La brume recouvre les champs d’un manteau blanc opaque. En cette matinée de début février, elles sont invisibles. A moins de lever la tête en direction du ciel, impossible de remarquer que six éoliennes, dont les mats font 100 mètres de hauteur et 82 mètres de palmes, sont installées à Plélan-le-Grand. Cette commune de plus de 4 000 habitant⋅es, basée à moins de 40 km à l’ouest de Rennes en Ille-et-Vilaine, dans le sud-ouest du département, n’est pas la seule à avoir des dames de fer sur le territoire. A cinq kilomètres de là, Maxent en dénombre trois. Mais c’est l’une des premières en France à avoir installé sur son territoire un projet impulsé par ses habitant⋅es.
Et cette solution s’est montrée gagnante : "Toutes les entreprises qui ont installé les éoliennes dans les villages alentours ont mis 5 à 6 ans de plus que notre projet qui est sorti de terre fin 2008, ce qui prouve que le faire avec les habitants est beaucoup plus efficace", se félicite a postériori Patrick Saultier, conseiller municipal de 2001 à 2020 et une des personnes motrices de ce parc éolien qui produit de l’électricité pour toutes les habitations, les entreprises et les exploitations agricoles de la ville.
"Personne ne connaissait les éoliennes"
En 2001, cet ingénieur environnemental de formation de 53 ans vient de rentrer au conseil municipal et s’intéresse à ce qu’il passe au Danemark côté énergies renouvelables. "Là-bas, 20 % de l’électricité consommée est produite par le vent, dont 85 % des éoliennes appartiennent aux particuliers et aux agriculteurs, développe l’ancien conseiller municipal, assis dans le bar en face de la mairie. A l’époque, personne ne connaissait les éoliennes et on m’a répondu au sein de l’équipe municipale que le jour où des entreprises viendraient pour en mettre, on réfléchira. Et ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd !"
Deux ans plus tard, les développeurs toquent en effet à la porte de la mairie. Or, à sa grande surprise, rien n’est pensé pour que les citoyen⋅nes plélanais participent. Patrick Saultier n’en démord pas : "Il fallait que les habitants participent le plus tôt possible !" Lui a fait son "service national obligatoire" de trois ans dans une ONG au Tchad, en Afrique centrale, dans laquelle il a été formé à l’animation de groupes. Ces méthodes apprises à l’étranger, il les applique en Bretagne.
Pas le même objectif de départ
Une réflexion s’enclenche au sein de la mairie et, au fur et à mesure de réunions publiques et de stands sur le marché, un noyau dur de 12 personnes se crée. « L’idée a été insufflée par un élu mais mise en place par les habitants », estime Patrick Saultier.
Chacun⋅e vient d’horizons différents : infirmière, responsable d’une agence Pôle Emploi, professeur ou encore maraîcher bio… Tout le monde n’a pas le même objectif de base. "Une partie s’est penchée sur la question des énergies renouvelables, l’autre était surtout intéressée pour faire un projet dans sa commune", se souvient Jean-René Leborgne, ingénieur des réseaux téléphoniques en pré-retraite de 62 ans, qui fait partie du comité-pilote.
Energies du territoire
Pendant plus de six mois, le groupe planche sur le sujet une fois par semaine. La question du financement se pose en premier. Au départ, les membres mettent de leur poche "entre 6 000 à 12 000 €" et Patrick Saultier effectue un travail fastidieux de recherche de financement pour enclencher une étude de faisabilité. "Pour ce type de projet, il n’existe pas de modèle. On s’adapte avec les compétences de tout le monde, on prend les énergies humaines du territoire", explique ce dernier. Il fait référence, notamment, à un autre exemple de parc éolien citoyen : Energie Partagée, une coopérative de plus de 1 000 actionnaires qui a installé en 2014 à Béganne, dans le Morbihan, quatre éoliennes après douze ans de structuration due à des problèmes juridiques et financiers.
"On a eu beaucoup de mal sur les législations", se rappelle également de son côté Jean-René Leborgne. Rien n’est fait pour leur faciliter la tâche. "Dans la loi, il n’y avait rien sur les questions de financement local, d’habitants, de riverains, sourit Patrick Saultier. Aujourd’hui, la dernière loi française sur la transition énergétique introduit même des clauses pour permettre l’investissement local des habitants, des collectivités dans une société de production. Dans les appels d’offre, il est même prévu une prime pour les projets qui ont une part d’investisseurs locaux. Cela a mis plus de dix ans ! On a contribué à faire bouger les lois au niveau national. Je crois beaucoup à la valeur de l’exemple. En Bretagne, il y a les « diseux » et les « faiseux »."
Gouvernance à 35 %
La société par actions simplifiée (SAS) Brocéliande énergies locales se monte en 2004 : "Cela permet de faire à peu près tout et d’injecter des montants assez élevés." Avec le soutien financier du département, de la communauté de communes et de la Région Bretagne, le groupe obtient l’autorisation du premier permis de construire. Mais les sous manquent encore. "Pour les banques, il fallait 20 % de fonds propres soit 3 millions d’euros", continue Patrick Saultier. Jean-René Leborgne réplique : "On s’est dit qu’on avait plus qu’à hypothéquer nos maisons !" Car 18 millions d’euros ont été nécessaires au final. "Si on l’avait su en se lançant dans l’aventure, on ne l’aurait peut-être même pas tenté !". (1)
Discussions avec l’associé principal
Actuellement, les actionnaires de Plélan-le-Grand réfléchissent à changer de fournisseur et à injecter leur énergie produite à Enercoop plutôt qu’à EDF et ses filiales. "Au départ, ce n’était pas possible puisqu’ils n’achetaient pas l’énergie au même prix. Ce sont des discussions que nous avons avec notre associé principal", expose Patrick Saultier.
Et pourquoi pas augmenter le nombre de machines sur leur parc éolien ? Plélan-le-Grand fait partie de la troisième couronne de Rennes, la capitale administrative bretonne, et attire de plus en plus de foyers. En dix ans, elle a augmenté de 114 %. A cette question, Patrick Saultier répond avec un sourire entendu.
Manon Deniau
(1) Au total, les 12 habitant⋅es ont apporté plus de 110 000 € au projet. L’investisseur Emile Dumont contacte à l’époque Patrick Saultier et reprend le reste de la gouvernance de Brocéliande énergies locales. Le groupe détient aujourd’hui 35 % de sa SAS et Elicio, le producteur d’énergie qui a racheté l’ancienne entreprise d’Emile Dumont, 65 %. Ce qui a parfois créé des tensions lorsque le groupe a voulu devenir l’actionnaire majoritaire. Peine perdue pour le moment : "On va dire que pour les grosses décisions, Elicio est obligé d’être d’accord. Ils ont tout intérêt localement à nous laisser faire."
Brocéliande énergies locales
Étang de la Chèze
35380 Plélan-le-Grand
Tél. : 02 99 06 80 11
http://www.sed-energies.fr