Une large majorité d‘apicult·rices, professionnel·les ou amateur·es, traitent les colonies contre le varroa, les nourrissent au sucre abondamment par peur de les voir périr l’hiver, changent les reines de manière systématique afin de garder une bonne productivité, importent des reines sélectionnées afin d’optimiser la production, fournissent la cire aux abeilles afin de leur faciliter le travail, etc. L’apiculture naturelle, très hétérogène, propose de questionner l‘apiculture sur tous ces points clés. La production de miel devient ainsi secondaire, l’autonomie et la liberté de la colonie étant la priorité. Cela se traduit par quelques éléments concrets, qui seront appliqués de différentes manières et à différentes échelles selon les apicult·rices.
Limiter les visites
Visiter la ruche perturbe forcément les colonies. La température baisse ; les phéromones (odeurs servant à communiquer entre abeilles) sont brassées par le courant d’air, la propolis (sève de bourgeons ramenée par les abeilles et servant à assainir la ruche) est cassée… Parfois, des abeilles sont même écrasées. Il faut favoriser l’observation avant toute intervention plus intrusive.
Ne plus donner de cires
La cire est produite naturellement par les abeilles. Or, l’apicult·rice conventionnel·le insère depuis bien longtemps de la cire d’abeille reconditionnée, gaufrée afin de ne produire que des ouvrières, éviter que les abeilles consomment une partie du miel récolté pour le transformer en cire (gain de temps et gain de miel) et avoir des cadres droits et « bien construits », ce qui facilite son travail au rucher. Mais cette cire gaufrée a plusieurs défauts :
– dix fois plus épaisse, elle limite la cohésion de la colonie en empêchant le passage des vibrations, des phéromones, qui sont des moyens de communication entre les abeilles ;
– elle contraint la construction des cellules, en obligeant à produire des ouvrières. Dans la nature, on décompte 15 % de cellules de mâles, ce qui est rarement le cas dans une ruche conventionnelle ;
– elle peut introduire des produits non désirés : depuis quelques années, on découvre qu’en plus des molécules de produits phytosanitaires présents dans certaines cires, des commerçants peu scrupuleux la coupent avec des produits issus de l’industrie pétrolière, moins onéreux ;
– elle allège le travail des cirières, ce qui peut créer un déséquilibre dans la colonie. En effet, lorsqu’une caste de la colonie se retrouve sans activité, c’est une cause d’essaimage possible.
Laisser la propolis là ou les abeilles la mettent
De nombreu·ses apicult·rices grattent, à chaque visite, la propolis afin de faciliter leur intervention. Or, dans la nature, la propolis joue un rôle décisif : elle assainit la ruche et prévient éventuellement les maladies. Laisser la propolis partout où les abeilles décident d’en mettre est une évidence en apiculture naturelle.
Accepter la sélection naturelle
En apiculture conventionnelle, on échange souvent les cadres entre les colonies, afin d’avoir un cheptel de ruches homogènes. Cela masque les défauts des reines et permet à des colonies faibles de se reproduire, donc de transmettre ces faiblesses aux autres. La nature, impitoyable, ne permet qu’aux souches les plus adaptées de survivre.
Il y a encore bien d’autres démarches en apiculture naturelle : limiter ou éliminer les traitements contre le varroa, ne plus transhumer les ruches, limiter le nombre des colonies dans un même endroit, limiter la taille des ruches et choisir de plus petits modèles, réduire ou éliminer toute récolte de miel, ou encore ne donner que des nichoirs aux abeilles puis ne plus les déranger.
En amateur·e ou en pro, les enjeux diffèrent
Chaque apicult·rice peut mettre en place une apiculture plus naturelle, particulièrement s’il ou elle fait partie des 95 % d’apicult·rices amateur·es, dont les revenus ne dépendent pas de leur récolte de miel. Pour les professionnel·les, la transition est plus complexe, mais des exemples existent d’apicult·rices de métier qui ont abandonné les cires reconditionnées et réduisent le nourrissement des colonies grâce à des techniques nouvelles. Pourquoi devoir planifier chaque mètre carré et le mettre en production, alors que nous savons désormais que ce qui manque aux abeilles, c’est juste un monde plus ensauvagé, dans lequel elles ont vécu quelque cent millions d’années avant l’arrivée de l’humain sur terre ?
Mathieu Angot, formateur en apiculture naturelle
Pour aller plus loin :
- – Le réseau de l’apiculture naturelle : www.apiculture-naturelle.net
Réseau de mise en relation dédié aux apiculteurs pratiquant une apiculture respectueuse des abeilles. - – Olivier Duprez, Élever des abeilles en ruche Warré, éd Rustica, 2016, 80 p.
L’auteur est formateur en apiculture naturelle au Rucher-école, villa le Bosquet, 14510 Gonneville-sur-Mer tél. : 02 31 87 36 63 www.rucherecole.fr - – Pierre Javaudin, Une ruche dans mon jardin, Larousse, 2020, 144 p.
- – Céline Locqueville, Ruches refuges, Ulmer, 2020, 160 p.
- – Alain Péricard, L’Abeille et la ruche – manuel d’apiculture écologique, Ecosociété, 2019, 306 p.
- – Thomas Seeley, La Démocratie chez les abeilles, édition Quae, 2017, 216 p.
L’absurdité de l’apiculture connectée
Les technologies informatiques permettent-elles une meilleure compréhension des abeilles et donc participent-elles à la préservation de celles-ci ? C’est ce que soutiennent de nombreuses start-up, mais aussi des apicult·rices amat·eures ou pro, qui ont de plus en plus recours à des balances connectées sous la ruche, des caméras et autres connexions réseau qui transfèrent chiffres et données à leurs smartphones et ordinateurs. Les graphiques et les courbes remplacent alors les visites régulières et l’appréciation sur le terrain. Des entreprises comme Label Abeilles ou Bee Smart Technologies se targuent de révolutionner l’approche apicole en permettant de réorganiser les pratiques et les savoir-faire. C’est une erreur. Comme l’analyse Robin Mugnier, « les données numériques échouent à se substituer aux interprétations issues des savoirs apicoles classiquement développés jusque-là. L’observation du travail des apiculteurs montre que les données numériques, lorsqu’elles ne sont tout simplement pas reléguées au second plan, restent finalement soumises à des savoirs qui leur préexistent pour devenir intelligibles ». Nouvelle manne financière pour start-up et appât tentant pour apicult·rice amateur·e, la technologie ne sert, au final, qu’à vous éloigner d’une compréhension empirique du monde des abeilles, de son fonctionnement, et du plaisir de les observer patiemment.
Robin Mugnier, « L’apiculture numérisée et connectée », Le Monde en pièces, La Lenteur, 2019, 144 p.