Article Décroissance Société

Apprendrons-nous un jour ?

Ingeborg Eilers

Lectrice iséroise de Silence, Ingeborg Eilers propose une méditation sur les événements géologiques ou biologiques, leurs conséquences sur l’activité humaine et la planète, et sur notre capacité à apprendre de nos expériences pour survivre.

Tout le monde sait maintenant qu’il faut réduire les gaz à effet de serre pour limiter la catastrophe écologique que nous sommes en train de provoquer. La Terre nous l’a déjà rappelé : tempêtes, inondations, sécheresses, disparition accélérée d’espèces… Mais l’humain ne veut pas changer fondamentalement. Il veut continuer à profiter de ce qui est techniquement faisable, au service de la facilité, de l’immédiateté, de l’argent, du toujours plus : plus vite, plus loin, plus grand, plus fort, plus excitant, faire ce que je veux, quand je veux, où je veux.
L’avion est le moyen de transport le plus énergivore et polluant. Comment faut-il le faire comprendre ?

Premier épisode : un volcan islandais

La Terre a une idée. Elle veut envoyer un avertissement bénin. Sans morts, sans toxicité, sans épidémie, sans catastrophe étendue. Elle crache du feu et de la lave en Islande. Des cendres volcaniques s’échappent dans les hauteurs et sont transportées au gré des vents. Sans danger quand la pluie les ramènera à terre.
Le moment est bien choisi. Pendant une semaine, le beau temps conserve les cendres dans le ciel. Là où les avions volent. Pour eux, cela peut être très dangereux, en obstruant les turbines et en aveuglant les vitres. Heureusement que les scientifiques le savent et que les politiques les écoutent. Les avions restent cloués au sol. La sécurité d’abord !
Alors les vacanci·ères des destinations lointaines ne peuvent plus partir ou rentrer. Bon nombre de marchandises ne sont pas acheminées. Le ciel est clair, sans trace de condensation. Les gens qui habitent proche des aéroports peuvent enfin dormir la nuit et parler le jour en toute tranquillité.
On se rend compte qu’on peut être heureux sans les fleurs du Kenya, que la nature proche est aussi belle, qu’on continue à vivre même si on n’a pas pu se rendre aux Baléares ou à une rencontre d’affaires « indispensable », que les enfants peuvent jouer sans le dernier jouet à la mode...
L’humanité a-t-elle appris le message et saisi sa chance d’assainir ses comportements et le climat ? Va-t-on rendre leurs terres aux Kényan·nes pour leur agriculture vivrière ? Partir en vacances à vélo, à pied, en train ? Régler les affaires par vidéo-conférence ?
Non. Dès que le nuage de cendres s’est suffisamment dissipé, on reprend les vols. Fini le répit pour les riverains et la nature !
C’était en 2010.

Le mur approche

Dix ans après, la Terre est de plus en plus malade. Ses habitant·es disparaissent un à un. Sa fièvre est montée, ses symptômes aussi : tsunami avec catastrophe nucléaire, ouragans, canicules, incendies... Les expert·es internationa·les du climat publient des rapports de plus en plus alarmants avec des préconisations de plus en plus drastiques et urgentes pour sauver la vie et le climat. Les peuples en prennent conscience petit à petit, surtout les jeunes qui voient leur avenir remis en question. Mais les politiques sont frileu·ses : l’avenir, c’est demain, l’économie, c’est aujourd’hui. Le mur approche.

Deuxième épisode : le virus

Alors un tout petit habitant de la Terre prend les choses en main. Il mute et saute d’un animal pourchassé à un humain. Il provoque une sorte de grippe avec fièvre, toux et essoufflement et une mortalité élevée. Il se sert des contacts pour une expansion rapide. Les voyageurs sont ses alliés. En quelques mois, il y a des malades et des morts sur tous les continents.
Les scientifiques disent aux politiques : pour enrayer la propagation de ce virus, il faut isoler les personnes les unes des autres. Tout le monde reste chez soi. Vont au travail seulement le personnel sanitaire et celles et ceux qui travaillent au service de la satisfaction des besoins « de première nécessité ». Pour les malades, les endeuillé·es, les soignant·es, les personnes âgées isolées, les familles nombreuses dans des appartements exigus et bon nombre d’autres, c’est terrible. Dans les pays dits « pauvres », les gens dans les bidonvilles vivent dans la promiscuité et meurent de faim s’ils et elles ne peuvent pas travailler. Un drame mondial.
Mais il y a d’autres effets : beaucoup moins de déplacements et de production. Moins de CO2 et autres gaz à effet de serre. L’air est pur, même en ville. L’eau devient propre. Un calme agréable règne. La nature s’épanouit. Les oiseaux reviennent en ville, les biches sortent du bois. Les voisins se parlent, des initiatives d’entraide fleurissent, parents et enfants se redécouvrent, le rythme de vie est ralenti. La durée prolongée du confinement a un certain effet de sevrage de notre vie pressée suractive.
L’impossible est devenu possible, le gouvernement a trouvé l’argent pour aider les entreprises qui ne tournent plus, les salarié·es au chômage technique, les hôpitaux surchargés. Des cessez-le-feu suspendent la guerre. Beaucoup de gens meurent du virus, mais beaucoup moins que d’habitude meurent de la pollution et des accidents. (1)

Et maintenant ?

Suite à cet épisode, saurons-nous modifier en profondeur notre société de production, de consommation, de mobilité et de pollution pour instaurer durablement une réduction de notre impact sur le climat et la biodiversité, afin de préserver un futur vivant ?
Partager le travail, relocaliser et reconvertir la production, arrêter le superflu, le nucléaire, la production d’armes, favoriser l’essentiel, ne plus confiner les autres espèces dans des parcs et réserves mais leur laisser de l’espace, construire moins, réduire le commerce international, se déplacer moins et moins loin, communiquer avec celles et ceux qui vivent à côté de nous... Moins de quantité, plus de qualité et d’équité. Prendre l’argent là où il est pour l’utiliser là où il y en a besoin.

Apprenons-nous maintenant ?

Ingeborg Eilers

(1) L’effet sur l’environnement est exactement ce que préconisaient les experts du climat.

Témoignage d’une élue locale, Ingeborg Eilers, i.eilers@laposte.net, autoédition, 2020, 70 p., 5 € (+ 5 € de port). Une compilation d’anecdotes de la vie d’une élue municipale, quelques articles de presse, et des réflexions personnelles pertinentes dont certaines ont déjà été publiées dans Silence.

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