Article Société

La Maison des Lanceurs d’Alerte, un acteur essentiel pour la démocratie

Glen Millot

C’était encore un rêve il y a 5 ans, c’est devenu une réalité. La Maison des Lanceurs d’Alerte accompagne, soutient, forme les lanceu·ses d’alerte et réalise un travail politique pour faire valoir leur action et consolider leurs droits.

Dans le numéro 431 de février 2015 de Silence, nous annoncions que Sciences Citoyennes et Transparency France espéraient « réunir l’ensemble des acteurs soucieux des lanceurs d’alerte afin de réfléchir ensemble à la préfiguration d’une ‘maison des lanceurs d’alerte’ ». Un projet très ambitieux étant donnée la diversité des cultures politiques des organisations rassemblées.

Une construction collective

Les acteurs rassemblés de 2015 à 2016 sur le plaidoyer pour obtenir une loi globale sur l’alerte ont formé un comité de pilotage en 2017 dans le but de créer cette structure essentielle. L’idée d’avoir un projet porté par l’ensemble des partenaires nous a contraint·es de partir d’une page vierge, sans présupposé. Du périmètre des missions à la gouvernance en passant par les modalités de financement, tout était sur la table. Ce comité est cependant parvenu à créer l’association Maison des Lanceurs d’Alerte (MLA), en octobre 2018, autour de 17 organisations fondatrices (1) et de quatre missions principales : l’accompagnement juridique, technique, psychologique, médiatique, financier et social des lanceu·ses d’alerte et le suivi de leurs alertes ; des activités de plaidoyer pour renforcer leurs droits ; la formation de l’ensemble des acteurs concernés par le thème de l’alerte, journalistes y compris ; ainsi que des activités de recherche pour continuer d’être proactifs et proactives sur les questions liées à l’alerte.

Accompagner les lanceu·ses d’alerte

Comme pressenti, la demande de soutien a immédiatement occupé l’essentiel des forces de l’association. Ainsi, au 1er juillet 2020, plus de 200 demandes de soutien ont été reçues — en moyenne 12 nouvelles demandes chaque mois de juillet 2019 à juillet 2020. 111 lanceu·ses d’alerte sont encore en cours d’accompagnement. Notons qu’un tiers des alertes ne concernent pas le cadre du travail, ce qui démontre l’importance d’avoir obtenu que la loi Sapin II (2) soit ouverte à tout type d’alertes, une innovation au niveau international.
Ce faisant, il s’agissait dans le même temps de structurer la MLA, de sécuriser son infrastructure numérique, de définir ses procédures internes de traitement des demandes reçues garantissant leur confidentialité — car seules 29 % des alertes reçues sont publiques —, de mettre en place les différents types d’aide proposées, de peaufiner son organisation interne et d’assurer sa pérennité tout en maintenant son indépendance. La priorité restant le traitement des signalements reçus, sa capacité à octroyer la qualification de lanceur ou lanceuse d’alerte a été reconnue par le Conseil des Prud’hommes de Lyon dans le cas de l’affaire Denis Breteau licencié par la SNCF (3).
Cela dit, il ne lui est pas toujours possible de répondre de façon satisfaisante à toutes les demandes. D’une part, compte tenu de leur nombre, les délais d’étude des dossiers peuvent être longs. D’autre part, les personnes la contactant ne disposent pas toujours de preuves suffisamment solides pour permettre une qualification juridique de l’affaire qu’elles portent.

Consolider les droits des lanceu·ses d’alerte

L’activité de plaidoyer a également occupé une large part de l’activité de la MLA (4), puisque suite au vote de la directive européenne sur l’alerte, il s’agit de s’assurer que sa transposition dans le droit national ne mette pas en péril l’acquis et permette d’améliorer la situation encore très précaire des lanceu·ses d’alerte. L’ouverture aux personnes morales et la sanction des « étouffeurs d’alerte » feront l’objet d’une attention particulière, car actuellement le ou la lanceuse d’alerte ne bénéficie toujours d’une protection qu’a posteriori. Il ou elle continue d’être soumis à un véritable parcours du combattant très éprouvant pour son moral et ses finances, les procédures prenant souvent plusieurs années. Dans Silence de février 2015, nous exigions déjà que « le dissimulateur d’alerte soit sanctionné plus systématiquement pour que la peur change de camp ». Si la situation des lanceu·ses d’alerte s’est améliorée sur le papier, cette exigence s’avère toujours aussi cruciale.

Un outil de plaidoyer

Au niveau institutionnel, la MLA a immédiatement été repérée comme un acteur essentiel. (5) Nous avons par exemple largement contribué à la dernière recommandation du Conseil de l’Europe qui regroupe les propositions les plus avancées actuellement. Le plaidoyer de la MLA s’organise en coordination avec de nombreux partenaires en France et à l’international. Outre son adhésion au réseau international WIN (6) qui regroupe des organisations de soutien aux lanceu·ses d’alerte, elle s’est impliquée dans les coalitions européennes et françaises dans le cadre des débats sur la directive et sa transcription. Elle sera d’ailleurs en charge pour la France de la coordination du baromètre suivant la transposition de la directive (7).
Elle intervient aussi sur des dossiers emblématiques comme la COVID-19, les violences policières ou les procès-bâillon. Plus récemment, en partenariat avec The Signals Network, dans le cadre de l’affaire Haemonetics, un scandale autour de machines de collecte de plasma et de plaquettes, elle a lancé un appel à témoignages (8) dans le but de déposer plainte notamment pour « mise en danger de la vie d’autrui ».

Encore des blocages à dépasser

Le 7 novembre 2020 à Paris lors de son Assemblée générale, la MLA présentera donc un bilan foisonnant, mais aussi de futurs chantiers à développer. Par exemple, parmi ses missions, compte tenu d’une équipe de taille encore modeste (2,5 équivalents temps plein), il reste à pérenniser l’activité de soutien psychologique et à développer l’accompagnement social et financier. En effet, la création de fonds de soutien aux lanceu·ses d’alerte que nous avons tenté de faire entrer dans la loi s’est heurté au blocage du Conseil constitutionnel et à une relative tiédeur des législateurs européens, freinés par les États membres.

Glen Millot
Sciences Citoyennes et Maison des Lanceurs d’Alerte
20 juillet 2020

Maison des Lanceurs d’Alerte, https://mlalerte.org.
Sciences citoyennes, 38 rue Saint-Sabin, 75011 Paris, tél. : 01 43 14 73 62, https://sciencescitoyennes.org.

(1) 13 associations et 4 syndicats : Anticor, Attac, Bloom, CFDT Cadres, Criigen, Gisti, Greenpeace France, Nothing2Hide, Pacte civique, PPLAAF, RES, Sciences Citoyennes, Sherpa, Solidaires, SNJ, Transparency International France, Ugict CGT.
(2) La loi dite Sapin II promulguée en décembre 2016 constitue le principal socle législatif sur l’alerte.
(3) Pour avoir dénoncé une passation de marchés potentiellement truquée entre la SNCF et IBM. Voir la légende de photo.
(4) Voir la page « Communiqués » du site https://mlalerte.org.
(5) Elle a ainsi été contactée ou auditionnée par l’ensemble des organismes ou institutions travaillant sur l’alerte : Défenseur des droits, Commission Blandin sur les alertes en santé et environnement (cnDAspe), Conseil de l’Europe, Commission nationale consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), etc.
(6) Whisteblowing international network, https://whistleblowingnetwork.org.
(7) Voir le « Compteur en ligne pour suivre la transposition de la directive sur la protection des lanceurs d’alerte dans toute l’Europe » sur le site https://mlalerte.org.
(8) Voir « Affaire Haemonetics : appel aux donneurs et aux receveurs de plasma et de plaquettes » sur le site https://mlalerte.org.

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