Dossier Alternatives

Une bière artisanale, ça se cultive !

Martha Gilson

Si le houblon est la plante la plus spontanément associée à la fabrication de la bière, l’orge maltée en constitue l’ingrédient principal. Avec la multiplication des brasseries artisanales, la demande d’orge maltée et de houblon a explosé, et ces cultures réapparaissent dans les campagnes françaises.

La composition de la bière est simple : 90 % d’eau, de l’orge transformé en malt, du houblon et des levures – même si d’autres céréales, comme le riz ou le sarrasin sont aujourd’hui parfois brassées. La bière artisanale ne peut se faire sans les paysan·nes, et en parallèle du renouveau des brasseries, la culture de l’orge et du houblon connaît un nouvel essor en France depuis quelques années. « Les néo-houblonnières s’implantent sur tout le territoire afin d’approvisionner des brasseries locales. Plusieurs malteries régionales ont également été créées. Les malts et les houblons produits par ces petites structures sont essentiellement biologiques, afin de répondre à une particularité du monde brassicole français : 16 % des brasseries sont certifiées biologiques sur l’ensemble de leur gamme » (1).

La malterie : le trait d’union entre la paysannerie et la brasserie

Principalement produite pour le monde brassicole, l’orge a besoin d’être maltée pour être brassée. La malterie est principalement le fait de quatre grands industriels ; hégémoniques dans le secteur en France : Soufflet Malterie, Malteurop, Cargill et Boortmalt. En 2018 et 2019, 1,7 million de tonnes d’orges de brasserie ont été transformées en 1,4 million de tonnes de malt, dont près de 80 % sont destinées à l’exportation (3). Face à ces géants, quelques malteries artisanales se sont montées ces dernières années pour relocaliser la filière brassicole, maltant des céréales locales, à destination des brasseries de la région. C’est le cas de Première Moisson, en Charente-Maritime, et de la Malterie des Volcans, en Auvergne, que nous sommes allées visiter.
« Quand on s’est installés, on était la quatrième malterie artisanale de France. Maintenant, on doit être six ou sept. Les brasseurs achètent actuellement, à 90 %, leur malt en Belgique ou en Allemagne », nous rappelle Lucile Comptour, qui a lancé la Malterie des Volcans en décembre 2017. « Ils n’avaient pas le choix, mais c’était pas dans leur idéal ». Ni agriculteur, ni brasseur, le malteur est celui qui fait le lien entre la céréale et la brasserie. « Moi, j’avais cette connaissance du maltage. C’est venu des chevaux, qu’on nourrissait à partir d’orge germée, ce qui est la base du maltage. Un jour, mon père m’a dit : pourquoi tu n’essaies pas de malter, tu n’en es pas loin ! » L’idée a germé et, pour répondre à la demande des agricult·rices comme des brasseu·ses auvergnates, Lucile s’est lancée, rejointe en 2019 par son compagnon Alexandre. « On ne cultive pas l’orge, on l’achète auprès des agriculteurs et en coopérative. On a des contrats avec eux pour l’orge brassicole, mais on en a aussi pour le blé, le seigle, le sarrasin, l’avoine et le millet. Tout ça, on le malte. Notre production est destinée à 90 % au monde brassicole, le reste sert à la distillerie et la boulangerie. On travaille entre 80 et 90 % en bio. »
Le hangar de Lucile et Alexandre, quelques centaines de mètres carrés, n’est pas très grand, et l’activité fonctionne à flux tendu. Cela permet aux brasseries de la région de s’approvisionner toute l’année. « En 2016, avant de m’installer, j’ai fait une étude de marché. En Auvergne, il y avait une trentaine de brasseries. Aujourd’hui, il y en autour de 65, c’est exponentiel ! La malterie est le trait d’union entre l’agriculteur et le brasseur. Le brasseur ne connaît pas forcément l’agriculteur, mais le malteur peut dire d’où vient l’orge. Les agriculteurs sont aussi contents et demandent vers quelle brasserie est allée leur orge. Ça permet de faire du lien entre deux professions qui ne se rencontraient pas beaucoup. »
L’Auvergne n’est pas a priori un bassin de production d’orge brassicole. L’installation de la malterie a redynamisé cette agriculture « mais ça reste une petite culture pour la région, précise Lucile. L’orge brassicole regagne un peu de terrain ». Si sa culture ne présente pas de difficultés, il n’en est pas de même pour le houblon, qui peine un peu à s’implanter.

L’or du brasseur

Surnom donné à la lupuline — poudre jaune sécrétée par les fleurs femelles du houblon —, l’or du brasseur donne sa saveur à la bière et lui garantit une meilleure conservation. Comme pour toutes les activités brassicoles, la production de houblon a atteint son apogée en France au début du 20e siècle avec 4 500 ha. Aujourd’hui, ce ne sont plus que 500 ha répartis entre 60 houblonnières, implantées principalement en Alsace et un peu plus sporadiquement dans le Nord. La production est bien insuffisante face à la demande des brasseries, qui doivent se tourner vers de plus grosses houblonnières, situées principalement en Allemagne, aux États-Unis et en Nouvelle-Zélande. Pourtant, « si le marché des bières artisanales représente 2 à 3 % du marché mondial de la bière, il absorbe 15 % de la production de houblon. Les bières artisanales sont plus gourmandes en houblon que les bières industrielles », selon Houblons de France.
Mais il n’est pas facile de se lancer dans la culture du houblon ! La plante est fragile, craint l’humidité et n’atteint son plein rendement qu’au bout de trois ans. « C’est plus compliqué financièrement de monter une houblonnière que de monter une brasserie » convient Daniel Thiriez, brasseur. De même, peu de houblonnières sont labellisées bio, encore moins Nature & Progrès, et la conversion prend du temps. Cette temporalité rend la culture risquée, d’autant que les modes et les goûts peuvent vite changer. « Il existe entre 200 et 300 variétés de houblon ; pas facile de savoir laquelle cultiver ! Actuellement, beaucoup de brasseries sont à la recherche de houblons aromatiques mais c’est un effet de mode. Est-ce que cela va durer ? », s’interroge Garlonn, animatrice brassicole. Autre frein à l’installation : son prix. La culture du houblon nécessite de gros investissements, « au moins 100 000 euros pour de petits projets de quelques hectares », nous explique Xavier Peyrard, qui s’est lancé en 2020 et a créé, avec Marie Langlais, Houblon bio Diois.
Malgré ces difficultés, des houblonnières se lancent dans toute la France et travaillent sur les différentes variétés, en collaboration avec les brasseries, créant des aromatiques nouveaux. Au sein de la Ferme des Clos, projet d’agriculture collective de Bonnelles (Yvelines), Johann a monté une houblonnière, la Houf, sur 2 ha, et approvisionne directement, en circuit court, les brasseurs artisanaux de la région Île-de-France, où cette culture était abandonnée depuis presque un siècle. Il cultive des houblons aromatiques et possède la mention Nature & Progrès.
Afin de soutenir la relocalisation et la valorisation de la production de houblon, Houblons de France s’est créé en 2015, au départ pour aider les artisans brasseurs à se procurer du houblon bio. L’association a commencé par faire une enquête auprès des brasseries pour connaître leurs besoins, notamment sur les différents types de houblons. Aujourd’hui, elle accompagne les installations de houblonnières, propose des formations et promeut cette culture particulière et fragile. « Ce qui nous porte, c’est le soutien des brasseurs, leur enthousiasme », nous confie Xavier, lui aussi passionné par l’univers brassicole.

De la terre à la bière, c’est toute une filière qui est en train de se restructurer et de valoriser une approche locale et humaine de l’agriculture à l’artisanat.

Martha Gilson

(1) Emmanuel Gillard, La bière en France, Projet Amertume, 2020

(2) Source : www.passioncereales.fr

Malterie des Volcans
ZAC des Coustilles
63340 Saint-Germain-Lembron
tél. : 06 80 18 50 22
www.la-malterie-des-volcans.fr

Houblons de France

contact@houblonsdefrance.fr
www.houblonsdefrance.fr

Le très bon dossier de L’Age de Faire, no 123, septembre 2017, « Auprès de ma bière », présentait la malterie Malteurs Échos, en Ardèche qui, depuis, a fermé ses portes.

Des paysans-brasseurs au milieu des vignobles

En arpentant les collines du Beaujolais, recouvertes de vignobles, vous tomberez peut-être sur quelques champs d’orge et, si vous vous approchez de Denicé, vous vous arrêterez sûrement à L’Affoleuse, brasserie tenue par Christine et Loïc. Lancée en 2009 par le couple en reconversion, l’envie a été dès le départ d’avoir un lien fort avec la terre et de faire un produit avec des matières de qualité. L’Affoleuse a demandé son affiliation à Nature & Progrès et ce travail sur le lien à la terre les a amenés à aller plus loin… donc à cultiver leur propre orge.
Pas facile sur ces terres vigneronnes ! « Il fallait qu’on montre patte blanche, il a fallu du temps pour que ce projet loufoque soit accepté au milieu des vignes, nous explique Christine. Ce n’était pas vraiment la question de la concurrence car le vin est un peu en déclin. Pas mal de vignes étaient abandonnées, il a donc fallu retrouver les propriétaires, les convaincre du projet… »
À partir de 2014, petit à petit, le couple récupère des morceaux de terrain et commence à cultiver l’orge. Finalement, la démarche prend et les terrains s’accumulent. L’Affoleuse est autonome dans sa production d’orge depuis quatre ans. « On a 18 ha de terrain. On cultive six hectares en orge par an et le reste en engrais verts. On fait des rotations sur trois ans. » Le maltage est une activité spécifique qui demande à être externalisée. « Quand on a commencé, il n’existait pas de malterie artisanale. On a travaillé un temps avec Malteur Échos, qui a fermé. Aujourd’hui, on se regroupe à trois paysans-brasseurs et on fait malter l’orge en Allemagne. L’avantage, c’est qu’on peut envoyer 40 tonnes en une fois, cela minimise les trajets. »
« On ne produit que l’orge, pas le houblon, précise Christine. C’est une culture difficile et puis, pour 1000 litres de bière, on utilise 400 kg d’orge et un kilo de houblon. On se fournit actuellement dans une coopérative en Alsace. Le marché est tendu car il y a de plus en plus de demande. Mais les petites houblonnières sont en train de se développer et bientôt, on pourra se servir plus localement », se réjouit-elle.
La ferme-brasserie, qui a su se faire une place en Beaujolais, distribue sa bière uniquement en région, en vente directe ou par des réseaux de producteurs engagés (comme Grap ou Croq’éthic). « On est une brasserie engagée car tous nos choix ont un sens. Il y a un côté politique dans tous ces choix là. »
L’Affoleuse
3 impasse de Montromand
69640 Denicé
tél. : 06 43 85 04 48
https://laffoleuse.net

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