Dans un contexte d’appauvrissement de la flore et de désert ou d’uniformisation agricole, des espaces urbains fleuris toute l’année et peu contaminés par les pesticides représentent, pour des apicult·rices, une abondante source de nourriture pour leurs colonies d’abeilles. Qu’en est-il de l’impact sur les insectes sauvages déjà présents ? Qui sont les espèces véritablement en danger ?
À qui profite la ruche ?
On présente l’introduction d’abeilles domestiques comme un geste environnemental, favorisant la biodiversité. Pourtant, les végétaux présents en ville n’ont vraisemblablement pas de problèmes pour se reproduire : il n’existe pas, en milieu urbain, d’espèce rare ou en danger dont la survie dépende des pollinisateurs. Il semble que la flore sauvage n’ait pas besoin de telles introductions pour se reproduire. Ce sont plus vraisemblablement les abeilles sauvages et autres insectes pollinisateurs qui y ont contribué jusqu’à maintenant.
L’installation de ruchers en ville semble donc plus profiter à des opérations de communication qu’à la biodiversité, et ces pratiques de greenwashing ne rendront pas les entreprises plus écolos…
Une concurrence pour les variétés locales
L’abeille domestique se concentrant sur une gamme limitée de végétaux (les plus productifs), son travail de butinage est moins intéressant que celui des autres espèces. Et, avec un rayon d’action plus étendu (3 km) que celui des abeilles sauvages (de 100 à 300 m), elle constitue une concurrence dans l’accès à la nourriture : les populations de pollinisateurs sauvages (autres espèces d’abeilles comme les bourdons, papillons, etc.) diminuent systématiquement en présence d’Apis mellifera. Elles augmentent au contraire dès que l’on enlève les colonies. Introduire des ruches, et donc augmenter le nombre d’abeilles, va à l’encontre de la sauvegarde de la biodiversité, puisque ces abeilles importées et/ou sélectionnées concurrencent fortement les écotypes d’Apis mellifera mellifera, les abeilles noires de l’ouest-européen, propres à chaque terroir. Cela introduit en outre des gênes exotiques dans les dernières colonies et, bien sûr, cela pénalise directement les autres insectes pollinisateurs qui, eux, sont en danger et véritablement utiles au processus de pollinisation. Installer des ruches en ville permet de produire du miel, pas de sauver les abeilles !
En bref : si vous voulez vraiment faire un geste, réduisez la fréquence de vos tontes, acceptez trèfles et pissenlits dans vos pelouses, et lierre grimpant sur vos arbres et murs, plantez des haies champêtres, à la campagne comme en ville, favorisez plutôt des végétaux mellifères (lavande, romarin, bourrache) et diversifiés pour produire une nourriture abondante et disponible toute l’année, et n’utilisez pas de produits chimiques. De ce point de vue, le plan « zéro phyto » des villes est d’ailleurs bien plus efficace que l’introduction de ruches qui, elles, réduisent les ressources alimentaires des pollinisateurs sauvages. Installer des ruches en ville est une fausse réponse aux problèmes de notre environnement.
Anaïs Zarkaoui
Pour aller plus loin :
Guillaume Lemoine, « Faut-il favoriser l’abeille domestique en ville et dans les écosystèmes naturels ? », Abeille de France, no 1016, septembre 2014