerait par exemple à l’homme et à la femme un rôle déterminé et inamovible, se complétant l’un·e et l’autre par des comportements et des rôles sociaux bien établis et dérivés de l’ordre naturel des choses.
« Cette écologie naturaliste opposera systématiquement à ’la technique’ (...) une certaine ’nature humaine’, elle-même figée, non dynamique », estime le philosophe Benoît Bohy Bunel (10). Elle ne voit pas qu’elle est elle-même construite socialement et historiquement".

L’alliance de postures anti-LGBT, antiféministe et masculiniste au sein de certaines tendances de l’écologie n’est pas une fatalité. Dans une perspective intersectionnelle, il est possible et désirable d’inventer les chemins vers une écologie et une décroissance qui soient en même temps féministes, antipatriarcales et queers.

GG

(1) L’Écologiste, janvier 2013, éditorial
(2) On notera que les personnes transsexuelles, qui luttent depuis des décennies pour ne plus être considérées comme des malades mentaux, sont re-psychiatrisées par ce discours qui les qualifie de personnes étant dans le « délire » et le déni du réel.
(3) Alexandre Penasse, « La différentiation sexuelle comme fondement », www.kairospresse.be, 28 février 2020.
(4) Voir « Ceci n’est pas une femme (à propos des tordus ’queer’) », octobre 2014, www.piecesetmaindoeuvre.com.
(5) Elle est portée notamment par la revue d’extrême droite Limite. Certains courants minoritaires essaient de dépasser cette vision. Lire Stéphane Lavignotte, Au-delà du lesbien et du mâle — la subversion des identités dans la théologie queer d’Elisabeth Stuart, Van Dieren, 2008.
(6) La Décroissance no 161, juillet-août 2019, p. 9
(7) Voir Jeanne Burgart Goutal, Être écoféministe, L’échappée, 2020.
(8) « La Décroissance, ce journal que nous n’achèterons pas », https://rebellyon.info, 27 juillet 2019
(9) Voir « Le coming out masculiniste de Pièces et Main-d’œuvre — de la critique de la technologie à la réaffirmation de l’ordre patriarcal », sur le site stop-masculinisme.org.
(10) Benoît Bohy Bunel, philosophe, se situe dans la perspective d’une révolution communiste. Voir « Une ’écologie’ naturaliste, tendanciellement patriarcale, homophobe et transphobe », 2 février 2018, et « L’anticapitalisme tronqué, sexiste et transphobe, et sa présence au sein d’une certaine ’écologie’ naturaliste », 6 juillet 2019, http://benoitbohybunel.over-blog.com.

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