La coopérative porte un nom trompeur, car c’est un immeuble aux pratiques horizontales que nous avons découvert en cette fin 2019, alors qu’Olivier et Jérémie, deux habitants actuels, nous on fait découvrir leur lieu d’habitation. Si aucun des deux n’a participé à sa construction, ils reviennent avec enthousiasme sur les origines du projet villeurbannais (Rhône).
Un projet novateur
Ce projet a vu le jour fin 2005. Des inspirat·rices de celui-ci, il ne reste que quelques intrépides qui sont parvenus à tenir bon face aux délais entre l’idée d’origine et la mise en œuvre finale. "Pour qu’un projet soit viable, il faut qu’il n’y ait si possible pas plus de 5/6 ans entre l’élaboration des premières idées et l’édification du lieu d’habitat" précise Olivier, , car au-delà le découragement risque fort de mettre à mal le projet. La fédération Habicoop a rapidement rencontré le groupe porteur du projet du Village Vertical et a fait en sorte qu’il soit leur initiative pilote dès 2006. Cela a permis aux "villageoi·ses" de bénéficier de fonds européens. Le groupe et la fédération élaborent ensemble l’ossature juridique et financière du Village ainsi que sa charte. L’immeuble comprenant deux parties, le numéro 1 (24 appartements en location classique) et le numéro 3 (où est implantée la coopérative), a été la première construction de la ZAC de ce quartier.
L’initiative a permis de défricher le terrain notamment vis à vis des banques et de la juridiction. Leur exemple a également permis de faire reconnaître les coopératives d’habitat et l’habitat non spéculatif dans la loi ALUR en février 2014.
La fédération Habicoop
Habicoop est une fédération qui a vu le jour en 2006 suite à un voyage ses fondateurs en Suisse et en Allemagne où les habitats coopératifs sont davantage implantés. C’est une structure divisée en deux parties : une partie nationale assure l’accompagnement en France, s’entoure de chercheurs, et gère les relations avec le gouvernement et les ministères ainsi que le lobbying. Une seconde partie travaille en région Auvergne-Rhône-Alpes. Sa ligne directrice est d’apporter aux projets des éclaircissements juridiques et légaux, mais aussi d’amener les groupes à devenir autonomes.
Un habitat écologique
Le choix des matériaux de construction et des dispositifs énergétiques s’est fait de concert avec l’architecte. L’optique était de miser au maximum sur des matériaux et un fonctionnement écologique. La façade est conçue principalement en bois. L’immeuble comprend une chaufferie à granulés, une centrale photovoltaïque. Un compost est installé dans le jardin commun, et l’eau de pluie est récupérée pour les machines de la buanderie commune.
L’immeuble comprend des lieux communs dont une buanderie, une salle commune avec cuisine (une nouvelle est en travaux actuellement), un potager, une cabane à outils, un garage à vélos, un grenier pour l’entrepôt de matériaux ou l’étendage du linge en période hivernale. Quatre chambres d’amis sont aménagées au rez de chaussée sont aménagées. Parfois, lorsqu’elles sont trop longtemps inoccupées, elles permettent de loger des étudiant.es sur du court terme.
Questions d’argent
À présent, vivent 10 foyers de toutes compositions (3 T5 occupés par des familles avec 2, 3 et 5 enfants, 2 T4 occupés par des familles avec 2 enfants chacune, 2 T3 occupés par des familles avec 1 enfants, 3 T1 occupés par des célibataires sans enfant) et 4 jeunes en insertion dans les quatorze appartements. Les habitant·es sont propriétaires de la coopérative mais locataires de leur appartement.
Leur insertion dans le Village nécessite un apport personnel de 30 à 50000 euros, ce qui correspond à 25 % du coût du logement (environ 40 000 € pour les T4, 25 000 € pour les T3).
Chaque mois ils versent un loyer ainsi qu’une redevance permettant d’épargner, de rembourser les charges ainsi que le prêt souscrit pour la construction de l’immeuble. La redevance se décompose en trois parts : 72,25 % pour le loyer (comprenant les provisions de charges), 20 % pour le CCA (compte courant d’associés) qui permet d’épargner, de rembourser les charges ainsi que le prêt souscrit pour la construction, et 6,9 % pour le parking (61 € par foyer).
Le prêt a été établi sur 40 ans. Au-delà, les loyers baisseront sans doute. La question reste néanmoins en suspens quant à l’utilisation de l’épargne. « Il y aura sans doute des travaux à faire » lance Olivier « mais comment ça s’articulera dans 40 ans, ça c’est le grand mystère des coopératives d’habitat ». « L’épargne permettrait éventuellement d’approvisionner un fond pour créer d’autres coops » ajoute Jérémie.
Un fonctionnement démocratique
Une fois installés, les villageois·es fonctionnent sur le principe : une coopérateur, une voix. Les décisions se construisent au travers de réunions mensuelles chaque premier dimanche du mois pendant 4 heures puis deux réunions plus courtes le mercredi. On y évoque par exemple les projets d’investissement (cuisine, travaux), l’organisation interne, les chantiers collectifs, les organisations d’événements dans la salle commune. Ensuite, tout le monde se rassemble en plus petits groupes ou commissions (cuisine, conciergerie, comptabilité). "L’avantage c’est d’expérimenter des compétences qui ne nous sont pas forcément familières et de pouvoir les transmettre aux autres par la suite" indique Jérémie. Les réunions suivent le principe de la communication non-violente en respectant les prises de parole "Il faut dire les choses et faire en sorte que la coopérative fonctionne. Parfois cela s’échauffe mais on arrive à travailler ensemble malgré nos différences". Les jeunes en insertion occupant les 4 logements sociaux (à très bas loyers) peuvent également, s’ils le souhaitent, participer aux réunions.
Convivial et collectif
Olivier a grandi dans ce quartier. Il réside réside dans cette coopérative depuis 5 ans maintenant. Jérémie, lui, a toujours vécu en communauté. En s’installant à Lyon avec sa compagne, il a voulu réitérer cette expérience du vivre-ensemble dans le cadre du projet La Gargousse dans le quartier de Guillotière jusqu’en 2017. Des travaux de réhabilitation et des obstacles trop importants avant de rentrer dans les lieux poussent le groupe d’habitant·es à passer la main à un nouveau groupe. Il postule alors au Village Vertical où un logement était vacant.
"Le vrai atout du Village c’est de connaître rapidement ses voisins. En été on peut organiser des moments festifs, passer d’un apéro à l’autre, d’un étage à l’autre » indique Jérémie. La rencontre est d’ailleurs favorisée par l’architecture de l’immeuble avec ses coursives caractéristiques. « La voisine du n°1 organise parfois des soirées jeux dans notre salle commune, on a lancé la fête du crapaud qui se déroule annuellement, ça favorise les contacts avec les habitants des autres immeubles". Dans le quartier deux mares à crapauds ont été aménagées sous le tutorat d’un naturaliste professionnel. Le Village est aussi un point d’approvisionnement de légumes et fruits via l’association L’Arbre à légumes.
Outre la buanderie et les salles communes, les familles ont optimisé les mises en commun pour éviter les doublons, une consommation excessive et favoriser la convivialité. Dans la salle commune sont rangés de nombreux jeux, de l’électroménager (appareil à raclette, fondue), produits ménagers, ustensiles de cuisine. Le ramassage scolaire se fait par pédibus le matin géré par des parents du Village qui le peuvent. Tout ce collectif est planifié par de nombreux tableaux (tour de ménage, pedibus).
...mais chronophage
L’implication au Village n’est pas des moindres. "On assiste à un départ par an quasiment, il y beaucoup de turn-over". En effet l’organisation intrinsèque au Village peut être conséquente sur la vie de famille ou privée notamment lorsque l’on veut s’investir en plus dans d’autres structures associatives. "Ce n’est pas donné à tout le monde de pouvoir s’impliquer autant, je pense notamment à des personnes qui n’ont pas les moyens financiers et qui doivent consacrer leur temps à leur travail pour vivre". Au fil des années, le temps d’implication s’est néanmoins assoupli pour faciliter la tâche des familles lors de naissances ou pendant des périodes de formation.
Les deux villageois sont conscients que ce type de d’habitat nécessite également d’appartenir à une catégorie sociale plutôt favorisée. En effet l’apport financier pour la coopérative n’est pas insignifiant même s’il reste beaucoup plus bas que pour l’achat dans le marché immobilier classique. Mais les revenus ne doivent pas dépasser un certain seuil car les appartements relèvent du logement social.
"Ce qui nous a guidé vers la coopérative d’habitants, c’est plutôt des raisons politiques. Dire stop à la spéculation" assure Jérémie lorsqu’on lui pose la question du choix de ce logement. "C’est aussi un partage de valeurs communes, solidarité, partage, convivialité, l’émulsion collective, que l’on peut ensuite transmettre à nos enfants. C’est génial de vivre là dedans, j’aimerai que toute la société fonctionne comme cela !".
Léa Le Foll