C’est notamment le cas de celles — une très grande majorité de femmes — qui effectuent les métiers du soin, indispensables à la survie de milliers de personnes : les infirmières, aides à domicile, assistantes maternelles, couturières, aide-soignantes, caissières, agentes d’entretien. Elles ont dû continuer à travailler dans des conditions sanitaires indignes, sans matériel de protection adéquat. J’ai interrogé Corinne, aide à domicile dans une commune rurale du Tarn, qui a choisi de continuer à travailler pendant le confinement, malgré le manque d’équipement : « Il y avait les personnes les plus vulnérables à continuer à faire manger, à faire bouger… On a maintenu un service minimum. On m’a demandé au début du confinement si je voulais continuer à travailler en ne gardant que les personnes les plus dépendantes et j’ai accepté ». Que seraient devenues ces personnes si Corinne n’avait pas assuré leurs soins par sa présence quotidienne à leurs côtés ?
Il n’y a pas de qualité innée propre aux femmes
Nous devons dorénavant prêter attention à toutes ces personnes qui assurent notre survie, majoritairement femmes et racisées, dans les villes comme dans les campagnes. Les écoféminismes visent à repolitiser les tâches de soin à la manière dont Émilie Hache invite à « dénaturaliser […] ce travail, changer de perception, de culture, à l’égard de tous ces gestes qui font littéralement tenir le monde, de les écologiser, les politiser, changer de paradigme » (Reclaim, éd. Cambourakis, 2016). Le care (soin) ainsi considéré devient une structure politique qui doit être portée par toutes et tous les membres de la société. Il n’est plus une ̎qualité̎ innée propre aux femmes, qui selon une vision essentialiste seraient douces et attentives. Aujourd’hui, ce sont effectivement les femmes qui prennent soin de leurs proches au domicile, en effectuant toujours la plus grande partie du travail domestique (cuisine, linge, courses, ménage) et en assurant le rôle d’aidantes auprès de leurs proches (visites en Ephad, aide au transport, appels téléphoniques réguliers).
Se soucier et prendre soin d’autrui est vital, car nous sommes vulnérables face à la maladie, aux accidents, à la solitude, à la dépression, chacun·e de manière inégale selon nos privilèges sociaux. De même, prendre soin de l’environnement autour de nous, le réparer et le maintenir est nécessaire pour notre survie, et certain·es subissent déjà les frais de sa fragilisation dans les pays des Sud ou en habitant sur un lieu pollué et mortifère. Ce travail de soin est inégalement réparti entre les classes sociales, les personnes blanches et racisées, les hommes et les femmes. Ceux et celles qui estiment vivre de manière autonome sont privilégié·es, parce qu’ils et elles vivent sur le dos de celles qui effectuent les tâches qui leur permettent de vivre. Or, sans ce soin, la vie est impossible.
Fanny Hugues
Pour aller plus loin, ressources confinées :
– Tribune collective de soignant·es, « Nous ne serons plus jamais les bonnes petites soldates de vos guerres », Libération, 8 mai 2020
– « Prendre soin, penser en féministes le monde d’après », épisode 26 du podcast mensuel de Charlotte Bienaimé, Un podcast à soi, 10 juin 2020